Dans cette affaire, le Tribunal administratif de Rennes devait trancher la question de savoir si un Centre hospitalier, en sa qualité d’adhérent à un groupement de commande, peut légalement s’écarter de ce groupement et conclure un marché distinct portant sur des prestations identiques. Le TA répond par la négative et censure le marché conclu par le centre hospitalier dissident en considérant que ce dernier « avait l’obligation de respecter le droit d’exclusivité créé par les dispositions précitées [articles 5 et 77 du code des marchés publics] au profit des attributaires des différents lots du marché X, sans qu’il puisse utilement se prévaloir de la circonstance que ce marché ne couvrait pas les aspects de câblage des réseaux ni le lien de secours inter-site de type faisceau hertzien, qui constituaient des prestations marginales représentant de l’ordre de 2 % de la totalité de son propre marché ; que le centre hospitalier (…) ne saurait davantage invoquer, pour s’exonérer de ces obligations, la circonstance que le marché X conclu par le CHU (…) n’aurait pas pris en compte l’ouverture de nouveaux sites alors qu’il s’agissait justement d’un marché destiné à couvrir des besoins génériques adaptables à plusieurs sites ; qu’il n’est en outre pas allégué que le marché conclu avec la société B remplissait les conditions posées au III de l’article 77 précité du code des marchés publicspermettant au centre hospitalier (…) de s’affranchir de son obligation de recourir aux prestataires désignés dans le cadre du marché X ». La juridiction administrative affirme ainsi clairement le droit d’exclusivité du titulaire du marché passé par le groupement de commandes, dont la méconnaissance par l’un de ses membres est susceptible, comme dans la présente affaire, de constituer un vice d’une particulière gravité de nature à justifier l’annulation du marché dissident. |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE RENNES
N°1201735
Société X.
Mme Plumerault
Rapporteur
M. Report
Rapporteur public
Audience du 26 février 2015
Lecture du 26 mars 2015
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Rennes
(3ème Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 2 mai 2012, présentée pour la société X., dont le siège est…, représentée par son représentant légal en exercice, par Me Mairesse ;
La société X. demande au Tribunal :
- d’annuler le marché ayant pour objet la fourniture et prestations associées à la mise en place d’une nouvelle architecture de réseau IP, le remplacement du système de téléphonie et la maintenance du système de télécommunications au centre hospitalier Y. (lot n° 1), ou à défaut prononcer sa résiliation ;
- de condamner le centre hospitalier Y. lui verser la somme de 556 267,20 euros, sauf à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice subi du fait de l’attribution du marché litigieux à la société Z. ;
- de condamner le centre hospitalier Y. à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu’aux entiers dépens ;
Elle soutient que :
- elle est titulaire des lots 1 et 5 du marché organisé par le groupe de coopération sanitaire Uni.H.A. ; or, le centre hospitalier Y. a ouvert un nouveau marché ayant pratiquement le même objet qui a été attribué, en ce qui concerne le lot n°1, à la société Z. et pour lequel son offre a été rejetée ;
- les conditions de passation du marché public sont entachées de plusieurs irrégularités :
· l’article 5 du code des marchés publics a été méconnu puisque le centre hospitalier Y. a signé un marché alors que ses besoins étaient couverts par le marché Uni.H.A.; il a donc exigé des prestations excédant manifestement ses besoins ;
· le centre hospitalier Y. ne respecte pas ses obligations dans le cadre du groupement de commandes Uni.H.A., en violation de l’article 8 du code des marchés publics ; le centre hospitalier ne peut soutenir qu’il y avait urgence puisque le marché Uni.H.A. était notifié depuis longtemps quand a été attribué le marché séparé du centre hospitalier Y. ; ce marché séparé viole l’exclusivité dont elle bénéficie au titre du marché groupé dont elle est titulaire, notamment au regard des dispositions du I et du III de l’article 77 du code des marchés publics ;
· le principe d’égalité des candidats a été méconnu, le centre hospitalier ayant lui-même reconnu, devant le juge des référés précontractuels n’avoir pas transmis toutes les réponses qu’il apportait à certaines questions, à tous les candidats ;
- elle a subi, du fait de l’attribution du marché litigieux à la société Z. , un préjudice dont elle entend obtenir la réparation ; ce préjudice correspond à la perte de marge bénéficiaire d’un montant de 556 267,20 euros, comprenant les frais de présentation de son offre d’un montant de 46 414 euros ;
Vu la lettre en date du 12 juin 2012 par laquelle le centre hospitalier Y. a été mis en demeure, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, de produire, dans un délai de trente jours, ses observations en réponse à la requête susvisée ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 décembre 2012, présenté pour la société X., qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et demande en outre à ce qu’il soit enjoint au centre hospitalier Y. de communiquer, dans un délai de dix jours, copie de l’acte d’engagement du marché litigieux signé avec la société Z. du CCAP , du CCTP et des annexes de ce marché, de l’ensemble des délibérations du centre hospitalier Y. relatives à ce marché, du rapport d’analyse des offres et de ses éventuelles annexes, de l’acte de notification du marché, de la lettre de candidature (DC1), de la déclaration de candidat (DC2) ainsi que de l’état annuel des certificats reçus (NOTI 2) de la société Z. ;
Elle soutient en outre qu’elle a sollicité en vain la communication de ces documents auprès du centre hospitalier Y. les 9 janvier et 6 avril 2012 alors qu’ils sont communicables ;
Vu le mémoire, enregistré au greffe le 21 décembre 2012, présenté pour le centre hospitalier Y., représenté par son représentant légal, par Me Lahalle, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société X. à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- sur la demande d’annulation du marché :
· il a lancé sa propre consultation pour répondre à des besoins qui n’étaient pas couverts par le marché Uni.H.A., puisqu’il s’agit des sites de … et … qui n’avaient pas été intégrés dans ce marché lequel ne couvre pas le câblage des réseaux ni le lien de secours inter-site de type faisceau hertzien ; par ailleurs, l’article 77 du code des marchés publics offre la possibilité de passer des marchés à bons de commandes multi-attributaires sans que les dispositions de l’article 5 de ce code y fassent obstacle ;
· il n’a pas manqué à ses engagements en tant que membre du groupement de commandes Uni.H.A. ; en effet les engagements pris au sein de ce groupement n’ont qu’une portée morale et surtout la société X. ne saurait invoquer la méconnaissance d’un contrat auquel elle n’est pas partie ; d’ailleurs l’article 77 du code des marchés publics ne précise pas les contours du principe d’exclusivité qui ne vaut que sur des prestations strictement identiques ;
· le principe d’égalité de traitement a été respecté : il n’a pas apporté d’éléments à un des candidats qui n’auraient pas été communiqués aux autres ; en outre, l’article 57-III du code des marchés publics impose d’apporter une réponse aux demandes de renseignements complémentaires des candidats mais il n’impose pas de diffuser toutes les réponses à l’ensemble des candidats ;
- l’annulation du contrat ne s’impose pas, aucun des moyens invoqués par la société X. n’ayant trait à un vice d’une gravité telle qu’il implique nécessairement de prononcer l’annulation du marché ; de plus, une annulation du marché porterait une atteinte excessive à l’intérêt général dès lors qu’il doit déménager rapidement, qu’il existe une interdépendance forte entre les deux lots et que les prestations de la société Z. ne sauraient l’être de manière satisfaisante par la société X., les matériels liés à l’architecture réseau et WiFi ainsi que les différents matériels téléphoniques étant en cours d’intégration au sein des différentes entités de l’hôpital ; seule une résiliation du marché avec effet différé de six mois devrait être prononcée ;
- sur la demande indemnitaire de la société X.: la société ne peut se prévaloir d’aucune perte de gain au titre du marché Uni.H.A. s’agissant d’un marché à bons de commande sans minimum garanti et le préjudice n’est qu’hypothétique s’agissant d’un marché en cours ; s’agissant d’une perte de gain au titre du marché passé directement avec le centre hospitalier Y., la société ne rapporte pas la preuve que son offre aurait dû être retenue pour ce marché alors qu’elle a été classée 5ème ; elle était donc dépourvue de toute chance de remporter ce marché ; la requérante ne rapporte pas davantage la preuve de la marge nette escomptée et ne justifie pas des frais de présentation de son offre, qui apparaissent disproportionnés et sans qu’elle ne précise d’ailleurs s’ils correspondent au marché du centre hospitalier de A. ou à celui du centre hospitalier Y. ;
Vu le mémoire, enregistré le 26 juin 2013, présenté pour la société X., qui par les mêmes moyens que précédemment, demande au Tribunal :
- d’annuler le marché ayant pour objet la fourniture et prestations associées à la mise en place d’une nouvelle architecture de réseau IP, remplacement du système de téléphonie et maintenance du système de télécommunications au centre hospitalier Y. (lot n° 1), ou à défaut prononcer sa résiliation ;
- de condamner le centre hospitalier Y. à lui verser la somme de
533 474 euros, sauf à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice subi du fait de l’attribution du marché litigieux à la société Z. ;
- d’ordonner, dans la mesure où il ne s’estimerait pas suffisamment informé quant au montant de son préjudice, la désignation d’un expert dont la mission serait d’évaluer la marge bénéficiaire escomptée sur toute la durée du marché litigieux ;
- de condamner le centre hospitalier Y. à lui verser la somme de
5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu’aux entiers dépens ;
Elle soutient en outre que :
- le centre hospitalier Y. ne conteste pas être membre du groupement de commande Uni.H.A. et être lié au marché pour lequel elle est titulaire des lots 1 et 5 ; le centre hospitalier Y. n’a jamais contesté au cours de la consultation que les deux marchés répondaient à des besoins identiques et n’a justifié la nouvelle procédure de passation que par des impératifs de délais ; le marché Uni.H.A. répond à des besoins génériques et le câblage et le lien de secours inter-site ne représentant que 2 % du marché litigieux, il appartenait seulement au centre hospitalier Y. de passer un marché spécifique pour ces prestations ;
- elle n’a pas à prouver, s’agissant d’un recours Tropic, que les irrégularités qu’elle invoque ont été susceptibles de la léser ;
- la faculté laissée à un pouvoir adjudicateur de passer des marchés à bons de commande multi-attributaires ne saurait justifier que cet acheteur viole le principe d’exclusivité dont bénéficie le titulaire d’un marché à bons de commande, cette multi-attribution se faisant dans le cadre d’un seul et même marché et étant annoncée aux candidats ;
- l’article 8 du code des marchés publics impose aux membres d’un groupement de commandes de conclure un marché avec le candidat retenu par le coordinateur dudit groupement, engagement qui constitue nécessairement une obligation contractuelle dont la force juridique est certaine ;
- un concurrent évincé a toujours la possibilité d’attaquer la validité d’un contrat, alors même qu’il est tiers à celui-ci ;
- le marché dissident n’était pas forcément le plus économiquement avantageux ;
- le centre hospitalier Y. viole le principe d’exclusivité dont elle bénéficie dans le cadre d’Uni.H.A. et de ses obligations dans le cadre d’un groupement de commandes ;
- 12 des 15 réponses apportées à la société B. ne lui ont pas été communiquées et elles ne se bornaient pas exclusivement à renvoyer au cahier des clauses techniques particulières ;
- l’offre de la société attributaire n’était pas conforme car, sur quatre points, elle ne remplissait pas les exigences du cahier des clauses techniques particulières et aurait dû être rejetée comme irrégulière ;
- le centre hospitalier Y. a également manqué à ses obligations en s’abstenant volontairement de renseigner certaines rubriques de l’avis de marché qu’il a publié, certaines rubriques n’étant pas renseignées ou pour certaines autres, le centre hospitalier Y. s’étant contenté d’un renvoi au dossier de consultation ;
- l’annulation du marché litigieux ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général : le centre hospitalier Y. n’apporte aucun élément de nature à justifier des contraintes et dates qui s’imposeraient à lui, les travaux des sites de … et … étant réceptionnés depuis l’été 2012 ; les prestations des deux lots pouvaient être séparées, raisons pour lesquelles elles ont été alloties ; de plus, c’est en toute connaissance de cause que le centre hospitalier Y. a souhaité poursuivre l’exécution d’un marché manifestement illégal ; par ailleurs, l’annulation du marché contesté n’affectera pas la continuité du service dès lors que la majorité des commandes du centre hospitalier Y. pourront être passées dans le cadre du marché Uni.H.A. ; la société X. est totalement en mesure de reprendre le déploiement et d’assurer la prestation avec mise en service dans le respect des délais contractuels ;
- sur les conclusions indemnitaires : le titulaire d’un marché à bons de commande, même sans minimum, bénéficie d’une exclusivité sur les prestations objet de ce marché et le pouvoir adjudicateur qui confie des prestations identiques à une autre entreprise engage sa responsabilité vis-à-vis de ce titulaire ; son préjudice correspond à la marge nette moyenne du secteur concerné de 17 % ; pour évaluer son préjudice, il convient de tenir compte de ce que le marché notifié à Z. en janvier 2012 est un marché à bons de commande d’une durée de 3 ans, reconductible une fois un an et qui est en cours d’exécution, que des commandes pour un montant supérieur à un million d’euros étaient déjà passées à la société Z. en mai 2012 ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 août 2013, présenté pour le centre hospitalier Y. , qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Il soutient en outre que :
- il ne pouvait pas passer une commande en application du III de l’article 77 du code des marchés publics pour les prestations relatives au câblage des réseaux et lien de secours inter-site de type faisceau hertzien dès lors qu’elles dépassaient les seuils fixés audit article ;
- il ne saurait engager sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de la société X. pour ne pas avoir respecté un contrat auquel cette dernière n’était pas partie ; le litige est relatif non à une question de validité du marché qu’il a conclu avec la société Z. mais à une inexécution du marché Uni.H.A. ;
- la non-conformité alléguée de l’offre de la société Z. n’est étayée par aucun élément de preuve ;
- l’avis de publicité était correctement renseigné : la rubrique 1.2. relative au type de pouvoir adjudicateur était complétée en indiquant « autre » et aucun doute n’était permis sur son identité ; si la rubrique « informations sur l’accord-cadre » n’était pas renseignée, toutes les informations à fournir au titre de cette rubrique figuraient dans l’avis de publicité, la rubrique II.3 indiquant la durée du marché ; de même, si la rubrique IV.3.3. relative aux conditions d’obtention du cahier des charges n’était pas complétée, cette information figurait bien dans l’avis d’appel public à la concurrence ; la circonstance que la rubrique relative aux modalités d’ouverture des offres n’aurait pas été renseignée est sans effet sur la régularité de la procédure ; quant aux renvois au règlement de la consultation et au CCTP, il n’y a pas eu davantage de manquements : le modèle d’avis prévoit expressément la possibilité de préciser que l’offre sera appréciée en fonction des critères énoncés dans le cahier des charges, la rubrique « quantité ou étendue globale » peut être complétée en indiquant « le cas échéant » à la valeur estimée du marché et les informations sur les lots figuraient toutes dans l’avis ;
- l’annulation du marché porte une atteinte excessive à l’intérêt général et aux droits des cocontractants : le marché est quasiment totalement exécuté et son annulation aurait pour seul effet de priver le centre hospitalier de la garantie dont il bénéficie au titre de ce marché et de plus, à sa connaissance, la société Z. n’est pas assurée sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle ;
- sur la demande indemnitaire de la société X. , l’attestation du directeur administratif et financier n’a pas de valeur probante et est surévaluée s’agissant du temps de prestation ; en outre, elle inclut une indemnité au titre d’un lot dont la société n’est pas attributaire au titre du marché Uni.H.A. mais qui était intégré dans le marché centre hospitalier Y. ; de plus, la société requérante ne saurait prétendre à une double indemnisation au titre des deux marchés ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 novembre 2013, présenté pour la société X. , qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens et demande en outre la capitalisation des intérêts ;
Elle soutient en outre que :
- contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, l’avis de publicité est irrégulier, plusieurs rubriques n’étant pas renseignées : s’agissant de la rubrique « type de pouvoir adjudicateur », aucune précision n’est donnée à part « Autre » ; la rubrique II.1.4. « informations sur l’accord cadre » ne doit pas comporter seulement la durée mais également le nombre d’attributaires prévu et une estimation de la valeur totale des acquisitions pour l’ensemble de la durée du marché ; par ailleurs, aucune mention dans l’avis n’indiquait qu’il s’agissait d’un accord-cadre au sens du droit communautaire ; le centre hospitalier Y. a manqué à ses obligations concernant la rubrique II.2.2. « options », laquelle devait être renseignée dès lors que le marché en cause pouvait faire l’objet d’une reconduction d’un an ; la rubrique IV.3.3. « conditions d’obtention du cahier des charges » n’était pas renseignée ; quant à la rubrique IV.3.8. « modalités d’ouverture des offres », l’omission de cette information est substantielle ;
Vu les mentions du dossier attestant de la communication de la procédure à la société Z. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les dossiers des instances en référé n° 1105064 et 1201736 ;
Vu la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, notamment l’article 36-1 et son annexe VII A ;
Vu le règlement (CE) n°1564/2005 de la Commission en date du 7 septembre 2005 établissant les formulaires standard pour la publication d’avis dans le cadre des procédures de passation des marchés publics conformément aux directives 2004/17/CE et 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, et notamment son annexe II ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience :
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 février 2015 :
- le rapport de Mme Plumerault, rapporteur ;
- les conclusions de M. Report, rapporteur public ;
- et les observations de :
- Me Mairesse, pour la société X. ;
- Me Cazo, pour le centre hospitalier Y. ;
1. Considérant que, par avis d’appel à la concurrence publié le 26 janvier 2011 dans le bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP), le centre hospitalier universitaire A., en sa qualité de coordinateur du groupement de commandes du GCS-Uni.H.A. (groupement de coopération sanitaire Uni.H.A.) pour la filière « nouvelles technologies de l’information et de la communication » a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert, en vue de la passation d’un marché, divisé en sept lots, ayant pour objet la fourniture, l’intégration, la maintenance et l’ingénierie de solutions de réseaux informatiques filaires et sans fil et de leur sécurité associée pour le compte de 33 centres hospitaliers adhérents au segment « réseaux » de la filière NTIC/SI du GCS Uni.H.A » ; qu’à l’issue de cette procédure, la société X. s’est vue attribuer, en juillet 2011, le lot n°1 intitulé « Eléments actifs de réseau pour de nouvelles installations et prestations associées » consistant en la fourniture et l’intégration d’infrastructures de réseaux locaux filaires dans le cadre de nouvelles installations ou de nouveaux projets et des prestations d’ingénierie pour le compte de ces mêmes établissements ainsi que le lot n°5 intitulé « Sécurité d’infrastructures réseau, prestations associées et maintenance » portant sur la fourniture et l’intégration d’infrastructures de sécurité pour la protection de réseaux locaux pour le compte des établissements hospitaliers adhérents et des prestations d’ingénierie ; que le règlement de la consultation précisait que les prestations feraient l’objet de marchés à bons de commande en monotitularisation sans minimum ni maximum passés en application de l’article 77 du code des marchés publics ; que, par avis d’appel public à la concurrence publié l3 juillet 2011, le centre hospitalier Y., membre adhérent au groupement Uni.H.A, a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de la passation d’un marché, divisé en deux lots, ayant pour objet la fourniture et les prestations associées à la mise en place d’une nouvelle architecture de réseau IP, le remplacement de son système de téléphonie et la maintenance de son système de télécommunications ; qu’à l’issue de cette procédure, le centre hospitalier Y. a, par courrier du 15 décembre 2011, informé la société X., qui s’était portée candidate pour l’attribution du lot n°1 « Acquisition, installation, formation et maintenance d’une infrastructure de réseau IP » que son offre n’avait pas été retenue et que le marché avait été attribué à la société Z. ; que la société X. demande l’annulation du marché conclu entre la société Z. et le centre hospitalier Y. ainsi qu’à être indemnisée des préjudices qu’elle estime avoir subis ;
Sur les conclusions tendant à la communication de certains documents présentées par la société X. :
2. Considérant que par mémoire enregistré le 12 décembre 2012, la société X. demande au Tribunal d’enjoindre au centre hospitalier Y. de lui communiquer l’acte d’engagement, le CCAP, le CCTP et leurs annexes du marché conclu avec la société Z. , l’ensemble des délibérations du centre hospitalier Y. relatives à la consultation litigieuse, le rapport d’analyse des offres et ses éventuelles annexes, l’acte de notification du marché, la lettre de candidature (DC1), la déclaration de candidat (DC2) ainsi que l’état annuel des certificats reçus (NOTI2) produits par la société retenue ; que, toutefois, la société X. n’a pas maintenu expressément cette demande dans ses conclusions ultérieures ; qu’elle doit ainsi être regardée comme s’étant désistée de ces conclusions, alors au demeurant qu’il est constant que l’acte d’engagement conclu avec la société Z. a été produit dans le cadre de la présente instance et que la communication des autres documents sollicités ne peut être regardée comme une mesure utile ;
Sur la validité du contrat :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
3. Considérant que, indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires ; que ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ; qu’à partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu’il dispose du recours ci-dessus défini, le concurrent évincé n’est, en revanche, plus recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables ;
4. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 5 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable en l’espèce : « I. La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d'un appel à la concurrence en prenant en compte des objectifs de développement durable. Le ou les marchés ou accords-cadres conclus par le pouvoir adjudicateur ont pour objet exclusif de répondre à ces besoins. (…) » ;que l’article 8 du même code dispose que : « I. Des groupements de commandes peuvent être constitués (…) 2° Entre des collectivités territoriales, entre des établissements publics locaux ou entre des collectivités territoriales et des établissements publics locaux (…) ; II. Une convention constitutive est signée par les membres du groupement. / Elle définit les modalités de fonctionnement du groupement. / Elle désigne un coordonnateur parmi les membres du groupement, ayant la qualité de pouvoir adjudicateur soumis au présent code ou à susmentionnée. / Celui-ci est chargé de procéder, dans le respect des règles prévues par le présent code, à l'organisation de l'ensemble des opérations de sélection d'un ou de plusieurs cocontractants / Chaque membre du groupement s’engage, dans la convention, à signer avec le cocontractant retenu un marché à hauteur de ses besoins propres, tels qu’il les a préalablement déterminés (…) » ; qu’aux termes de son article 77 : « I. - Un marché à bons de commande est un marché conclu avec un ou plusieurs opérateurs économiques et exécuté au fur et à mesure de l'émission de bons de commande. Lorsqu'un marché à bons de commande est attribué à plusieurs opérateurs économiques, ceux-ci sont au moins au nombre de trois, sous réserve d'un nombre suffisant de candidats et d'offres. / Dans ce marché le pouvoir adjudicateur a la faculté de prévoir un minimum et un maximum en valeur ou en quantité, ou un minimum, ou un maximum, ou encore être conclus sans minimum ni maximum. / L'émission des bons de commande s'effectue sans négociation ni remise en concurrence préalable des titulaires, selon des modalités expressément prévues par le marché. / Les bons de commande sont des documents écrits adressés aux titulaires du marché. Ils précisent celles des prestations, décrites dans le marché, dont l'exécution est demandée et en déterminent la quantité (…) III. - Pour des besoins occasionnels de faible montant, le pouvoir adjudicateur peut s'adresser à un prestataire autre que le ou les titulaires du marché, pour autant que le montant cumulé de tels achats ne dépasse pas 1 % du montant total du marché, ni la somme de 10 000 Euros HT. Le recours à cette possibilité ne dispense pas le pouvoir adjudicateur de respecter son engagement de passer des commandes à hauteur du montant minimum du marché lorsque celui-ci est prévu » ; qu’il résulte de ces dispositions combinées que chaque membre du groupement de commandes est tenu de passer le marché avec l’attributaire désigné par la commission d’appel d’offres, sauf à ce que la procédure soit déclarée sans suite pour un motif d’intérêt général ;
5. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la procédure d’appel d’offres engagée par centre hospitalier Y., dont il est constant qu’il est adhérent du groupement de commandes Uni.H.A. pour la filière « nouvelles technologies de l’information et de la communication », avait pour objet principal la mise en place d’une nouvelle architecture de réseau local, de type filaire et Wifi ; que ces prestations relevaient déjà de celles visées aux lots n° 1 et n°3 du marché conclu par le centre hospitalier universitaire A., lesquels avaient pour objet la fourniture et l’intégration d’infrastructures de réseaux locaux filaires, pour le premier, sans fil de type Wifi, pour le second, dans le cadre de nouvelles installations ou de nouveaux projets pour le compte des établissements hospitaliers adhérents ainsi que les prestations d’ingénierie correspondantes ; que, dans ces conditions, le centre hospitalier Y., avait l’obligation de respecter le droit d’exclusivité créé par les dispositions précitées au profit des attributaires des différents lots du marché Uni.H.A., sans qu’il puisse utilement se prévaloir de la circonstance que ce marché ne couvrait pas les aspects de câblage des réseaux ni le lien de secours inter-site de type faisceau hertzien, qui constituaient des prestations marginales représentant de l’ordre de 2 % de la totalité de son propre marché ; que le centre hospitalier Y. ne saurait davantage invoquer, pour s’exonérer de ces obligations, la circonstance que le marché conclu par le centre hospitalier universitaire A. n’aurait pas pris en compte l’ouverture de nouveaux sites alors qu’il s’agissait justement d’un marché destiné à couvrir des besoins génériques adaptables à plusieurs sites ; qu’il n’est en outre pas allégué que le marché conclu avec la société Z. remplissait les conditions posées au III de l’article 77 précité du code des marchés publics permettant au centre hospitalier Y. de s’affranchir de son obligation de recourir aux prestataires désignés dans le cadre du marché Uni.H.A. ;
6. Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article 14.2. du cahier des clauses administratives particulières du marché Uni.H.A. : « « Exécution par défaut - Dans l’hypothèse où le titulaire serait dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie de la prestation dans les délais et conditions prévus au marché sur le bon de commande, l’établissement adhérent du groupement se réserve le droit de passer commande auprès d’un autre fournisseur, tout en faisant supporter l’éventuel surcoût au titulaire défaillant » ; que si le centre hospitalier Y. invoque les impératifs de délai auxquels il se trouvait confronté en raison de l’ouverture programmée des sites de … en septembre 2012 et de … en janvier 2013, il n’établit pas, à supposer qu’il ait entendu se prévaloir de ces dispositions, que la société X., dont l’offre avait été retenue dès le 6 juillet 2011 dans le cadre du marché Uni.H.A. alors que lui-même n’a attribué son marché à la société Z. que le
15 décembre 2011, aurait été dans l’impossibilité d’exécuter les prestations demandées dans les contraintes de temps imposées ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier Y., en mettant en œuvre la procédure d’attribution d’un marché spécifique, a méconnu les obligations qui pesaient sur lui du fait de son appartenance au groupement de commandes Uni.H.A. ; que, contrairement à ce qu’il soutient, le présent litige est relatif à une question de validité du marché qu’il a conclu avec la société Z. en lien avec une inexécution de ses obligations dans le cadre du marché Uni.H.A. ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu’en vertu des dispositions de l’annexe VII A de la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 susvisée, les pouvoirs adjudicateurs doivent obligatoirement renseigner la rubrique « options » des avis de marché lorsque sont prévus des achats ou travaux complémentaires ; que l’annexe II du règlement de la commission du
7 septembre 2005 établissant les formulaires standard pour la publication des avis de marché en application de la directive 2004/18/CE, prescrit, à la rubrique « II. 2. 2. options (le cas échéant) » que, si des options sont prévues, celles-ci doivent être décrites ainsi que, s’il est connu, le calendrier prévisionnel de l’exercice de ces options ; qu’il résulte de ces dispositions que doivent être indiqués dans les avis d’appel public à concurrence, au titre de la rubrique « options », les prestations susceptibles d’être effectuées dans le cadre d’éventuelles reconductions du marché, d’avenants ou de marchés complémentaires conclus sans nouvelle mise en concurrence ainsi que, s’il est connu, leur calendrier prévisionnel ; qu’en l’espèce, le cahier des clauses administratives particulières prévoit que « le marché est passé pour une durée de trois ans, avec possibilité d’une reconduction d’un an, dans le respect de la période d’exécution globale du marché à bons de commande prévue sur 4 ans » ; qu’aucune rubrique « options » ne figure dans l’avis d’appel à la concurrence publié par le centre hospitalier Y. ; que, par suite, la société X. est fondée à soutenir qu’en omettant de mentionner cette information, le pouvoir adjudicateur a méconnu les règles de publicité et de mise en concurrence ;
9. Considérant, en troisième lieu, que le modèle d’avis d’appel public à la concurrence précité comporte une rubrique II.1.4. relative aux accords cadres, dans laquelle le pouvoir adjudicateur doit indiquer s’il envisage de conclure un tel accord avec un opérateur unique ou avec des opérateurs multiples ; qu’aux termes de la directive du 31 mars 2004 susvisée, « un accord cadre est un accord conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d’établir les termes régissant les marchés à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées » ; qu’aux termes de la fiche explicative relative aux accords cadres publiée par la commission le 14 juillet 2005 sous la référence CC/2005/03 : « les accords-cadres qui fixent tous les termes (les contrats-cadres) sont des instruments juridiques par lesquels les stipulations contractuelles applicables aux commandes (éventuelles) fondées sur ce type d’accords-cadres sont fixées de manière contraignante pour les parties à l’accord – en d’autres termes, l’utilisation (éventuelle) de ce type d’accord-cadre ne nécessite pas la conclusion de nouveaux accords entre les parties par exemple par les négociations, de nouvelles offres, etc… » ; qu’il résulte de ces dispositions que les marchés à bons de commande au sens de l’article 77 du code des marchés publics, conclus avec un ou plusieurs opérateurs économiques et exécutés au fur et à mesure de l’émission de bons de commande sans négociation ni remise en concurrence, doivent être regardés comme des accords-cadres au sens de la directive ; qu’il en résulte que la rubrique II.1.4 devait être renseignée en ce sens ; qu’en s’abstenant de renseigner cette rubrique, dont les informations à fournir à ce titre ne figuraient dans aucune des autres rubriques contrairement à ce qu’il soutient, et alors que le marché litigieux s’analysait comme un marché à bons de commande, le centre hospitalier Y. a également manqué à ses obligations relatives à la publicité et à la mise en concurrence ;
10. Considérant, en quatrième lieu, que la société X. fait valoir que plusieurs des rubriques de l’avis d’appel public à la concurrence, en particulier la rubrique II.2.1. relative à la quantité ou à l’étendue du marché, la rubrique II.3. en ce qui concerne les informations complémentaires sur les lots ou encore la rubrique IV.2.1. relative aux critères d’attribution se bornent à renvoyer aux documents de la consultation ; que si le centre hospitalier Y. fait valoir que ces rubriques étaient bien remplies, toutefois l’absence de mention dans cet avis, même de façon succincte dès lors qu’il s’agissait d’un marché à bons de commande, des montants indicatifs des lots prévus, n’a pas permis de connaître les besoins de la personne publique et l’étendue du marché ; que si certaines précisions figuraient dans les cahiers des clauses administratives particulières, ceux-ci ne font pas l’objet des mêmes mesures de publicité que l’avis d’appel public à la concurrence et n’ont vocation à être remis qu’aux entreprises qui ont manifesté leur intérêt pour le marché en cause auprès du pouvoir adjudicateur ; que, dans ces conditions, le centre hospitalier Y. ne peut être regardé, s’agissant de la rubrique II.2.1.,comme ayant fourni aux entreprises candidates une information appropriée à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné, de nature à assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ;
Sur les conséquences de l’illégalité du contrat :
11. Considérant qu’il appartient au juge saisi par le concurrent évincé, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences ; qu’il lui revient ainsi, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits du cocontractant, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ;
12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le marché litigieux est entaché d’irrégularités tenant à la méconnaissance du principe d’exclusivité au profit des attributaires du marché Uni.H.A., à l’absence de renseignement des rubriques II.2.1, II. 2. 2 et II.I.4. de l’avis d’appel public à la concurrence ; que ces irrégularités, par leur nombre et leur nature, constituent des vices d’une particulière gravité de nature à justifier l’annulation du marché considéré, en tant qu’il concerne le lot n°1, seul lot pour lequel la société X. a présenté une offre ; que cette annulation n’est pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général, l’ensemble des prestations ayant été fournies par la société Z.; que si le centre hospitalier Y. fait valoir qu’une telle annulation aurait pour effet de le priver de garantie et de maintenance, cette seule circonstance n'est pas de nature à démontrer une atteinte excessive à l'intérêt général, qui ne peut non plus être déduite du seul fait évoqué par le centre hospitalier Y. de ce qu’il ne pourrait plus engager la responsabilité de la société Z. sur un fondement contractuel mais uniquement quasi-délictuel ;
Sur les conclusions indemnitaires :
13. Considérant que lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d'abord si l’entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l'affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ; que, dans le cas où l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché, elle a droit à l’indemnisation de l’intégralité de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique ;
14. Considérant que lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu’elle est la cause directe de l’éviction du candidat et, par suite, qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l’indemnisation ;
15. Considérant, en l’espèce, que les irrégularités relevées aux points 8 à 10, qui tiennent aux insuffisances de l’avis d’appel public à la concurrence n’ont pas de lien avec l’éviction de la société requérante, dont l’offre a été rejetée en raison de la complexité de sa solution technique ; que l’illégalité tenant à la méconnaissance par le centre hospitalier Y. , membre du groupement de commandes, de son obligation de passer le marché litigieux avec les attributaires du marché Uni.H.A., dont la société X., est en revanche directement à l’origine de l’éviction irrégulière de la société requérante, qui avait, de par la nature même de cette illégalité, une chance sérieuse d’emporter partiellement ce marché ; qu’elle peut, par suite, prétendre à l’indemnisation de son manque à gagner, lequel doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net que lui aurait procuré ce marché, limité toutefois, dans les circonstances de l’espèce, aux seules prestations correspondant au lot n°1 du marché Uni.H.A. dont elle était titulaire ; que la société requérante évalue le chiffre d’affaires des prestations qu’elle aurait été amenée à réaliser, correspondant au seul réseau Lan à l’exclusion du réseau WiFi, prestations dont elle n’était pas titulaire dans le cadre du groupement de commandes, à la somme de 1 839 558 euros ; qu’il résulte en outre de l’instruction que le taux de marge moyen de la société X. , calculé sur la base de ses résultats d’exploitation des années 2010 à 2013 s’élève à 4 % ; qu’il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société X. , sans qu’il soit besoin d’ordonner l’expertise sollicitée, en l’évaluant à la somme de 75 000 euros, incluant les frais de présentation de son offre ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
16. Considérant que la société X. a droit aux intérêts légaux, comme elle le demande, sur la somme de 75 000 euros qui lui est allouée à compter du 2 mai 2012, date d’enregistrement de sa requête au greffe du Tribunal ; qu’elle a demandé la capitalisation des intérêts par mémoire du 5 novembre 2013 ; qu’à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu’il y a lieu dès lors de faire droit à la demande de capitalisation à cette date et à chacune des échéances annuelles ultérieures ;
Sur les dépens :
17. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre les dépens de l’instance engagée par la société X. , constitués de la contribution pour l’aide juridique prévue à l’article 1635 bis Q du code général des impôts, à la charge du centre hospitalier Y. ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article l. 761-1 du code de justice administrative :
18. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le Tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par le centre hospitalier Y. doivent, dès lors, être rejetées ;
19. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier Y. à payer à la société X. une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Il est donné acte à la société X. du désistement de ses conclusions tendant à la communication de documents administratifs.
Article 2 : Le marché conclu entre le centre hospitalier Y. et la société Z. ayant pour objet la fourniture et prestations associées à la mise en place d’une nouvelle architecture de réseau IP, le remplacement du système de téléphonie et la maintenance du système de télécommunications du centre hospitalier est annulé en tant qu’il concerne le lot n°1.