Dans leur saisine, les requérants estimaient que "la suppression de l'exigence selon laquelle le droit de la femme de demander l'interruption de sa grossesse est conditionné à une situation de détresse n'est pas justifiée" et qu'elle "romprait le compromis et l'équilibre résultant de la loi du 17 janvier 1975 et porterait dès lors atteinte « au principe du respect de l'être humain dès le commencement de sa vie » ", le Conseil constitutionnel décide que "la loi du 17 janvier 1975 a autorisé une femme à demander l'interruption volontaire de sa grossesse lorsque « son état » la « place dans une situation de détresse » ; que ces dispositions réservent à la femme le soin d'apprécier seule si elle se trouve dans cette situation ; que la modification, par l'article 24, de la rédaction des dispositions de la première phrase de l'article L. 2212-1, qui prévoit que la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut en demander l'interruption à un médecin, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ; que, par suite, cet article doit être déclaré conforme à la Constitution". |
Décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014
(LOI POUR L'ÉGALITÉ RÉELLE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES)
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, le 24 juillet 2014, par MM. Jean-Claude GAUDIN, Gérard BAILLY, René BEAUMONT, Michel BÉCOT, Joël BILLARD, Jean BIZET, Mme Françoise BOOG, M. Pierre BORDIER, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, MM. Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Christian COINTAT, Gérard CORNU, Raymond COUDERC, Jean-Patrick COURTOIS, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Robert DEL PICCHIA, Gérard DÉRIOT, Mme Catherine DEROCHE, MM. Eric DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, MM. Alain DUFAUT, Louis DUVERNOIS, Jean-Paul EMORINE, André FERRAND, Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, René GARREC, Jacques GAUTIER, Patrice GÉLARD, Bruno GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, François GROSDIDIER, Charles GUENÉ, Pierre HÉRISSON, Michel HOUEL, Alain HOUPERT, Jean-François HUMBERT, Mme Christiane HUMMEL, MM. Benoît HURÉ, Jean-François HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Mmes Sophie JOISSAINS, Christiane KAMMERMANN, M. Roger KAROUTCHI, Mme Elisabeth LAMURE, MM. Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, Daniel LAURENT, Antoine LEFÈVRE, Jacques LEGENDRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Claude LENOIR, Gérard LONGUET, Roland du LUART, Michel MAGRAS, Philippe MARINI, Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Albéric de MONTGOLFIER, Louis NÈGRE, Philippe PAUL, Jackie PIERRE, Rémy POINTEREAU, Ladislas PONIATOWSKI, Hugues PORTELLI, Mme Sophie PRIMAS, MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Bruno SIDO, Mme Esther SITTLER, M. André TRILLARD, Mme Catherine TROENDLÉ, MM. François TRUCY et Jean-Pierre VIAL, sénateurs.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 28 juillet 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ; qu'ils mettent en cause la conformité à la Constitution de son article 24 ;
Sur l'article 24 :
2. Considérant que, dans sa rédaction résultant de l'article 4 de la loi du 17 janvier 1975 susvisée, la première phrase de l'article L. 162-1 du code de la santé publique, devenu son article L. 2212-1, dispose : « La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse » ; que l'article 24 de la loi déférée remplace les mots : « que son état place dans une situation de détresse » par les mots : « qui ne veut pas poursuivre une grossesse » ;
3. Considérant que, selon les requérants, la suppression de l'exigence selon laquelle le droit de la femme de demander l'interruption de sa grossesse est conditionné à une situation de détresse n'est pas justifiée ; qu'elle romprait le compromis et l'équilibre résultant de la loi du 17 janvier 1975 et porterait dès lors atteinte « au principe du respect de l'être humain dès le commencement de sa vie » ;
4. Considérant que la loi du 17 janvier 1975 a autorisé une femme à demander l'interruption volontaire de sa grossesse lorsque « son état » la « place dans une situation de détresse » ; que ces dispositions réservent à la femme le soin d'apprécier seule si elle se trouve dans cette situation ; que la modification, par l'article 24, de la rédaction des dispositions de la première phrase de l'article L. 2212-1, qui prévoit que la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut en demander l'interruption à un médecin, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ; que, par suite, cet article doit être déclaré conforme à la Constitution ;
Sur les paragraphes II et III de l'article 74 :
5. Considérant qu'aux termes des paragraphes II et III de l'article 74 de la loi déférée : « II. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance les mesures relevant de la loi nécessaires pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes au sein des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
« III. - L'ordonnance mentionnée au II est prise dans le délai de douze mois à compter de la date de promulgation de la présente loi.
« Un projet de loi portant ratification de l'ordonnance est déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du troisième mois suivant la publication de celle-ci » ;
6. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi » ; qu'il résulte de cette disposition que seul le Gouvernement peut demander au Parlement l'autorisation de prendre de telles ordonnances ;
7. Considérant que l'article 38 de la Constitution fait également obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention ;
8. Considérant que l'autorisation délivrée au Gouvernement par les paragraphes II et III de l'article 74 permet de modifier, aux fins de favoriser la parité, les dispositions législatives relatives aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes ; qu'ainsi qu'il résulte des travaux préparatoires, l'article 23 du projet de loi déposé sur le bureau du Sénat prévoyait une demande d'habilitation à légiférer par voie d'ordonnances pour prendre les mesures relevant de la loi nécessaires pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes « au sein d'autorités administratives indépendantes et de commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre, des ministres ou de la Banque de France mentionnées à l'article 112 de la loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 de finances pour 1996, dont la composition est collégiale » ; qu'au cours de la discussion parlementaire, la rédaction de ces dispositions, supprimées lors d'une lecture par une assemblée puis rétablies par amendement du Gouvernement en deuxième lecture au Sénat, a visé les autorités « dont la composition est collégiale » ; qu'en outre, lors du rétablissement de la disposition, l'énumération a été complétée par la mention des « autorités publiques indépendantes… dont la composition est collégiale » ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, lors de la réunion de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, aucune demande d'habilitation présentée par le Gouvernement ne portait sur les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes dont la composition n'est pas collégiale ; que si la commission mixte paritaire pouvait élaborer un texte réduisant le champ ou la portée de l'habilitation, elle ne pouvait, à l'inverse, étendre le champ de cette habilitation restant en discussion sans méconnaître les exigences du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution ; que, par suite, les dispositions des paragraphes II et III de l'article 74 ne sauraient être interprétées que comme autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes au sein des seuls collèges des instances qualifiées d'« autorités administratives indépendantes » et « autorités publiques indépendantes » par la loi ; que, sous cette réserve, les dispositions des paragraphes II et III de l'article 74 doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
Sur la place d'autres dispositions dans la loi déférée :
10. Considérant qu'il ressort de l'économie de l'article 45 de la Constitution, et notamment de son premier alinéa, que les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées à un projet ou une proposition de loi, après la première lecture, par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion, c'est-à-dire qui n'a pas été adoptée dans les mêmes termes par l'une et l'autre assemblées ; que, toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ;
11. Considérant que l'article 7 a pour objet d'étendre la liste des cas dans lesquels, en raison d'un licenciement fautif, le juge ordonne le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités ;
12. Considérant que l'article 10 prévoit que, lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu en méconnaissance des dispositions du code du travail relatives, d'une part, à la protection de la salariée en état de grossesse et, d'autre part, à la discrimination et au harcèlement sexuel, il octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois, sans préjudice de l'indemnité de licenciement ;
13. Considérant que les amendements dont sont issues les dispositions susmentionnées ont été introduits en deuxième lecture au Sénat ; que ces adjonctions n'étaient pas, à ce stade de la procédure, en relation directe avec une disposition restant en discussion ; qu'elles n'étaient pas non plus destinées à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ; qu'il s'ensuit que les articles 7 et 10 ont été adoptés selon une procédure contraire à la Constitution ; qu'ils doivent être déclarés contraires à cette dernière ;
14. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :
L'article 24 de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes est conforme à la Constitution.
Article 2
Sous la réserve énoncée au considérant 9, les paragraphes II et III de l'article 74 de la même loi sont conformes à la Constitution.
Les articles 7 et 10 de la même loi sont contraires à la Constitution.
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 juillet 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le président,
Jean-Louis Debré