Le président d’une université a retiré à un enseignant, professeur des universités et praticien hospitalier (PU-PH), la responsabilité d’une animation organisée au sein d'une faculté. Par une décision en date du 14 juin 2010, le responsable du pôle de spécialités "chirurgie et odontologie" du centre hospitalier au sein duquel ce PU-PH exerçait, lui a de même retiré sa responsabilité de référente de l'unité d'activité médicale clinique d'odontologie pédiatrique. Par la suite, cet enseignant a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle, laquelle lui a été refusé par deux décisions, d'une part, du 21 juillet 2010 du président de l'université, et, d'autre part, du 4 novembre 2010 du conseil d'administration. De surcroît, le recours hiérarchique engagé par ce même enseignant afin de contester la décision du 14 juin 2010 a abouti à un refus du directeur du centre hospitalier. La requérante formule un recours devant le tribunal administratif afin que soit annulé pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 14 juin 2010 du responsable du pôle des spécialités chirurgicales du centre hospitalier, et, d'autre part, la décision du 26 août 2010 du directeur général du centre hospitalier rejetant son recours hiérarchique. Par un jugement en date du 27 septembre 2013, le tribunal a rejeté ses demandes aux motifs que les mesures précitées sont de simples mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours contentieux. Le Conseil d’État considère insuffisant l’examen des juges du fond, en ce que fondé « sur les seules circonstances que ces décisions n'avaient pas modifié la rémunération de Mme A..., n'avaient pas porté atteinte à son statut de professeur des universités-praticien hospitalier et n'avaient porté aucune atteinte à ses perspectives de carrière ou à une garantie attachée au déroulement de sa carrière » et estime a contrario que les mesures prises à l’encontre de la requérante avaient bien entraîné « une diminution sensible de ses attributions et responsabilités et ne constituent pas de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours ». |
Conseil d'État
N° 377036
4ème et 5ème sous-sections réunies
Mme Pauline Pannier, rapporteur
Mme Maud Vialettes, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON ; LE PRADO, avocats
lecture du mercredi 7 octobre 2015
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°, sous le n° 377036, la procédure suivante :
Mme X. a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 14 juin 2010 du responsable du pôle des spécialités chirurgicales du centre hospitalier régional universitaire Y. lui retirant la responsabilité de référent de l'unité d'activité médicale clinique d'odontologie pédiatrique, d'autre part, la décision du 26 août 2010 du directeur général de ce centre hospitalier rejetant son recours hiérarchique dirigé contre cette décision et lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par un jugement n° 1102392 du 27 novembre 2013, le tribunal administratif a rejeté ses demandes.
Par une ordonnance n° 14DA00171 du 26 mars 2014, enregistrée le 3 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Douai a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 28 janvier 2014 au greffe de cette cour, présenté par Mme X. Par ce pourvoi et par un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux le 9 octobre 2014 et les 29 janvier et 4 septembre 2015, Mme X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire Y. une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu 2°, sous le n° 377037, la procédure suivante :
Mme X. a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 20 mai 2010 par laquelle le président de l'université Z. lui a retiré la responsabilité de la sous-section d'odontologie pédiatrique et, d'autre part, la décision du 21 juillet 2010 du même président et la décision du 4 novembre 2010 du conseil d'administration de l'université Z. qui lui ont refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par un jugement n° 1102389 du 27 novembre 2013, le tribunal administratif a annulé la décision du 4 novembre 2010 et rejeté le surplus de ses demandes.
Par une ordonnance n° 14DA00170 du 26 mars 2014, enregistrée le 3 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Douai a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 28 janvier 2014 au greffe de cette cour, présenté par Mme X. Par ce pourvoi et par un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux le 9 octobre 2014 et les 29 janvier et 4 septembre 2015, Mme X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne fait pas droit à l'intégralité de sa demande ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à l'intégralité de sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'université Z. une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 84-135 du 24 février 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Pannier, auditeur,
- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de Mme X., à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier régional universitaire Y. et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de l'université Z. ;
1. Considérant que les pourvois visés ci-dessus présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une décision du 20 mai 2010, le président de l'université Z. a retiré à Mme X, professeur des universités-praticien hospitalier, la responsabilité de l'animation de la sous-section d'odontologie pédiatrique de la faculté de chirurgie dentaire ; que, par une décision du 14 juin 2010, le responsable du pôle de spécialités chirurgie et odontologie du centre hospitalier régional universitaire Y. lui a, en conséquence, retiré sa responsabilité de référente de l'unité d'activité médicale clinique d'odontologie pédiatrique ; qu'à la suite de ces décisions, Mme X. a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle, qui lui a été refusé, d'une part, par deux décisions du 21 juillet 2010 du président de l'université Z. et du 4 novembre 2010 du conseil d'administration de cette université et, d'autre part, par une décision du 26 août 2010 du directeur du centre hospitalier régional universitaire Y., qui a également rejeté son recours hiérarchique dirigé contre la décision du 14 juin 2010 ; que le tribunal administratif de Lille a, par deux jugements du 27 novembre 2013, annulé pour incompétence la décision du 4 novembre 2010 du conseil d'administration de l'université, mais a rejeté les demandes de Mme X. dirigées contre les autres décisions ; que Mme X. se pourvoit en cassation contre ces jugements en tant qu'ils ont rejeté ses demandes ;
Sur les jugements en tant qu'ils statuent sur les décisions relatives à l'activité professionnelle de Mme X.:
3. Considérant que les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours ; qu'il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération ; que le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable ;
4. Considérant qu'il ressort des termes des jugements attaqués que, pour retenir que la décision du 20 mai 2010 retirant à Mme X. la responsabilité de l'animation et de la coordination des enseignements au sein de la sous-section d'odontologie pédiatrique de la faculté de chirurgie dentaire de l'université Z. et la décision du 14 juin 2010 lui retirant la responsabilité de référent de l'unité d'activités médicales clinique d'odontologie pédiatrique du centre hospitalier régional universitaire Y. revêtaient le caractère de mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours, le tribunal s'est fondé sur les seules circonstances que ces décisions n'avaient pas modifié la rémunération de Mme X., n'avaient pas porté atteinte à son statut de professeur des universités-praticien hospitalier et n'avaient porté aucune atteinte à ses perspectives de carrière ou à une garantie attachée au déroulement de sa carrière ;
5. Considérant, d'une part, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus qu'en ne prenant pas en compte, pour apprécier le caractère d'acte faisant grief des décisions attaquées, la perte de responsabilité dont la requérante faisait état devant lui, le tribunal administratif a entaché ses jugements d'erreurs de droit ; que, d'autre part, il ressort des pièces des dossiers soumis au tribunal que ces décisions comportaient l'une et l'autre une diminution sensible des attributions et des responsabilités exercées par Mme X., respectivement, au sein de la faculté de chirurgie dentaire de l'université Z. et au sein du centre hospitalier régional universitaire Y. ; que, par suite, en jugeant qu'elles avaient le caractère de simples mesures d'ordre intérieur ne faisant pas grief, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois relatifs à ces décisions, ses jugements doivent être annulés en tant qu'ils statuent sur ces décisions et sur la décision du 26 août 2010 du directeur du centre hospitalier régional universitaire Y. en tant qu'il rejette le recours hiérarchique de Mme X. dirigé contre la décision du 14 juin 2010 ;
Sur les jugements en tant qu'ils statuent sur les décisions refusant à Mme X. le bénéfice de la protection fonctionnelle :
6. Considérant que le moyen tiré de ce que les décisions de refus de protection fonctionnelle ont été prises dans l'intention de sanctionner la requérante est nouveau en cassation et ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
7. Considérant que, pour rejeter les demandes de Mme X., le tribunal administratif a estimé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que l'intéressée n'apportait pas à l'appui de ses dires un faisceau d'indices suffisamment probants pour faire présumer l'existence du harcèlement moral dont elle se disait victime ; que c'est également par une appréciation souveraine des pièces des dossiers qui lui étaient soumis et exempte de dénaturation que le tribunal administratif a retenu que Mme X. n'avait pas fait l'objet d'autres faits d'agressions verbales que ceux survenus le 20 mars 2008 ; qu'il n'a pas non plus commis d'erreur de droit en refusant de prendre en compte des faits postérieurs à la décision attaquée pour apprécier la légalité de celle-ci ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X. n'est pas fondée à demander l'annulation des jugements attaqués en tant qu'ils rejettent ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 21 juillet 2010 du président de l'université Z et de la décision du 26 août 2010 du directeur du CHRU Y en tant qu'elle lui refuse le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'université Z et du CHRU Y la somme de 1 500 euros chacun au titre de ces dispositions ; qu'en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme X., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1102392 du 27 novembre 2013 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il rejette, d'une part, la demande d'annulation de la décision du 14 juin 2010 du responsable du pôle des spécialités chirurgicales et d'odontologie du centre hospitalier régional universitaire Z et, d'autre part, la demande d'annulation de la décision du 26 août 2010 du directeur du CHRU Y en tant qu'elle rejette son recours hiérarchique contre la précédente décision.
Article 2 : Le jugement n° 1102389 du 27 novembre 2013 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il rejette la demande d'annulation de la décision du 20 mai 2010 du président de l'université Z.
Article 3 : Les affaires sont renvoyées dans cette mesure au tribunal administratif de Lille.
Article 4 : L'université Z et le centre hospitalier régional universitaire Y verseront chacun à Mme X... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme X. et les conclusions présentées par l'université Z et le centre hospitalier régional universitaire Y au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme X., à l'université Z et au centre hospitalier régional universitaire Y.