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Conseil d’Etat, 26 septembre 2012 n° 359706


En l’espèce, la communauté d’agglomération Seine-Eure a lancé en février 2012 un appel d’offres en vue de l’attribution d’un marché à bons de commande portant sur les collectes et l’acheminement de déchets ménagers. Un référé précontractuel est engagé par un candidat non retenu pour un lot du marché en question. Le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a annulé la procédure.  Le Conseil d’Etat, saisi par le pouvoir adjudicateur, estime, en premier lieu, que le juge des référés a inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que la discordance entre les prescriptions du règlement de la consultation concernant la notation de la valeur technique de l’offre et la notation effective de ce critère par la commission d’appel d’offres (CAO) était susceptible d’avoir lésé la  société X. Celle-ci a en effet obtenu la note maximale de 20/20 sur ce critère, alors que l’attributaire a obtenu la note de 18/20 et que le classement de l’offre de la société X à la seconde place résulte de la notation du critère prix.  Le Conseil d’Etat estime aussi que le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant que le pouvoir adjudicateur devait, préalablement à la notation des offres, inviter les deux sociétés à préciser ou compléter leurs offres qui étaient, pour l’une, contradictoire sur certains éléments (nombre de semi-remorques mis à disposition) et, pour l’autre, lacunaire organisation du personnel affecté au service). Le pouvoir adjudicateur n’est jamais tenu de procéder à une telle invitation lorsque lui sont remises des offres comportant des contradictions ou ambiguïtés, ou des offres incomplètes. Le pouvoir adjudicateur a indiqué aux candidats dans les documents de la consultation l’étendue de son besoin en ce qui concernait le tonnage des déchets qu’ils devaient traiter. Le rapport d’analyse des offres montre que les tonnages ont été appliqués aux prix unitaires proposés par les candidats. La société X n’est pas fondée à soutenir que la personne publique aurait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne donnant aux candidats aucune estimation des quantités attendues. L’offre de la société X ne comportait pas de contradictions s’agissant du nombre de semi-remorques mis à disposition pour assurer le service. Le pouvoir adjudicateur ne pouvait ainsi invoquer une contradiction dans l’offre pour minorer la note attribuée à la société X au titre du sous-critère n° 2 de la valeur technique ; il a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Mais ce manquement n’est pas susceptible d’avoir lésé la Société X dès lors que, quand bien même elle aurait eu la note maximale pur le critère valeur technique, elle n’aurait pas été mieux classée que l’attributaire du marché en raison de l’écart de notation important (près de 4 points) entre La société X et l’attributaire au titre du critère prix, prépondérant. Le Conseil d’Etat estime que la discordance dans le règlement de la consultation concernant la notation chiffrée qui sera appliquée n’est pas susceptible d’avoir lésé la société X, qui a obtenu la note maximale de 20/20 pour ce sous-critère tandis que le groupement attributaire a obtenu 18/20 ; le Conseil rappelle que le motif du classement à la seconde place de la société X résulte de l’écart qui la séparait de l’attributaire sur le critère prix. Par conséquent le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés du TA de Rouen qui a annulé la procédure de passation du lot.

Conseil d'État

N° 359706   
7ème et 2ème sous-sections réunies
 

M. Bernard Stirn, président
M. Frédéric Dieu, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
BLONDEL ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats

lecture du mercredi 26 septembre 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mai et 7 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la communauté d'agglomération Seine-Eure, dont le siège est Maison Commune, Avenue des Métiers, BP 117 à Val-de-Reuil Cedex (27101) ; la communauté d'agglomération Seine-Eure demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1201265 du 14 mai 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, sur la demande de la société X, a annulé la procédure de passation du lot n° 3 (gestion du quai de transfert et transport des déchets en semi-remorques jusqu'aux sites de traitement) du marché ayant pour objet les collectes spécifiques, le transfert et l'acheminement des déchets ménagers et assimilés ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société X ;

3°) de mettre à la charge de la société X la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Blondel, avocat de la communauté d'agglomération Seine-Eure et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société X,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Blondel, avocat de la communauté d'agglomération Seine-Eure et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société X ;

1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut être saisi, avant la conclusion d'un contrat de commande publique ou de délégation de service public, d'un manquement, par le pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 14 février 2012, la communauté d'agglomération Seine-Eure a lancé une procédure d'appel d'offres en vue de l'attribution d'un marché à bons de commande portant sur les collectes spécifiques, le transfert et l'acheminement des déchets ménagers et assimilés ; que la société X, ainsi que le groupement Y, ont présenté chacun une offre pour le lot n° 3 de ce marché, portant sur la gestion du quai de transfert et le transport des déchets en camions semi-remorques ; que, par courrier daté du 13 avril 2012, la communauté d'agglomération Seine-Eure a informé la société X que son offre n'avait pas été retenue et que le marché avait été attribué au groupement Y ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, saisi par la société X, a, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, annulé la procédure de passation du lot n° 3 du marché ;

3. Considérant que, pour annuler la procédure de passation, le juge des référés a relevé, d'une part, que la notation du critère de la valeur technique avait été opérée sur quarante points alors qu'il résultait du règlement de la consultation qu'elle devait l'être sur trente points et, d'autre part, que le pouvoir adjudicateur avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en attribuant une note aux mémoires techniques remis respectivement par la société attributaire du lot litigieux et par la société X alors que, selon le rapport d'analyse des offres, le mémoire de la première était seulement " presque complet " tandis que celui de la seconde comportait un élément qui " devait être précisé ", et qu'il appartenait dans une telle situation à la communauté d'agglomération Seine-Eure, avant toute notation de ces deux offres, de faire application des dispositions du I de l'article 59 du code des marchés publics en invitant ces deux candidats à préciser ou compléter la teneur de leur offre ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant que la discordance entre les prescriptions du règlement de la consultation relatives à la notation du critère de la valeur technique et la manière dont les offres ont été effectivement notées sur ce critère par la commission d'appel d'offres était susceptible d'avoir lésé la société X, alors, d'une part, que celle-ci a obtenu la note maximale de 20 sur 20 pour le sous-critère dont le règlement de la consultation indiquait qu'il serait noté sur dix alors qu'il l'a été sur vingt, tandis que l'offre présentée par le groupement attributaire a obtenu pour ce même sous-critère une note de 18 sur 20, et que, d'autre part, l'offre de la société X n'a été en fin de compte classée seconde qu'en raison de l'écart qui la séparait de l'offre de la société attributaire relativement au critère du prix, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a inexactement qualifié les faits de l'espèce ;

5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du I de l'article 59 du code des marchés publics : " Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre. " ; qu'en jugeant que la communauté d'agglomération Seine-Eure était tenue, en application de ces dispositions, d'inviter la société Xet le groupement Y à préciser ou compléter, préalablement aux opérations de notation, la teneur de leurs offres qui étaient, pour la première, contradictoire en ce qui concernait le nombre de semi-remorques mis à disposition pour effectuer le service et, pour la seconde, lacunaire en ce qui concernait l'organisation du personnel affecté au service, alors que le pouvoir adjudicateur n'est jamais tenu de procéder à une telle invitation lorsque lui sont remises des offres comportant des contradictions ou ambiguïtés ou des offres qui ne sont pas complètes, le juge des référés a commis une erreur de droit ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la communauté d'agglomération Seine-Eure est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société X ;

8. Considérant, en premier lieu, que la société X s'est vu communiquer par deux courriers datés des 13 et 20 avril 2012 les motifs de rejet de son offre ainsi que les caractéristiques et avantages de l'offre du groupement Y auquel a été attribué le marché ; que, par suite, elle ne peut utilement se prévaloir de ce que la communauté d'agglomération Seine-Eure ne lui aurait pas communiqué ces informations et aurait ainsi méconnu les dispositions des articles 80 et 83 du code des marchés publics ;

9. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'article II de la section IV du règlement de la consultation a distingué les modalités de notation du critère du prix, fondées sur une échelle de notation s'étendant de 1 à 100, de la pondération de ce même critère, affectée de 60 points ; que, par suite, le moyen tiré par la société X de ce que le règlement de la consultation aurait comporté une incohérence en ce qui concerne le critère du prix, en faisant état d'une pondération tantôt de 60 points tantôt de 100 points, n'est pas fondé et doit être écarté ;

10. Considérant, en troisième lieu, que le pouvoir adjudicateur n'a pas à informer les candidats de la méthode de notation qu'il envisage de retenir et d'utiliser pour évaluer les offres au regard des critères de sélection ; que, par suite, la société X n'est pas fondée à soutenir que la communauté d'agglomération Seine-Eure aurait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en s'abstenant d'indiquer, dans les documents de la consultation, les conditions dans lesquelles seraient déterminés le montant financier de l'offre la moins-disante et le montant financier de l'offre considérée, qui serviraient de bases à la notation des offres relativement au critère du prix ;

11. Considérant, en quatrième lieu, que, contrairement à ce que soutient la société X, la communauté d'agglomération Seine-Eure a indiqué aux candidats, dans les documents de la consultation, l'étendue de son besoin en ce qui concernait le tonnage des déchets devant être traités par eux ; qu'en effet, l'article 7.4 du cahier des clauses techniques particulières a indiqué que les tonnages transférés au titre de l'année 2010 étaient de 18 200 tonnes pour le transport et le déchargement des ordures ménagères, de 3 400 tonnes pour celui des déchets verts, de 3 050 tonnes pour celui des encombrants et de 1 300 tonnes pour celui des emballages ; qu'il résulte du rapport d'analyse des offres que ces tonnages ont été appliqués aux prix unitaires proposés par les candidats pour chacune de ces prestations ; que, par suite, la société X n'est pas fondée à soutenir que la communauté d'agglomération Seine-Eure aurait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne donnant aux candidats aucune estimation des quantités attendues qui, appliquée aux prix unitaires proposés par eux, aurait rendu possible une comparaison objective des offres ;

12. Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte de l'instruction que, dans leur mémoire technique, les candidats devaient indiquer " l'organisation du personnel affecté au service, en particulier pour assurer la permanence du midi ", cet élément faisant l'objet du
sous-critère n° 3 du critère de la valeur technique ; que, contrairement à ce que soutient la société X, ce sous-critère n'imposait pas aux candidats de fournir le " planning " détaillé du personnel affecté au service ; que, par suite, la société n'est fondée à soutenir ni que l'offre du groupement Y aurait été incomplète et donc irrégulière au motif qu'elle n'indiquait pas, ainsi que l'a relevé le rapport d'analyse des offres, les horaires des agents du quai de transfert, ni qu'il appartenait à la communauté d'agglomération Seine-Eure, pour ce même motif, soit d'éliminer cette offre sans l'examiner ni la noter, soit d'inviter le groupement à préciser la teneur de son offre sur ce point en application des dispositions du I de l'article 59 du code des marchés publics ;

13. Considérant, en sixième lieu, qu'il résulte de l'instruction, en particulier de la consultation du mémoire technique produit par la société X, que l'offre de cette dernière ne comportait aucune contradiction s'agissant du nombre de semi-remorques mis à disposition pour effectuer le service, élément qui faisait l'objet du sous-critère n° 2 du critère de la valeur technique, ce document indiquant sans ambiguïté que seraient mis à disposition sept semi-remorques " de logistique " et deux semi-remorques " de route ", soit au total neuf
semi-remorques, nombre correspondant à l'estimation des besoins en matériel indiquée à l'article 7.5 du cahier des clauses techniques particulières ; qu'ainsi, la communauté d'agglomération Seine-Eure ne pouvait se fonder sur la contradiction existant dans l'offre de la société X s'agissant du nombre de semi-remorques mis à disposition pour effectuer le service, pour minorer la note attribuée à celle-ci au titre du sous-critère n° 2 ; que, toutefois, ce manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence n'est pas susceptible d'avoir lésé la société X dès lors que, quand bien même celle-ci se serait vu attribuer la note maximale pour ce sous-critère, et, de ce fait, la note maximale pour le critère de la valeur technique, cela ne lui aurait pas permis pour autant d'être mieux classée que l'entreprise concurrente et de se voir attribuer le marché, en raison de l'écart de notation important (près de quatre points) existant entre son offre et celle du groupement Y au titre du critère, prépondérant, du prix ;

14. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte de l'instruction que si l'article II de la section IV du règlement de la consultation et l'article IV.2 de la section V du même règlement ont indiqué que la valeur technique des offres serait analysée sur le fondement d'un mémoire technique fourni par les candidats noté sur 40, l'addition du nombre de points affecté à chacun des trois sous-critères du critère de la valeur technique énoncés par ce même article IV.2, conduisait à un total de 30 points, et non de 40, pour ce critère ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit, cette discordance existant dans le règlement de la consultation s'agissant de la notation du mémoire technique, et donc, par là même, de la valeur technique des offres, n'est pas susceptible d'avoir lésé la société X, qui a obtenu la note maximale de 20 sur 20 pour le sous-critère affecté par la discordance ci-dessus rappelée tandis que le groupement attributaire a obtenu, pour ce même sous-critère, une note de 18 sur 20, l'offre de la société X n'ayant été classée seconde qu'en raison de l'écart qui la séparait de celle de sa concurrente sur le critère du prix ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la demande de référé de la société X doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, au même titre, à la charge de cette société le versement à la communauté d'agglomération Seine-Eure d'une somme totale de 4 500 euros pour les procédures suivies devant le tribunal administratif de Rouen et devant le Conseil d'Etat ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 14 mai 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen est annulée.
Article 2 : La demande en référé présentée par la société X est rejetée.
Article 3 : La société X versera une somme de 4 500 euros à la communauté d'agglomération Seine-Eure en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération Seine-Eure et à la société X.