Par cet arrêt, la Cour de cassation vient confirmer le non-lieu prononcé en 2013 à l’égard d’une cadre de santé et d’un pharmacien d’un CHU poursuivis avec trois autres soignants pour homicide involontaire. En l’espèce, un petit garçon admis pour une angine est décédé après avoir reçu une injection de magnésium à la place de la solution B46 prescrite. L’enquêté avait montré qu’un carton de chlorure de magnésium avait été placé par erreur dans un lot de sérum avant d’être expédié dans le service de pédiatrie et qu’à sa réception les cadres infirmiers n’ont pas vérifié le contenu de la livraison avant de l’administrer à l’enfant. La Cour de cassation pour confirmer l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction a jugé qu’ « en l'absence de traçabilité des livraisons ne permettant pas de déterminer la date à laquelle la commande comportant des flacons de chlorure de magnésium a été reçue dans le service de pédiatrie, cette date pouvant être soit le 2 octobre 2008, soit le 1er décembre 2008, et alors que la lecture du planning fait apparaître que [les cadres de santé] étaient toutes deux présentes dans le service à la date des deux livraisons litigieuses, il ne peut être déterminé laquelle a reçu la commande et a manqué à l'obligation de vérification à la réception de la commande des médicaments et solutés ». De plus, les magistrats ajoutent qu’à compter du 2 décembre 2008, les cadres de santé n’étaient plus dans l’obligation de vérifier les « produits, effectuée lors de leur réception, la similitude de conditionnement des deux solutés ne permettant pas, lors d'une simple opération de contrôle des stocks, de déceler la présence de soluté de chlorure de magnésium » et que par conséquent, il résulte de cette analyse que les charges sont insuffisantes pour en conclure une faute caractérisée ayant involontairement entraîné la mort de l’enfant. |
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 10 novembre 2015
N° de pourvoi: 14-85332
M. Guérin (président), président
SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme A,
- M. B,
- M. C,
- Mme D,
- Mme E,
- M. F,
- Mme G,
- Mme H,
- M. I,
- Mme J,
- Mme K,
- M. L,
- M. M,
- M. N,
parties civiles,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 4e section, en date du 4 juillet 2014, qui, dans l'information suivie contre, notamment, Mmes X et Mme Y., du chef d'homicide involontaire, a confirmé l'ordonnance de non-lieu partiel rendue par le juge d'instruction ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 29 septembre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Harel-Dutirou, conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mme Schneider, M. Bellenger, conseillers de la chambre ;
Avocat général : M. Lagauche ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE, les avocats des parties ayant eu la parole en dernier ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 221-6 du code pénal, 177, 179, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance de non-lieu à poursuivre à l'encontre de Mmes X et Y.
" aux motifs que l'absence de traçabilité des livraisons ne permet pas de déterminer la date à laquelle la commande litigieuse a été reçue dans le service, cette date pouvant être soit le 2 octobre 2008, soit le 1er décembre 2009 ; que la lecture du planning fait apparaître que Mmes Z et X étaient toutes deux présentes dans le service à la date des deux livraisons litigieuses ; qu'il ne peut être déterminé laquelle a reçu la commande et a manqué à l'obligation de vérification à la réception de la commande des médicaments et solutés ; que le soluté de magnésium était dans l'armoire à soluté au plus tard le 2 décembre 2008 ; qu'à compter de cette date, il a été effectué, au moins tous les lundi et les jeudi, jusqu'au 24 décembre 2008, un contrôle des stocks pour adapter les commandes en fonction des pathologies en cours ou pour prévenir une rupture de stocks ; que cette opération a été effectuée avec certitude le 19 décembre 2008 puis le 22 décembre 2008 par Mme X; que pendant cette période, quand elles contrôlaient les stocks en vue d'adapter les commandes, ou de prévenir une rupture de stocks, Mmes X et Y. n'étaient plus tenues d'une obligation de vérification des produits, effectuée lors de leur réception ; que la similitude de conditionnement des deux solutés ne permettait pas, lors d'une simple opération de contrôle des stocks, de déceler la présence de soluté de magnésium ; que, dans ces circonstances, le fait de ne pas avoir identifié la présence de soluté de magnésium dans l'armoire à soluté et d'avoir indirectement contribué à la réalisation du dommage ne constitue pas une faute caractérisée au sens de l'article 121-3 du code pénal ; qu'en conséquence, que l'ordonnance de non-lieu doit être confirmée ;
" 1°) alors que commet une faute caractérisée celui qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ; que cette faute peut résulter d'une défaillance dans l'accomplissement des diligences normales qui incombent à la personne compte tenu de la nature de ses missions, de ses compétences et des conditions de son intervention ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que Mmes X et Y., cadres de santé, étaient, au sein du service de pédiatrie, conjointement et exclusivement en charge de la vérification des commandes de médicaments et de solutés à leur réception ; qu'il est expressément constaté que la commande litigieuse a été reçue soit le 2 octobre 2008, soit le 1er décembre 2008, et qu'à ces dates, les deux cadres de santé étaient en service, ce qui révèle qu'elles ont toutes deux manqué à leur obligation de vigilance en omettant d'identifier l'arrivée de flacons de chlorure de magnésium, soluté pourtant non utilisé en pédiatrie ; qu'en retenant qu'il n'est pas possible de déterminer laquelle des deux a manqué à l'obligation de vérification à la réception de la commande, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
" 2°) alors qu'en tout état de cause, un non-lieu ne peut être ordonné que si les faits ne constituent pas une infraction, ou si l'auteur est resté inconnu, ou s'il n'existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué qu'a été commise une grave faute de négligence à l'occasion de la vérification de la livraison de médicaments et de solutés, laquelle s'inscrit en lien de causalité certain avec le décès de O, de sorte que les faits sont constitutifs d'un délit ; que s'il existe un doute quant à celle des deux cadres de santé qui a effectivement procédé à la vérification le jour de la réception de la commande litigieuse, cette faute a été nécessairement commise par Mmes X ou Y.; qu'en conséquence, il appartenait à la chambre de l'instruction de renvoyer ces deux personnes devant la juridiction de jugement, à qui il revient de déterminer à qui la faute doit être imputée ;
" 3°) alors que, par ailleurs, la chambre de l'instruction a expressément constaté qu'une opération de contrôle des stocks a été « effectuée avec certitude le 19 décembre 2008 puis le 22 décembre 2008 par Mme X.» ; qu'au sein d'un service de pédiatrie, existe nécessairement une obligation de contrôle de la nature des médicaments et des solutés depuis leur réception jusqu'à leur administration aux enfants ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, dès lors, pour confirmer le non-lieu à renvoyer Mme X devant la juridiction de jugement, retenir que quand elles contrôlaient les stocks en vue d'adapter les commandes, ou de prévenir une rupture de stocks, Mmes X et Y n'étaient plus tenues d'une obligation de vérification des produits ;
" 4°) alors que la chambre de l'instruction ne pouvait considérer que « la similitude de conditionnement du B46 et du soluté de magnésium ne permettait pas, lors d'une simple opération de contrôle des stocks », de déceler la présence de cette dernière substance, après avoir relevé la présence dans l'armoire d'un carton entier et étiqueté de chlorure de magnésium non déconditionné, et donc susceptible d'être détecté à l'occasion d'un simple contrôle visuel " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 24 décembre 2008, O., âgé de trois ans, admis à l’hôpital P. pour une angine, est décédé à 20h45 d'une défaillance cardio-vasculaire après avoir reçu une injection de chlorure de magnésium au lieu et place de la solution de B46 prescrite ; qu'a été ouverte une information au cours de laquelle, notamment, Mmes X et Y, cadres de santé du service de pédiatrie, ont été mises en examen du chef d'homicide involontaire pour avoir commis de graves défaillances dans l'organisation du service concernant la commande et la réception de médicaments et de produits qu'elles devaient contrôler, et la gestion, le stockage de ceux-ci jusqu'à la distribution aux patients ; que le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre contre elles et ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel de l'infirmière ayant administré le produit, du chef de service de la pharmacie du groupe hospitalier P., de la cadre supérieure de santé du service de pédiatrie et de l'Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction à l'égard des mises en examen, l'arrêt retient qu'en l'absence de traçabilité des livraisons ne permettant pas de déterminer la date à laquelle la commande comportant des flacons de chlorure de magnésium a été reçue dans le service de pédiatrie, cette date pouvant être soit le 2 octobre 2008, soit le 1er décembre 2008, et alors que la lecture du planning fait apparaître que Mmes X et Y étaient toutes deux présentes dans le service à la date des deux livraisons litigieuses, il ne peut être déterminé laquelle a reçu la commande et a manqué à l'obligation de vérification à la réception de la commande des médicaments et solutés ; que les juges ajoutent qu'à partir du 2 décembre, date à laquelle le soluté de chlorure de magnésium était dans l'armoire à solutés, quand elles contrôlaient les stocks en vue d'adapter les commandes ou de prévenir une rupture de stocks, Mmes X et Y n'étaient plus tenues d'une obligation de vérification des produits, effectuée lors de leur réception, la similitude de conditionnement des deux solutés ne permettant pas, lors d'une simple opération de contrôle des stocks, de déceler la présence de soluté de chlorure de magnésium ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte qu'il n'existe de charges suffisantes ni contre Mme X ni contre Mme Y d'avoir commis une faute caractérisée ayant involontairement causé la mort d'O., la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix novembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.