Une infirmière de la fonction publique hospitalière a été révoquée de son emploi au sein d’un centre hospitalier universitaire après que son administration ait eu connaissance de faits constitutifs d’un cumul d’emploi entre 2006 et 2011. Cette dernière fait alors un recours devant le tribunal administratif tendant d’une part, à l’annulation, pour excès de pouvoir, de la décision par laquelle la directrice de l’établissement de santé la révoque et d’autre part, sa réintégration dans son emploi et la reconstitution de sa carrière et demande sa réintégration. Les juges du fonds rejettent tous les griefs de la requérante et estiment que « La sanction de la révocation prononcée à l’encontre de [la requérante] est motivée par la circonstance qu’elle a exercé une activité privée lucrative d’infirmière vacataire auprès de l’Institut Q. de janvier 2006 à avril 2011 » et que, compte tenu de la durée pendant laquelle la requérante avait exercé une double activité sans en avertir son employeur, la sanction ne paraît pas disproportionnée au regard de la faute commise, même si ses qualités professionnelles n’étaient pas remises en cause et que « les faits avaient cessé lorsque la procédure disciplinaire a été engagée. ». |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE CERGY-PONTOISE
N°1401567 et 1403337
Mme X.
Mme Charlery
Rapporteur
Mme Mornet
Rapporteur public
Audience du 3 novembre 2015
Lecture du 19 novembre 2015
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu la procédure suivante :
I -Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n°1401567, le 17 février 2014 et le 25 août 2015, Mme X. représentée par Me …, demande au tribunal :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté, en date du 9 octobre 2013, par lequel la directrice générale de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP) lui a infligé la sanction de la révocation à compter du 31 octobre 2013, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux daté du 4 novembre 2013 ;
2°) d’enjoindre l’AP-HP de la réintégrer dans son emploi et de reconstituer sa carrière, et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de deux mois suivant la notification du jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l’AP-HP la somme de 2 500 euros au titre de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l’arrêté du 9 octobre 2013 a été signé par une autorité incompétente ;
- elle n’a pu avoir communication de son dossier administratif complet, des pièces figurant dans le dossier transmis au conseil de discipline n’ayant pas figuré dans le dossier qu’elle a pu consulter préalablement à l’entretien disciplinaire ;
- l’autorité qui a engagé la procédure disciplinaire n’était pas compétente pour le faire ;
- aucun élément ne permet de vérifier que le conseil de discipline a été régulièrement constitué ni que les conditions du vote ont été régulières, en l’absence de production du procès- verbal du conseil de discipline et de l’avis de ce conseil ;
- l’arrêté en litige est insuffisamment motivé en fait ;
- le rapport présenté devant le conseil de discipline a été signé par une autorité indéterminée et incompétente ;
- le principe d’impartialité de la procédure disciplinaire a été méconnu ;
- la sanction est intervenue à l’issue d’un délai anormalement long entre la découverte par l’administration des faits reprochés et l’engagement de la procédure disciplinaire ;
- la sanction est disproportionnée par rapport aux faits qui lui sont reprochés et au regard des appréciations portées sur sa manière de servir ;
- l’arrêté du 9 octobre 2013 est entaché de détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2015, l’AP-HP conclut au rejet de la
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme X. ne sont pas fondés.
II– Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n°1403337, le 31 mars 2014 et le 25 août 2015, Mme X., représentée par Me …, demande au tribunal d’annuler la décision, en date du 4 mars 2014, rejetant le recours gracieux formé le 4 novembre 2013 à l’encontre de l’arrêté du 9 octobre 2013 lui infligeant la sanction de la révocation.
Elle soutient que :
- la décision du 4 mars 2014 a été signée par une autorité incompétente ;
- elle se prononce sur une demande qui n’a jamais été formulée dès lors qu’elle rejette une demande d’abrogation de la sanction alors que seul un retrait était sollicité ;
- cette décision est entachée des mêmes illégalités internes que celles précédemment énoncées à l’encontre de la décision infligeant la sanction disciplinaire ;
- la lettre par laquelle l’administration a été informée du cumul d’activités ne figurait pas dans son dossier personnel.
Par un mémoire, enregistré le 24 juillet 2015, l’AP-HP conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés par Mme X. ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier. Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n°83-634 du 13 janvier 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Charlery,
- et les conclusions de Mme Mornet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus n°1401567 et n°1403337, présentées par Mme X., concernent le même agent, présentent à juger des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.
Sur la légalité externe de l’arrêté du 9 octobre 2013 :
2. Aux termes de l’article R. 6147-2 du code de la santé publique : « L'Assistance publique-hôpitaux de Paris, les Hospices civils de Lyon et l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille sont dirigés par un directeur général. Le directeur général de l'Assistance publique- hôpitaux de Paris est assisté d'un secrétaire général, qui le supplée en cas d'absence ou d'empêchement (…) ».
3. Par un arrêté du 31 décembre 2010, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la région Ile-de-France, préfecture de Paris du 8 mars 2011, la directrice générale de l’AP-HP a donné à Mme Y, secrétaire générale, délégation à l’effet de signer, en son absence et en cas d’empêchement, tous actes, arrêtés, décisions ou conventions relevant de la gestion de l’AP-HP. Mme X. n’établit pas que la directrice générale de l’AP-HP n’était pas absente ou empêchée lorsque la décision du 9 octobre 2013 lui infligeant la sanction de la révocation a été prise. Ainsi la secrétaire générale a pu régulièrement signer, en lieu et place de la directrice générale, cette décision. Dès lors, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de l’arrêté du 9 octobre 2013, manquant en fait, doit être écarté.
4. Mme X. soutient que l’arrêté du 9 octobre 2013 serait intervenu à l’issue d’une procédure irrégulière dès lors que figuraient dans son dossier personnel transmis au conseil de discipline, des pièces qui n’étaient pas au nombre des éléments du dossier administratif qu’elle a pu consulter préalablement à l’entretien disciplinaire. La requérante fait état à ce titre des demandes de logement qu’elle a formulées auprès de l’AP-HP, lesquelles sont toutefois sans rapport avec les griefs relevés à l’encontre de l’intéressée et n’ont eu aucune influence sur la décision. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la « lettre de dénonciation » qu’elle invoque également ait jamais existé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation de communication d’un dossier complet ne peut qu’être écarté.
5. Par un arrêté du 5 juillet 2013, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de Paris le même jour, le directeur du groupe hospitalier Z. a donné à Mme W, directrice-adjointe chargée des ressources humaines, délégation à l’effet de signer tous les actes liés à ses fonctions et ceci uniquement pour les matières énoncées aux §A, §B, §C6°, §G 1° et 2° et §H de l’arrêté directorial du 18 février 2013, parmi lesquelles figurent les « lettres de convocation à un entretien disciplinaire, aux personnels non médicaux de catégorie A, B ou C (…) », mentionnées au § B de l’article 1er (24°). Il en résulte que Mme W était compétente pour signer les courriers des 11 et 19 juillet 2013 qui ont engagé la procédure disciplinaire en convoquant Mme X. à un entretien disciplinaire préalable à une sanction. Le moyen ne peut ainsi qu’être écarté.
6. Mme X. fait valoir que le conseil de discipline était irrégulièrement constitué et que les conditions de vote ont été entachées d’irrégularité. Toutefois, elle n’assortit ce moyen d’aucune précision quant à la nature des irrégularités commises. Ce moyen ne peut dès lors qu’être écarté.
7. L’arrêté du 9 octobre 2013, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquels il se fonde, est suffisamment motivé. La circonstance que les conséquences de la faute sur la manière de servir de l’intéressée n’aient pas été développées, particulièrement s’agissant de l’atteinte à la sécurité des patients, est sans incidence, dès lors qu’à la seule lecture de la décision, Mme X. pouvait connaître les motifs de la sanction. Ainsi, le moyen tiré de l’insuffisante motivation de l’arrêté attaqué ne peut qu’être écarté.
8. Aux termes de l’article 83 de la loi du 9 janvier 1986 : «(…) Le conseil de discipline est saisi par un rapport de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Ce rapport précise les faits reprochés et les circonstances dans lesquelles ils ont été commis (…) ».
9. Le directeur des ressources humaines de l’AP-HP, M. V., signataire du rapport du 11 septembre 2013 présenté devant le conseil de discipline, est identifié par la mention de ses nom et prénom, à l’emplacement de sa signature, ainsi que par la mention de ses fonctions en en-tête du rapport. Il avait reçu délégation à l’effet de signer les arrêtés et actes administratifs de toute nature ressortissant des attributions de son pôle d’intérêt commun, par un arrêté directorial du 9 mai 2011, publié au recueil des actes administratifs le 11 mai 2011. Il en résulte que le moyen tiré de ce que le rapport disciplinaire aurait été signé par une personne indéterminée et incompétente doit être écarté.
10. Mme X. soutient que la participation au conseil de discipline de M. U, dont le nom figure sur la première page du rapport présenté devant le conseil de discipline, porte atteinte au principe d’impartialité, dans la mesure où, ayant rédigé le rapport disciplinaire, il était nécessairement de parti pris. Toutefois M. U, dont le nom figure parmi les représentants de l’administration présents à cette séance du conseil de discipline, est seulement intervenu en qualité de secrétaire de séance et n’a pas eu voix délibérative, comme en témoigne la liste d’émargement des votants sur laquelle sa signature n’apparait pas. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité doit donc être écarté.
Sur la légalité interne de l’arrêté du 9 octobre 2013 :
11. Aucun texte ni aucun principe général du droit n’enferme dans un délai déterminé l’exercice de l’action disciplinaire à l’égard d’un fonctionnaire. Par suite, la directrice générale de l’AP-HP pouvait légalement prendre la décision de radiation des cadres en 2013 alors même que les faits auraient été commis entre 2006 et 2011. En outre, la mention figurant sur les convocations à un entretien disciplinaire selon laquelle l’administration a eu connaissance « de faits constitutifs d’un cumul d’emploi entre 2006 et 2011 » ne signifie pas qu’elle a été informée de ces faits au moment de leur commission. Il ressort des pièces du dossier, que l’AP-HP n’a pu établir la réalité de ce cumul d’activités publique et privée qu’en juillet 2013, date à laquelle l’Institut Q. lui a transmis les plannings d’activité et les fiches de paie de l’intéressée. De telle sorte que le moyen selon lequel le prononcé de la sanction serait intervenu à l’issue d’un délai anormalement long après que l’administration a été informée de l’existence matérielle des faits reprochés ne peut qu’être écarté.
12. Aux termes de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 : « Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit (…) »
13. La sanction de la révocation prononcée à l’encontre de Mme X. est motivée par la circonstance qu’elle a exercé une activité privée lucrative d’infirmière vacataire auprès de l’Institut Q. de janvier 2006 à avril 2011, pour un volume horaire annuel compris entre 230 heures et 1 100 heures, alors qu’elle occupait un emploi d’infirmière à l’hôpital ... Mme X., qui reconnait les faits, a ainsi méconnu les dispositions précitées prohibant le cumul d’activités publique et privée et commis, de ce fait, une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. Compte tenu de l’ampleur et de la durée de la double activité qui lui est reprochée, la sanction de révocation n’est pas disproportionnée par rapport à la faute commise par Mme X., alors même que ses qualités professionnelles étaient reconnues, que sa manière de servir n’en aurait jamais été altérée et que les faits avaient cessé lorsque la procédure disciplinaire a été engagée.
14. Le détournement de pouvoir allégué par Mme X. n’est pas établi.
15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté du 9 octobre 2013 ne peuvent qu’être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions dirigées contre la décision du 4 mars 2014 rejetant le recours gracieux, sans que les vices propres dont cette décision serait entachée puissent être utilement invoqués. Il en est de même des conclusions à fin d’injonction et des conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E:
Article 1er: Les requêtes de Mme X. sont rejetées.
Article 2: Le présent jugement sera notifié à Mme X. et à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.