Le conseil municipal de A. a, par délibération, attribué au groupement constitué par les sociétés Y. et Z. une délégation de service public ayant pour objet la conception, la réalisation, le financement et l'exploitation d'une chaufferie au bois et d'un réseau de chaleur sur le territoire de la commune. Saisi par la société X., le juge des référés du tribunal administratif de Pau a, sur le fondement des dispositions régissant le référé précontractuel, annulé la délibération du conseil municipal de la commune A. du 31 octobre 2013 en tant qu'elle a décidé d'attribuer la concession de service public de chauffage urbain de la ville au groupement d'entreprises Y./Z. et autorisé le maire à signer le contrat correspondant. Les sociétés Y. et Z. se sont pourvues en cassation contre cette ordonnance. Le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi notamment au motif que « le respect du principe d'égalité entre les candidats et les règles de mise en concurrence qui découlent des dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT exigent que, lorsque des négociations sont menées avec plusieurs entreprises à la suite de la remise des offres et que l'autorité délégante fixe à ces entreprises un délai de remise de nouvelles offres, ce nouveau délai ne soit pas prorogé pour une partie seulement des entreprises intéressées ». |
Conseil d'État
N° 374438
7ème et 2ème sous-sections réunies
Mme Catherine de Salins, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats
lecture du mercredi 26 mars 2014
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 7, 20 et 31 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Y., dont le siège est …et pour la société Z., dont le siège est situé à la même adresse ; les requérantes demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1301989 du 23 décembre 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, sur la demande de la société X., annulé la délibération du conseil municipal de la commune A. du 31 octobre 2013 en tant qu'elle décide d'attribuer la concession de service public de chauffage urbain de la ville au groupement d'entreprises Y./Z. et autorise le maire à signer le contrat correspondant ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société X. ;
3°) de mettre à la charge de la société X. le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 mars 2014, présentée pour la société Y. et la société Z. ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 mars 2014, présentée pour la société X. ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine de Salins, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Y. et de la société Z., et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société X. ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. " ;
2. Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a, par l'ordonnance attaquée, annulé à la demande de la société X., dont l'offre n'avait pas été retenue, la délibération du conseil municipal A. attribuant au groupement constitué par les sociétés Y. et Z. la délégation de service public ayant pour objet la conception, la réalisation, le financement et l'exploitation d'une chaufferie au bois et d'un réseau de chaleur sur le territoire de la commune ; que les sociétés Y. et Z. se pourvoient en cassation contre cette ordonnance ;
3. Considérant qu'en vertu de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, les délégations de service public sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes ; que, selon le dernier alinéa de cet article " Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire " ;
4. Considérant, en premier lieu, que si l'ordonnance attaquée vise le code des marchés publics dont les dispositions n'étaient pas applicables au litige, les sociétés requérantes, qui ne soutiennent pas que ce visa créerait une ambiguïté sur les textes dont le juge des référés a fait application, ne sauraient utilement soutenir que la seule présence de ce visa entacherait l'ordonnance d'irrégularité ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'en soulevant devant le juge des référés précontractuels un moyen tiré de ce qu'elle n'aurait pas disposé, au terme de la procédure de négociation des offres, du même délai que son concurrent pour déposer son offre définitive, la société X. se prévalait d'un manquement qui, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapportait, était susceptible de l'avoir lésée ; que, par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu'en accueillant ce moyen, le juge des référés précontractuels aurait fait droit à un moyen inopérant ;
6. Considérant, en troisième lieu, que le respect du principe d'égalité entre les candidats et les règles de mise en concurrence qui découlent des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales exigent que, lorsque des négociations sont menées avec plusieurs entreprises à la suite de la remise des offres et que l'autorité délégante fixe à ces entreprises un délai de remise de nouvelles offres, ce nouveau délai ne soit pas prorogé pour une partie seulement des entreprises intéressées ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'au terme de la négociation qu'elle avait conduite avec la société X. et avec le groupement des sociétés Y. et Z., la commune A. a demandé à chacun de ces deux concurrents restant en lice de remettre avant le 2 août 2013 une offre définitive qui ne serait plus susceptible d'aucune modification ; que l'offre alors remise par le groupement des sociétés Y. et Z. prévoyait que la société Y., titulaire de la concession, pourrait déléguer le financement et la maîtrise d'ouvrage des travaux de premier établissement à la société Z., laquelle devait être cédée à un tiers investisseur ; que toutefois, invité par la commune, après l'expiration de ce délai, à apporter toutes précisions sur ce tiers investisseur, le groupement l'a informée de la défaillance de celui-ci et a modifié son offre ; qu'ainsi, l'offre du groupement des sociétés Y. et Z. sur laquelle le conseil municipal a délibéré le 31 octobre 2013 pour lui attribuer la délégation de service public ne comportait plus de possibilité de subdélégation et reposait sur un autre schéma de financement ;
8. Considérant qu'en jugeant que l'offre du groupement des sociétés Y. et Z. retenue le 31 octobre 2013 par la commune A. ne constituait, ni la même offre que celle déposée par ce groupement le 2 août précédent ni une de ses variantes, mais une nouvelle offre déposée au-delà du délai fixé par la commune A. pour la remise des offres définitives, et que le groupement des sociétés Y. et Z. devait, par suite, être regardé comme ayant bénéficié d'une prolongation du délai de dépôt de son offre définitive, le juge des référés précontractuels a, sans les dénaturer, souverainement apprécié les faits qui lui étaient soumis ;
9. Considérant que le juge des référés précontractuels a pu, alors, sans commettre d'erreur de droit ni qualifier inexactement les faits, juger que ce délai supplémentaire exclusivement octroyé au groupement des sociétés Y. et Z. portait atteinte à l'égalité de traitement entre les deux candidats, alors même que l'offre concurrente de X. déposée le 2 août 2013 ne comportait pas de faculté de subdélégation ; qu'il a pu, à bon droit, en déduire que ce manquement entachait d'irrégularité la procédure de passation de la convention de délégation, à compter du stade de l'analyse des offres remises le 2 août 2013 ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Y. et Z. ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à leur charge le versement de la somme de 3 000 euros à la société X. en application de ces mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de la société Y. et de la société Z. est rejeté.
Article 2 : Les sociétés Y. et Z. verseront la somme de 3 000 euros à la société X. au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Y., à la société Z., à la société X ;