Un gynécologue-obstétricien est condamné en février 2012 pour homicide involontaire à deux ans et demi d'emprisonnement avec sursis, et une peine d'interdiction définitive d'exercer la profession de chirurgien-obstétricien, à la suite du décès d'une jeune femme après son accouchement. L’ordre des médecins se saisit de cette affaire et les juges ordinaux prononcent, en première instance, une peine d'interdiction d'exercice de trois ans dont un ferme, alourdie dans une décision d'appel rendue le 21 septembre 2015 à trois ans d'interdiction ferme, du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018. Le praticien saisit le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative au cumul des sanctions prononcées par une juridiction pénale et une juridiction disciplinaire sur des faits identiques. Le Conseil d’Etat rappelle les points suivants : « le principe de la nécessité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789 ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent, ainsi qu'en disposent les articles L. 4124-6 et L. 4126-5 du code de la santé publique, faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou pénale en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridictions ». « Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que des dispositions législatives permettant, ainsi qu'en disposent les articles L. 4124-6 et L. 4126-5 du code de la santé publique, le cumul de sanctions prononcées par une juridiction disciplinaire et par une juridiction pénale ne sont pas, de ce seul fait, contraires au principe de la nécessité des peines dès lors qu'il appartient aux autorités juridictionnelles et disciplinaires compétentes de veiller au respect de l'exigence selon laquelle, lorsque plusieurs sanctions de même nature prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ». « Les dispositions de l'article L. 4126-6 du code de la santé publique ne permettent pas au juge disciplinaire de prononcer une sanction à l'encontre d'un praticien ayant fait l'objet d'une condamnation pénale pour un fait autre qu'un crime ou délit contre la Nation, l'Etat ou la paix publique, sans rechercher si ce fait constitue également un manquement aux obligations déontologiques auxquelles ce praticien est soumis en raison de sa profession ; qu'elles n'ont par suite pas pour effet de permettre au juge disciplinaire de prononcer une condamnation complémentaire à celle prononcée au titre d'une infraction pénale et ne peuvent ainsi, en tout état de cause, méconnaître pour ce motif le principe de la nécessité des peines ». La haute juridiction administrative estime donc qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC soulevée, cette dernière n'étant ni sérieuse ni nouvelle. Elle estime par ailleurs qu’aucun des moyens soulevés par le demandeur ne permet l'admission du pourvoi. |
Conseil d'État
N° 394447
4ème / 5ème SSR
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur
Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT, avocats
lecture du vendredi 15 janvier 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure
Le conseil départemental des Hauts-de-Seine de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. X. devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins. Par une décision du 26 mars 2014, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. X. la sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant trois ans, dont deux avec sursis.
Par une décision n° 12315 du 21 septembre 2015, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, sur les appels de M. X. et du Conseil national de l'ordre des médecins, a infligé à M. X. la sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée de trois ans, cette sanction devant être exécutée du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018.
Procédures devant le Conseil d'Etat
1° Sous le n° 394447, par un pourvoi, enregistré le 9 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins et du conseil départemental des Hauts-de-Seine de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 novembre et 17 décembre 2015, M. X. demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions des articles L. 4124-6, L. 4126-5 et L. 4126-6 du code de la santé publique.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 décembre 2015, le Conseil national de l'ordre des médecins soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ne sont pas remplies.
2° Sous le n° 394448, par une requête enregistrée le 9 novembre 2015, M. X.demande au Conseil d'Etat d'ordonner, en application de l'article L. 821-5 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. X. et à la SCP Barthélémy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;
1. Considérant que le pourvoi par lequel M. X. demande l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 21 septembre 2015 qui lui inflige une sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée de trois ans et sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cette décision présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur le pourvoi en cassation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux " ;
En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
4. Considérant que l'article L. 4124-6 du code de la santé publique fixe la liste des sanctions disciplinaires qui peuvent être prononcées à l'encontre d'un médecin, d'un chirurgien-dentiste ou d'une sage-femme et précise le régime de ces sanctions ; qu'aux termes des quatrième à sixième alinéas de cet article, peuvent notamment être appliquées les sanctions suivantes : " 3° L'interdiction temporaire avec ou sans sursis ou l'interdiction permanente d'exercer une, plusieurs ou la totalité des fonctions de médecin, de chirurgien-dentiste ou de sage-femme, conférées ou rétribuées par l'Etat, les départements, les communes, les établissements publics, les établissements reconnus d'utilité publique ou des mêmes fonctions accomplies en application des lois sociales ; / 4° L'interdiction temporaire d'exercer avec ou sans sursis ; cette interdiction ne pouvant excéder trois années ; / 5° La radiation du tableau de l'ordre " ; que l'article L. 4126-5 du même code précise que l'exercice de l'action disciplinaire ne fait obstacle ni à des poursuites pénales, ni aux actions de nature indemnitaire, ni à l'action disciplinaire devant l'administration dont le praticien en cause dépend ni aux instances qui peuvent être engagées contre ces praticiens en raison des abus qui leur seraient reprochés dans leur participation aux soins médicaux prévus par les lois sociales ; qu'enfin, l'article L. 4126-6 dispose que " Lorsqu'un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme a été condamné par une juridiction pénale pour tout autre fait qu'un crime ou délit contre la Nation, l'Etat ou la paix publique, la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre peut prononcer, s'il y a lieu, à son égard, dans les conditions des articles L. 4126-1 et L. 4126-2, une des sanctions prévues à l'article L. 4124-6 " ; qu'il prévoit également que l'autorité judiciaire informe le conseil national de l'ordre de toute condamnation d'un praticien devenue définitive ;
5. Considérant que M. X. soutient qu'en permettant que des poursuites disciplinaires puissent être engagées à l'encontre d'un médecin qui a été pénalement condamné à une interdiction d'exercer une profession médicale et en permettant à la juridiction disciplinaire de prononcer une sanction disciplinaire d'interdiction d'exercer la médecine se cumulant avec cette peine, ces dispositions méconnaissent le principe " non bis in idem " et le principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que le législateur aurait en outre méconnu l'étendue de sa compétence en n'interdisant pas la possibilité d'un tel cumul ;
6. Considérant, en premier lieu, que le principe de la nécessité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789 ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent, ainsi qu'en disposent les articles L. 4124-6 et L. 4126-5 du code de la santé publique, faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou pénale en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridictions ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que des dispositions législatives permettant, ainsi qu'en disposent les articles L. 4124-6 et L. 4126-5 du code de la santé publique, le cumul de sanctions prononcées par une juridiction disciplinaire et par une juridiction pénale ne sont pas, de ce seul fait, contraires au principe de la nécessité des peines dès lors qu'il appartient aux autorités juridictionnelles et disciplinaires compétentes de veiller au respect de l'exigence selon laquelle, lorsque plusieurs sanctions de même nature prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ;
8. Considérant, enfin, que les dispositions de l'article L. 4126-6 du code de la santé publique ne permettent pas au juge disciplinaire de prononcer une sanction à l'encontre d'un praticien ayant fait l'objet d'une condamnation pénale pour un fait autre qu'un crime ou délit contre la Nation, l'Etat ou la paix publique, sans rechercher si ce fait constitue également un manquement aux obligations déontologiques auxquelles ce praticien est soumis en raison de sa profession ; qu'elles n'ont par suite pas pour effet de permettre au juge disciplinaire de prononcer une condamnation complémentaire à celle prononcée au titre d'une infraction pénale et ne peuvent ainsi, en tout état de cause, méconnaître pour ce motif le principe de la nécessité des peines ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré par M.X. , à l'appui de son pourvoi en cassation, de ce que les articles L. 4124-6, L. 4126-5 et L. 4126-6 du code de la santé publique portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, doit être regardé comme non sérieux ;
En ce qui concerne les autres moyens du pourvoi :
10. Considérant que pour demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'il attaque, M. X. soutient en outre qu'elle est entachée d'insuffisance de motivation en ce qu'elle ne fait pas apparaître les motifs pour lesquels elle juge qu'il a méconnu les dispositions des articles R. 4127-9 et R. 4127-32 du code de la santé publique ; qu'elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle lui inflige une sanction en vertu de textes qui, parce qu'ils permettent le cumul avec une condamnation pénale de même nature prononcée antérieurement, sont incompatibles avec les stipulations de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, de l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 54 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 et de l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle est également entachée d'erreur de droit en ce qu'elle lui inflige, en méconnaissance des exigences qui résultent de l'article 8 de la Déclaration de 1789, une sanction d'interdiction temporaire d'exercer la médecine qui s'ajoute à la peine d'interdiction définitive d'exercer la profession de " chirurgien-obstétricien " prononcée par la juridiction pénale ; qu'enfin la sanction prononcée est hors de proportion avec la faute commise ; qu'aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens du pourvoi de M. X. n'est de nature à permettre son admission ;
Sur la requête aux fins de sursis à exécution :
12. Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le pourvoi formé par M. X. contre la décision du 21 septembre 2015 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins n'est pas admis ; que, par suite, et sans qu'il y ait lieu pour le Conseil d'Etat de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. X. au soutien de sa requête, les conclusions qu'il présente aux fins de suspension de l'exécution de cette décision sont devenues sans objet ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. X. sous les nos 394447 et 394448.
Article 2 : Le pourvoi de M. X. n'est pas admis.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par M.X. .
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. X. et au Conseil national de l'ordre des médecins.