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Tribunal administratif de Marseille, 6 mars 2014, n° 1003884 (Durée quotidienne de travail - Douze heures - Continuité du service public - Comité technique d'établissement - Avis - Illégalité)

L’Assistance publique-hôpitaux de Marseille a organisé le régime horaire du service des urgences selon un rythme de douze heures de jour ou de nuit. Un syndicat départemental demande au tribunal d’annuler cette décision.

Le juge rappelle que «lorsque les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence, le chef d'établissement peut, après avis du comité technique d'établissement, ou du comité technique paritaire, déroger à la durée quotidienne du travail fixée pour les agents en travail continu, sans que l'amplitude de la journée de travail ne puisse dépasser 12 heures ». En l’espèce, la nouvelle organisation du travail prévue devait « optimiser les conditions de travail et dynamiser le contexte de recrutement des personnels infirmiers ». Elle devait aussi permettre « une meilleure adaptation de l’organisation à la charge de travail et une coopération renforcée entre équipes et professions », ou encore permettre à l’AP-HM « de retrouver une attractivité réelle pour le recrutement des infirmiers ». Le juge considère qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’une contrainte de continuité du service public exige en permanence que la durée quotidienne du travail atteigne douze heures. Ainsi, la décision d’organiser le régime horaire du service des urgences est jugée illégale et doit être annulée.

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE MARSEILLE

N°1003884

 

Syndicat départemental X.

M. Gonneau Rapporteur

M. Cirefice Rapporteur public

 

Audience du 20 février 2014

Lecture du 6 mars 2014

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

Le Tribunal administratif de Marseille
(4ème Chambre)

Vu la requête, enregistrée le 15 juin 2010, présentée pour le syndicat départemental X. , représenté par son secrétaire, M. Y., dont le siège est …, par Me Bruschi ;

le syndicat départemental X. demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle, à la suite du relevé de décision n° 5 du comité technique d’établissement extraordinaire du 18 mai 2010 délivré le 25 mai 2010, le directeur général de l’assistance publique-hôpitaux de Marseille a porté la durée quotidienne de travail à douze heures au service des urgences de l’hôpital A. à compter du 31 mai 2010 ;

2°) de lui allouer la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- la consultation nécessaire du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail n’a pas été effectuée ;

- la décision en cause a été prise de fait avant la consultation obligatoire du comité technique d’établissement ;

- la décision n’est pas justifiée par le critère légal de l’existence de contraintes de continuité du service public ;

 

Vu la décision attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 24 décembre 2010 et régularisé le 28 décembre 2010, présenté par l'assistance publique-hôpitaux de Marseille, représenté par son directeur général, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du requérant la somme de 5 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

elle fait valoir que :

- elle réitère ses écritures concernant les moyens de recevabilité indiqués dans le mémoire en défense dans le cadre du référé suspension, à savoir le caractère préparatoire de l'acte attaqué, l'intérêt et la capacité à agir du syndicat ;

- la modification d'horaire n'était pas suffisamment importante pour entraîner la consultation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ;

- le tableau de service a été porté à la connaissance du personnel dans le délai réglementaire ;

- le comité technique d'établissement a été consulté ;

- le nouveau dispositif horaire est motivé par la continuité du service public ;

- la modification des horaires ne peut se faire sur la base du volontariat ;

- le temps de travail n'est pas allongé par le temps des transmissions ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 avril 2011, présenté pour le syndicat départemental X. qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 3 février 2014, présenté par l'assistance publique-hôpitaux de Marseille qui demande au tribunal de constater qu'il n'y a plus lieu à statuer sur la requête ;

elle fait valoir que le nouveau dispositif horaire a été soumis à l'avis du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ;

Vu le mémoire, enregistré le 6 février 2014, présenté pour le syndicat départemental X. qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-3 3 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 février 2014 ;

- le rapport de M. Gonneau, rapporteur ;

- les conclusions de M. Cirefice, rapporteur public ;

- et les observations de Me Bruschi ;

 

1.    Considérant que, dans le cadre du regroupement des services d’urgence des hôpitaux B. et A., l’assistance publique-hôpitaux de Marseille a organisé le régime horaire de ce service selon un rythme de douze heures de jour ou de nuit ; que cette décision, non formalisée, est notamment révélée, au regard des pièces du dossier, par l’affichage le 17 mai 2010 de l’organisation du travail dans le service des urgences ; que le syndicat départemental X. demande au tribunal d’annuler cette décision ; que la circonstance que ce nouveau dispositif horaire ait, depuis la décision litigieuse, été soumis à l'avis du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui n’a pas eu pour effet de retirer la décision litigieuse, ne prive pas d’objet le présent litige ;

 

Sur les fins de non-recevoir :

2.    Considérant que l’assistance publique-hôpitaux de Marseille se borne à faire valoir qu’elle réitère ses écritures concernant les moyens de recevabilité indiqués dans le mémoire en défense dans le cadre du référé suspension à savoir le caractère préparatoire de l'acte attaqué, l'intérêt et la capacité à agir du syndicat ; qu’alors qu’il ressort des pièces du dossier que le syndicat requérant a intérêt pour agir, le mémoire en défense précité n’étant pas joint aux écritures, la fin de non-recevoir tirée uniquement de « l’intérêt à agir » du syndicat n’est pas assortie des précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé et doit être écartée ;

3.    Considérant que la fin de non-recevoir soulevée par l’assistance publique-hôpitaux de Marseille relative à « la capacité à agir » du syndicat doit être interprétée comme relative à l’absence de décision des instances compétentes de former un recours contre la décision attaquée ; que, toutefois, le syndicat requérant a régularisé sa requête en produisant, sur demande du tribunal, la décision du 3 juin 2010 par laquelle le conseil départemental du syndicat, conformément aux statuts du syndicat, a décidé d’introduire le présent recours ; que, par suite, la fin de non-recevoir doit être écartée ;

4.    Considérant que la fin de non-recevoir tirée du caractère préparatoire de l’acte attaqué, doit être écartée dès lors qu’ainsi qu’il a été dit au point 1, l’acte attaqué prévoit le régime horaire du service des urgences, l’avis du comité technique d’établissement n’étant pas l’objet du présent recours ;

 

Sur la légalité de la décision :

5.    Considérant qu’aux termes du 1° de l’article 7 du décret du 4 janvier 2002 : « (…) En cas de travail continu, la durée quotidienne de travail ne peut excéder 9 heures pour les équipes de jour, 10 heures pour les équipes de nuit. Toutefois lorsque les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence, le chef d'établissement peut, après avis du comité technique d'établissement, ou du comité technique paritaire, déroger à la durée quotidienne du travail fixé e pour les agents en travail continu, sans que l'amplitude de la journée de travail ne puisse dépasser 12 heures. … » ;

6.    Considérant qu’il ressort du dossier présenté au comité technique d’établissement extraordinaire du 18 mai 2010, sous le titre « les incidences du transfert », que la nouvelle organisation du travail prévue « doit être mise en place afin d’optimiser les conditions de travail et dynamiser le contexte de recrutement des personnels infirmiers » ; qu’elle devait aussi permettre « une meilleure adaptation de l’organisation à la charge de travail et une coopération renforcée entre équipes et professions » ; qu’il ressort aussi d’un courrier du directeur général de l’assistance publique-hôpitaux de Marseille en date du 23 mars 2010 que celui-ci constate que les horaires de douze heures sont une organisation du travail demandée par les jeunes recrues et un facteur d’attractivité ; qu’il ressort encore d’un courrier du même directeur général en date du 10 mars 2010 adressé à la secrétaire générale du syndicat X., que celui-ci estime que la contrainte de service public, la permanence du service et la qualité du travail du personnel sortent renforcées de cette organisation qui par ailleurs rend attractifs ces postes ; qu’il résulte enfin de la note d’information du 15 avril 2010 concernant l’organisation du travail en douze heures que cette organisation « permet à l’assistance publique-hôpitaux de Marseille de retrouver une attractivité réelle pour le recrutement des infirmiers », « permet par ailleurs une harmonisation des conditions de travail entre les personnels de jour et ceux de nuit », « impose une traçabilité exemplaire entre les équipes soignantes » et « est un gage de qualité des soins » ;

7.    Considérant que, devant le tribunal, l’assistance publique-hôpitaux de Marseille fait seulement valoir qu’elle n’a eu de cesse de motiver le nouveau dispositif horaire pour des raisons tenant à la continuité du service public, et en particulier la nécessaire homogénéisation du temps de travail sur le pôle C. entre les services d’urgence de l’hôpital B. et de l’hôpital A. ;

8.    Considérant qu’il résulte des dispositions réglementaires précitées que la durée quotidienne de travail dans les établissements hospitaliers ne peut atteindre douze heures que si les contraintes de continuité du service public l’exigent en permanence ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’une telle contrainte existait en l’espèce ; qu’en particulier, le problème de recrutement de personnels infirmiers au sein du service des urgences n’est pas documenté et ne peut être regardé dès lors ni comme mettant en danger la continuité des soins, ni comme pouvant être résolu par l’instauration de l’organisation du travail contestée ; que, par ailleurs, il n’est pas justifié de ce que l’absence d’homogénéité du temps de travail entre les services d’urgences porterait atteinte à la continuité du service public ;

9.    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’existence du motif légal permettant au directeur général de l’assistance publique-hôpitaux de Marseille de déroger à la durée réglementaire du temps de travail n’est pas établi ; que, pour cette seule raison, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la décision d’organiser le régime horaire du service des urgences de l’hôpital A. selon un rythme de douze heures de jour ou de nuit est illégale et doit être annulée ;

 

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10.        Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;

11. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’assistance publique-hôpitaux de Marseille à verser au syndicat départemental X. la somme de 1 000 euros qu’il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

 

D E C I D E :

Article 1er:La décision d’organiser le régime horaire du service des urgences de l’hôpital A. selon un rythme de douze heures de jour ou de nuit est annulée.

Article 2 : L’assistance publique-hôpitaux de Marseille versera la somme de 1 000 (mille) euros au syndicat départemental X. en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au syndicat départemental X. et à l'assistance publique-hôpitaux de Marseille.