En l’espèce, une infirmière, admise au sein d’un Institut des cadres hospitaliers a demandé à son employeur, un centre hospitalier universitaire (CHU), d’assurer la prise en charge financière de sa scolarité dans le cadre des études promotionnelles inscrites au plan de formation de l’établissement public de santé. Toutefois, le CHU a refusé de prendre en charge ces frais. Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi du CHU aux motifs que « l'existence d'un plan de formation au sein d'un établissement hospitalier implique que ses agents disposent d'un droit à suivre les actions de formation qui y sont inscrites ». La Haute juridiction administrative précise que « ce droit s'exerce sous réserve, d'une part, de l'adéquation de la demande de l'agent avec les objectifs et moyens du plan et, d'autre part, de l'intérêt du service à la date où est formulée la demande ».
Conseil d'État
N° 324669
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Philippe Martin, président
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats
Lecture du mercredi 23 novembre 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 février et 29 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, dont le siège est 2, avenue Foch à Brest (29609 cedex) ; le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 07NT02883 du 3 octobre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, annulé à la demande de Mme Catherine A le jugement n°04-4813 du 10 juillet 2007 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête de cette dernière tendant à l'indemnisation des préjudices subis du fait du refus du directeur du centre hospitalier de prendre en charge les frais de sa formation à l'Institut de formation des cadres de santé de Rennes, et, d'autre part, condamné le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST à verser à Mme A la somme de 28 564 euros portant intérêt au taux légal à compter du 22 décembre 2004, au titre de l'indemnisation des préjudices allégués ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mme A ;
3°) de mettre à la charge de Mme A le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
Vu le décret n° 90-319 du 5 avril 1990 ;
Vu le décret n° 90-693 du 1er août 1990 ;
Vu le décret n° 92-566 du 25 juin 1992 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST et de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A, infirmière au sein du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, a demandé à son employeur d'assurer la prise en charge financière, dans le cadre des études promotionnelles inscrites au plan de formation de l'établissement, de sa scolarité à l'Institut des cadres de santé de Rennes où elle a été admise en juillet 2000 ; qu'à la suite des refus opposés par l'administration, elle a été placée, sur sa demande, en position de disponibilité du mois de septembre 2001 au mois de juin 2002 pour effectuer sa scolarité à l'Institut de formation ; qu'elle en a assumé tous les frais puis, ayant obtenu son diplôme, a été recrutée au mois de juillet 2002 en qualité de cadre-infirmier par le centre hospitalier de Morlaix ; que, par réclamation en date du 20 octobre 2004, elle a sollicité auprès du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du refus du directeur de cet établissement de prendre en charge les frais de sa formation ; que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 octobre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes l'a condamné à verser à Mme A la somme de 28 564 euros au titre des préjudices allégués ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt en tant qu'il statue sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST :
Considérant qu'en vertu de l'article 22 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, le droit à la formation permanente est reconnu aux fonctionnaires ; qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 6° Au congé de formation professionnelle (...) ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 5 avril 1990 relatif à la formation professionnelle continue des agents de la fonction publique hospitalière, alors en vigueur : La formation professionnelle continue des agents titulaires et non titulaires des établissements énumérés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 (...) comprend deux types d'actions : 1° Les actions figurant dans le plan de formation de l'établissement ; 2° Les actions choisies par les agents en vue de leur formation personnelle. ; qu'aux termes de l'article 2 de ce décret : Les plans de formation des établissements portent sur : / a) Des actions de préparation aux concours et examens permettant soit l'accès à un grade supérieur ou à un corps différent, soit l'entrée dans une école préparatoire à un emploi de la fonction publique hospitalière ; / b) Des études promotionnelles débouchant sur l'accès aux diplômes ou certificats du secteur sanitaire et social dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé ; / c) Des actions d'adaptation en vue de faciliter soit la titularisation, soit l'accès à un nouvel emploi, soit le maintien de la qualification requise dans l'emploi occupé ; / d) Des actions de conversion permettant d'accéder à des emplois exigeant une qualification nouvelle ou à des activités professionnelles différentes. ; qu'enfin, en vertu des articles 5, 6 et 8 du même décret, les agents qui suivent une formation dans le cadre du plan de formation de leur établissement sont maintenus en position d'activité et ont droit au maintien, à des degrés divers selon la situation dans laquelle ils se trouvent au regard des quatre types d'action prévus par l'article 2, de leur rémunération ainsi qu'à la prise en charge des coûts pédagogiques et de leurs frais de déplacement et d'hébergement ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'existence d'un plan de formation au sein d'un établissement hospitalier implique que ses agents disposent d'un droit à suivre les actions de formation qui y sont inscrites ; que ce droit s'exerce sous réserve, d'une part, de l'adéquation de la demande de l'agent avec les objectifs et moyens du plan et, d'autre part, de l'intérêt du service à la date où est formulée la demande ; qu'en reconnaissant, sous ces réserves, le droit de Mme A d'obtenir un congé lui permettant de suivre l'une des actions de formation professionnelle prévues au plan de formation, ainsi qu'à la prise en charge des frais afférents, la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant qu'en jugeant que la décision refusant à Mme A cette prise en charge était infondée, compte tenu de la nature des fonctions exercées par l'intéressée, de ses bonnes appréciations et des besoins de recrutement de cadres de santé auxquels l'établissement allait être confronté, la cour a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine, qui est exempte de dénaturation ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt, en tant qu'il statue sur l'évaluation des préjudices :
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des écritures du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST produites devant les premiers juges qu'il a conclu, sans opposer sur ce point de fin de non-recevoir, au rejet au fond des conclusions de Mme A tendant à l'octroi d'une indemnisation au titre du préjudice moral, et a ainsi lié le contentieux ; que par suite le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en accordant une indemnisation à ce titre alors que l'intéressée n'avait pas présenté de réclamation préalable ne peut qu'être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que contrairement à ce que soutient le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, il est loisible à un requérant de demander un montant d'indemnités supérieur à celui figurant dans sa réclamation préalable à l'administration, dès lors que ses conclusions ne peuvent être regardées comme constituant une demande nouvelle ; que, la cour n'a, par suite, pas entaché son arrêt d'erreur de droit en allouant à l'appelante une réparation d'un montant supérieur à celui dont Mme A avait fait état devant son employeur, dès lors que ce montant ne dépassait pas lui-même le montant des conclusions présentées devant le juge ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 6 du décret du 5 avril 1990 précité : Dans les cas prévus aux a et b de l'article 2, les agents conservent leur traitement, leur indemnité de résidence et leurs indemnités à caractère familial. Ils conservent les autres indemnités et primes lorsque la durée totale d'absence pendant les heures de service n'excède pas une journée par semaine en moyenne dans l'année. / Dans les cas prévus aux c et d du même article, les agents conservent leur traitement et l'intégralité de leurs indemnités et primes. ; que l'article 3 du décret du 1er août 1990 relatif à l'attribution d'une indemnité de sujétion spéciale aux personnels de la fonction publique hospitalière, postérieur au décret qui vient d'être mentionné, dispose que l'indemnité de sujétion spéciale (...) suit le sort du traitement et ne peut être réduite que dans la proportion où le traitement lui-même est réduit. ; que ces dernières dispositions, qui doivent être regardées comme dérogeant à la règle générale édictée par l'article 6 précité selon laquelle est exclue la conservation des autres indemnités et primes lorsque la durée totale d'absence de l'agent pendant les heures de service excède une journée par semaine en moyenne dans l'année, imposent le versement de l'indemnité de sujétion spéciale lorsque l'agent en formation continue à bénéficier de son traitement ; que, par suite, en jugeant que l'indemnité de sujétion spéciale devait être prise en compte dans la fixation du montant de la réparation due à Mme A, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ;
Considérant, en quatrième lieu, que le moyen tiré de ce que les dispositions du décret du 25 juin 1992 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements des fonctionnaires et agents relevant de la fonction publique hospitalière sur le territoire métropolitain de la France prévoiraient une prise en charge dégressive des frais d'hébergement, qui n'est pas d'ordre public, est nouveau en cassation et par suite inopérant ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes du I de l'article 49 du décret du 25 juin 1992 mentionné ci-dessus : Le paiement des indemnités prévues aux articles 9, 12, 14, 15, 30 et 31 est effectué à la fin du déplacement ou mensuellement, à terme échu, sur présentation d'états certifiés et appuyés, le cas échéant, des pièces justificatives nécessaires indiquant, notamment, les itinéraires parcourus, les dates de séjour dans chaque localité ainsi que les heures de départ, d'arrivée et de retour. ; qu'en jugeant, au vu des pièces du dossier qui lui était soumis, que l'intéressée avait droit sur ce fondement au remboursement des frais de repas engagés à l'occasion de sa formation, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits de l'espèce ;
Considérant, en dernier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, que Mme A a demandé réparation du préjudice subi du fait de la perte des congés payés auxquels elle aurait pu prétendre au titre de sa période de formation si elle n'avait pas été contrainte de solliciter une mise en disponibilité pour suivre cette formation ; que, dès lors, la cour n'a ni dénaturé les écritures de l'intéressée ni statué au-delà des conclusions dont elle était saisie en condamnant le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST à verser à Mme A une indemnité à ce titre ; qu'en relevant que le placement de Mme A en position de disponibilité lui avait fait perdre le bénéfice des congés qui auraient normalement été attachés à sa période de formation si l'intéressée avait été prise en charge par le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST doit être rejeté ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST le versement à Mme A de la somme de 3 000 euros ; que les mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que demande le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST est rejeté.
Article 2 : Le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST versera à Mme A une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BREST et à Mme Catherine A.
Copie en sera adressée pour information au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.