Saisi de demandes d’interprétation portant sur la combinaison des dispositions relatives à la répétition des créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents avec la règle issue de la jurisprudence Ternon (l’administration dispose d’un délai de quatre mois maximum, à compter de la prise de décision, pour retirer un acte individuel créateur de droits entaché d’illégalité, que le délai de recours ait ou non couru à l’égard des tiers et que l’acte soit ou non devenu définitif à l’égard de ceux-ci). Le Conseil d’Etat estime qu’en principe, « l'administration ne peut procéder à la répétition de sommes indûment versées en application d'une décision créatrice de droits illégale si elle ne procède pas à son retrait et ne peut plus le faire si le délai de retrait applicable est expiré ». Il poursuit : « une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée ». Il est précisé que « ces dispositions sont applicables aux différents éléments de la rémunération d'un agent de l'administration. Si l'indemnité versée à un agent public irrégulièrement évincé a notamment pour but de compenser la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, elle tend également à réparer les préjudices de toute nature résultant de l'éviction irrégulière compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et, le cas échéant, des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé. Cette indemnité ne peut, par voie de conséquence, être assimilée à une rémunération, susceptible en cas de versement indu, de faire l'objet d'une répétition dans les conditions et selon les modalités fixées par les dispositions législatives citées ci-dessus ». Ainsi , « eu égard à la possibilité donnée par les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 à l'administration de demander le remboursement des sommes qui seront versées en application de la décision illégalement retirée, l'annulation par le juge du retrait de la décision illégale attribuant un avantage financier à l'agent au motif qu'il est intervenu postérieurement à l'expiration du délai de retrait n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint à l'administration de verser les sommes correspondantes à l'agent si elles ne l'ont pas été, en tout ou partie, avant qu'intervienne le retrait. Il lui appartient seulement de lui enjoindre de réexaminer la situation de l'agent. De même, l'administration n'est pas tenue de verser les sommes dues en application d'une décision illégale attribuant un avantage financier qu'elle ne peut plus retirer dès lors qu'elle pourrait les répéter dès leur versement ». |
Avis n°s 376501, 376573 du 28 mai 2014
Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 7e et 2e sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 7e sous-section de la section du contentieux,
Vu 1°, sous le numéro 376501, enregistré le 19 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement n° 1202309 du 13 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Dijon, avant de statuer sur la demande de M. X. tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 août 2012 du maire de Y. retirant les précédents arrêtés le plaçant en congé de longue maladie, puis de longue durée du 19 août 2008 au 18 août 2012, et ne lui accordant plus qu'un plein traitement pour la période du 19 août 2008 au 18 août 2011 et un demi-traitement du 19 août 2011 au 18 août 2012 au lieu d'un plein traitement pendant toute la période, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° Comment doivent se combiner les dispositions législatives exposées à l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011 avec la règle d'origine jurisprudentielle sur le retrait des décisions administratives issue de la décision Ternon ?
2° Notamment les dispositions législatives ont-elles pour effet de suspendre le caractère créateur de droits de la décision retirée portant ainsi le délai de retrait aux deux années prévues par l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 et, dans l'affirmative, suspendent-elles le caractère créateur de droits de l'ensemble de la décision retirée ou de ses seules dispositions pécuniaires ? Y a-t-il lieu au contraire d'annuler la décision de retrait intervenue plus de quatre mois après la décision retirée quitte à ce que les effets pécuniaires soient entièrement annihilés par la mise en œuvre des dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 ? Y a-t-il lieu, en cas d'annulation de la décision de retrait, d'enjoindre à l'administration de verser la somme en litige, quitte à ce que, en application de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, l'administration puisse mettre en recouvrement la somme récemment versée ?
Vu les observations, enregistrées le 25 avril 2014, présentées par le ministre des finances et des comptes publics ;
Vu 2°, sous le numéro 376573, enregistré le 20 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement n° 1201642-1201919 du 13 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Dijon a, avant de statuer sur les demandes de M. Z. tendant, pour l'une, d'une part, à l'annulation de la décision du 19 juillet 2012 du président du conseil général W. retirant une précédente décision du 13 février 2012 lui annonçant le versement d'une somme de 20 843,97 euros et lui demandant le remboursement d'une somme de 9 318,91 euros et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au département W. de lui verser la somme de 20 843,97 euros sous astreinte de cent euros par jour de retard et, pour l'autre, à l'annulation du titre exécutoire émis à la demande du département W. pour le recouvrement d'une somme de 9 318,91 euros, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° Les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011 sont-elles applicables aux seules rémunérations proprement dites des agents d'une personne publique ou sont-elles également applicables à des sommes qui, en application de la jurisprudence Deberles, ont formellement le caractère d'indemnités mais ont pour objet et pour effet de compenser le non-versement de traitements dus ?
2° Comment doivent se combiner les dispositions législatives exposées à l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011 avec la règle d'origine jurisprudentielle sur le retrait des décisions administratives issue de la décision Ternon ?
3° Notamment les dispositions législatives ont-elles pour effet de suspendre le caractère créateur de droits de la décision retirée portant ainsi le délai de retrait aux deux années prévues par l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 et, dans l'affirmative, suspendent-elles le caractère créateur de droits de l'ensemble de la décision retirée ou de ses seules dispositions pécuniaires ? Y a-t-il lieu au contraire d'annuler la décision de retrait intervenue plus de quatre mois après la décision retirée quitte à ce que les effets pécuniaires soient entièrement annihilés par la mise en œuvre des dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 ? Y a-t-il lieu, en cas d'annulation de la décision de retrait, d'enjoindre à l'administration de verser la somme en litige, quitte à ce que, en application de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, l'administration puisse mettre en recouvrement la somme récemment versée ?
Vu les observations, enregistrées le 1er avril 2014, présentées par A. ;
Vu les observations, enregistrées le 25 avril 2014, présentées par le ministre des finances et des comptes publics ;
Vu les, nouvelles observations, enregistrées le 6 mai 2014, présentées par A. ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 mai 2014, présentée par A. ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, modifiée notamment par la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 ;
Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 113-1 et R. 113-1 à R. 113-4 ;
Après avoir entendu en séance publique :
― le rapport de Mme Natacha Chicot, auditeur,
― les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public,
Rend l'avis suivant :
1. Les jugements ci-dessus visés du tribunal administratif de Dijon soumettent au Conseil d'Etat des questions de droit, pour partie identiques, portant sur l'interprétation des mêmes dispositions législatives. Il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un même avis.
2. Sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. En principe, l'administration ne peut procéder à la répétition de sommes indûment versées en application d'une décision créatrice de droits illégale si elle ne procède pas à son retrait et ne peut plus le faire si le délai de retrait applicable est expiré.
3. L'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011, dispose toutefois que : « Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. / Toutefois, la répétition des sommes versées n'est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l'absence d'information de l'administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d'avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d'informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale. / Les deux premiers alinéas ne s'appliquent pas aux paiements ayant pour fondement une décision créatrice de droits prise en application d'une disposition réglementaire ayant fait l'objet d'une annulation contentieuse ou une décision créatrice de droits irrégulière relative à une nomination dans un grade lorsque ces paiements font pour cette raison l'objet d'une procédure de recouvrement. »
4. Il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Dans les deux hypothèses mentionnées au deuxième alinéa de l'article 37-1, la somme peut être répétée dans le délai de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil.
5. Ces dispositions sont applicables aux différents éléments de la rémunération d'un agent de l'administration. Si l'indemnité versée à un agent public irrégulièrement évincé a notamment pour but de compenser la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, elle tend également à réparer les préjudices de toute nature résultant de l'éviction irrégulière compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et, le cas échéant, des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé. Cette indemnité ne peut, par voie de conséquence, être assimilée à une rémunération, susceptible en cas de versement indu, de faire l'objet d'une répétition dans les conditions et selon les modalités fixées par les dispositions législatives citées ci-dessus.
6. Eu égard à la possibilité donnée par les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 à l'administration de demander le remboursement des sommes qui seront versées en application de la décision illégalement retirée, l'annulation par le juge du retrait de la décision illégale attribuant un avantage financier à l'agent au motif qu'il est intervenu postérieurement à l'expiration du délai de retrait n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint à l'administration de verser les sommes correspondantes à l'agent si elles ne l'ont pas été, en tout ou partie, avant qu'intervienne le retrait. Il lui appartient seulement de lui enjoindre de réexaminer la situation de l'agent. De même, l'administration n'est pas tenue de verser les sommes dues en application d'une décision illégale attribuant un avantage financier qu'elle ne peut plus retirer dès lors qu'elle pourrait les répéter dès leur versement en application des dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Dijon, à M. X. et à M. Z. ainsi qu'au ministre des finances et des comptes publics. Il sera publié au Journal officiel de la République française.