Le Conseil d’Etat annule l'arrêté du 27 mai 2013 du ministre des affaires sociales et de la santé modifiant l'arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21 à compter du 1er juin 2016, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du 25 novembre 2015 contre les actes pris sur son fondement.
Conseil d'État
N° 370610
1ère et 6ème sous-sections réunies
Mme Marie Sirinelli, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
lecture du mercredi 25 novembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 26 juillet 2013, 10 janvier 2014 et 3 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fondation X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 27 mai 2013 modifiant l'arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- l'arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;
1. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 2131-1 du code de la santé publique : " Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales, y compris l'échographie obstétricale et foetale, ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité " ; qu'aux termes du VII du même article : " Les examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal sont pratiqués dans des laboratoires de biologie médicale faisant appel à des praticiens en mesure de prouver leur compétence, autorisés selon les modalités prévues au titre II du livre Ier de la sixième partie et accrédités selon les modalités prévues au chapitre Ier du titre II du livre II de la même partie " ; qu'aux termes de l'article L. 2131-3 du même code : " Toute violation constatée dans un établissement ou un laboratoire, et du fait de celui-ci, des prescriptions législatives et réglementaires applicables au diagnostic prénatal entraîne le retrait temporaire ou définitif des autorisations prévues à l'article L. 2131-1 (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 2131-5 du code de la santé publique : " Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d'Etat et notamment :/ (...) 2° La nature des examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal et les conditions dans lesquelles ils peuvent être pratiqués dans les établissements publics de santé et les laboratoires de biologie médicale autorisés (...) " ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 2131-1-1 du code de la santé publique, en vigueur à la date d'adoption de l'arrêté attaqué : " Les pratiques médicales concourant au diagnostic prénatal, y compris l'utilisation des techniques d'imagerie, sont soumises à des règles de bonnes pratiques définies par arrêté du ministre chargé de la santé, pris sur proposition du directeur général de l'Agence de la biomédecine après avis de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Ces règles tiennent compte des recommandations de la Haute Autorité de santé, en application du 2° de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale " ;
3. Considérant que le ministre des affaires sociales et de la santé, par l'arrêté attaqué, a modifié l'arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21 pour déterminer, d'une part, les données que les biologistes médicaux doivent transmettre à l'Agence de la biomédecine pour chaque examen de dépistage et de diagnostic prénatals de la trisomie 21, ainsi que les modalités de cette transmission et les organismes bénéficiant de la mise à disposition de ces données, et, d'autre part, les modalités d'évaluation de ce dépistage par l'Agence de la biomédecine ainsi que de communication des résultats de cette évaluation ; que de telles dispositions ne peuvent être regardées comme entrant dans le champ de l'article R. 2131-1-1 précité du code de la santé publique, qui ne concerne pas la transmission et l'évaluation des données relatives au dépistage prénatal, et vise seulement les règles de bonnes pratiques relatives aux " pratiques médicales concourant au diagnostic prénatal " ; que, par suite, les dispositions de l'arrêté attaqué sont entachées d'incompétence ;
Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté attaqué :
4. Considérant que, contrairement à ce que soutient la fondation requérante, les dispositions de l'arrêté attaqué ont seulement pour objet d'organiser, par la transmission de données à l'Agence de la biomédecine et la diffusion, par cette dernière, de certaines de ces données ou de résultats agrégés à différents organismes, l'évaluation des modalités existantes du dépistage de la trisomie 21 pendant la grossesse ainsi que le contrôle et l'amélioration des pratiques des professionnels concernés ; que cette évaluation, qui repose sur la comparaison du calcul de risque opéré lors du dépistage de la trisomie 21 et du caryotype prénatal éventuellement réalisé, répond à un objectif d'intérêt général tenant à la recherche d'une plus grande fiabilité des tests de dépistage et à un moindre recours aux méthodes invasives de diagnostic telles que les amniocentèses ; qu'elle ne porte pas, par elle-même, atteinte aux principes du respect de la dignité humaine, du droit à la vie ou de non-discrimination ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à l'intérêt général s'attachant à l'évaluation du dépistage de la trisomie 21 et à la diminution du recours aux méthodes invasives de diagnostic, il y a lieu, compte tenu du motif de l'annulation, de n'en prononcer l'annulation, sous réserve des droits des personnes qui auraient engagé une action contentieuse à la date de la présente décision, qu'à compter du 1er juin 2016 ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la fondation requérante d'une somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, l'arrêté du 27 mai 2013 modifiant l'arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21 est annulé à compter du 1er juin 2016.
Article 2 : L'Etat versera à la fondation X une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la fondation X et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.