Le Préfet de police de Paris a saisi le Conseil d’Etat contre un arrêt confirmant l’annulation d’une décision du 30 avril 2003 par laquelle le préfet a refusé l’inscription du droit d’accès à un avocat dans la charte d’accueil et de prise en charge des personnes conduites à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Au visa notamment de l’arrêté des consuls du 12 messidor an VIII (1er juillet 1800) qui règle les attributions du préfet de police de Paris, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi du préfet en estimant que celui-ci est compétent pour inscrire ce droit dans la charte d’accueil qu’il édicte pour l’organisation du service, laquelle est affichée dans les locaux de l’infirmerie et portée à la connaissance des personnes qui y sont conduites. En application de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique, le Conseil d’Etat rappelle que, lorsqu’une personne est hospitalisée sans son consentement pour troubles mentaux, les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en œuvre de son traitement. Par cet arrêt, la Haute juridiction administrative considère que la conduite à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police est une mesure de police administrative à caractère provisoire et de très courte durée, destinée principalement à l'observation des personnes souffrant de troubles mentaux manifestes et à leur protection ainsi qu'à celle des tiers. L'admission et la rétention dans cette structure doivent ainsi être regardées comme une hospitalisation sans consentement de la personne intéressée au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 3211-3 du code de la santé publique. Toute personne ainsi concernée doit être informée, dès son admission, de son droit de prendre le conseil d’un avocat de son choix.
Conseil d'État
1ère et 6ème sous-sections réunies
N° 313598
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
M. Daël, président
Mme Laure Bédier, rapporteur
M. Derepas Luc, commissaire du gouvernement
SCP PEIGNOT, GARREAU ; RICARD, avocats
Lecture du vendredi 20 novembre 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 février et 21 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le PREFET DE POLICE, représentant la Ville de Paris ; le PREFET DE POLICE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 21 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 22 novembre 2006 du tribunal administratif de Paris ayant, à la demande de l'association Groupe Information Asiles, annulé la décision du 30 avril 2003 par laquelle il a refusé de rendre effectif le droit d'accès à un avocat en l'inscrivant dans la charte d'accueil et de prise en charge des personnes conduites à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales :
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'arrêté des consuls du 12 messidor an VIII ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Laure Bédier, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat du PREFET DE POLICE et de Me Ricard, avocat de l'association Groupe Information Asiles,
- les conclusions de M. Luc Derepas, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, avocat du PREFET DE POLICE et à Me Ricard, avocat de l'association Groupe Information Asiles ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 3211-3 du code de la santé publique : Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement. (...). / Elle doit être informée dès l'admission et par la suite, à sa demande, de sa situation juridique et de ses droits./ En tout état de cause, elle dispose du droit : /(...) 3º De prendre conseil (...) d'un avocat de son choix ; qu'aux termes de l'article L. 3213-2 du même code : En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'hospitalisation d'office dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 2512-13 du code général des collectivités territoriales : Dans la commune de Paris, le préfet de police exerce les pouvoirs et attributions qui lui sont conférés par l'arrêté des consuls du 12 messidor an VIII qui détermine les fonctions du préfet de police à Paris et par les textes qui l'ont modifié ainsi que par les articles L. 2512-7, L. 2512-14 et L. 2512-17 (...) ; que selon l'article 35 de l'arrêté du 12 messidor an VIII : Le préfet de police aura sous ses ordres les commissaires de police (...) ;
Sur la recevabilité du pourvoi :
Considérant que, sauf exceptions, il n'appartient qu'aux ministres intéressés de présenter au nom de l'Etat un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat ; que, toutefois, il résulte des dispositions mentionnées ci-dessus que, lorsqu'ils prennent des mesures en application de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique, le préfet de police et les commissaires de police placés sous son autorité agissent en matière de police municipale ; que c'est dans ce cadre qu'a été créée et que fonctionne à Paris l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police ; qu'ainsi, en formant un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 21 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le jugement du 22 novembre 2006 du tribunal administratif de Paris annulant le refus opposé par lui à l'association Groupe Information Asiles de rendre effectif le droit d'accès à un avocat par l'inscription de ce droit dans la charte d'accueil et de prise en charge des personnes conduites à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, le PREFET DE POLICE a agi au nom de la Ville de Paris et non pas au nom de l'Etat ; que, par suite, son pourvoi est recevable ;
Sur le fond :
Considérant, en premier lieu, qu'alors même que la conduite à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police est une mesure de police administrative à caractère provisoire et de très courte durée, destinée principalement à l'observation des personnes souffrant de troubles mentaux manifestes et à leur protection ainsi qu'à celle des tiers, et que ce service ne relève pas des établissements de soins mentionnés aux articles L. 3214-1 et L. 3222-1 du code de la santé publique au sein desquels sont accueillis et soignés les malades faisant l'objet d'une hospitalisation sur demande d'un tiers ou d'office en application, respectivement, des articles L. 3212-1 et L. 3213-1 de ce code, l'admission et la rétention dans cette structure doivent être regardées comme une hospitalisation sans consentement de la personne intéressée au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 3211-3, dont le champ d'application s'étend à toutes les mesures de cette nature décidées dans le cadre des chapitres II et III du titre I du livre II de la troisième partie du code de la santé publique ; que la circonstance qu'une personne placée en garde à vue et conduite à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police puisse continuer à bénéficier des droits prévus par l'article 63-4 du code de procédure pénale est sans incidence sur les droits dont elle bénéficie au titre de l'article L. 3211-3 du code de la santé publique ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la mesure de conduite à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris constituait une mesure d'hospitalisation sans consentement au sens de l'article L. 3211-3, de sorte que toute personne concernée doit être informée, dès son admission, de son droit de prendre le conseil d'un avocat de son choix ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le droit de faire appel à un avocat dont disposent les personnes conduites à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris est prévu par l'article L. 3211-3 du code de la santé publique ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit en écartant le moyen tiré de l'incompétence du PREFET DE POLICE, en l'absence de disposition législative en ce sens, pour prendre les mesures destinées à rendre effectif ce droit en l'inscrivant dans la charte d'accueil qu'il a décidé d'édicter pour l'organisation du service, qui est affichée dans les locaux de l'infirmerie et dont les dispositions sont portées à la connaissance des personnes qui y sont conduites ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE POLICE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 21 décembre 2007 ; que les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par l'avocat de l'association Groupe Information Asiles à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, partie dans la présente instance ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi du PREFET DE POLICE est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'avocat de l'association Groupe Information Asiles, tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE POLICE et à l'association Groupe Information Asiles.