Le tribunal judiciaire de Créteil a transmis à la Cour de cassation, à la suite de l'ordonnance rendue le 16 janvier 2024, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) reçue le 19 février 2024 ainsi rédigée :
« L'article 342-11 du code civil, en ce qu'il impose aux couples de femmes ayant recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur de procéder à une reconnaissance conjointe anticipée pour établir la filiation à l'égard de la femme qui n'accouche pas de l'enfant, porte-t-il atteinte au principe d'égalité et en particulier au principe d'égalité entre les hommes et les femmes, à la liberté personnelle, au droit à une vie familiale normale, au droit au respect de la vie privée ainsi qu'au principe fondamental reconnu par les lois de la République de gratuité de l'établissement des actes de l'état civil ? ».
Après avoir rappelé que la disposition contestée était applicable au litige, la Haute juridiction a considéré que la question n'était pas nouvelle et qu'elle ne présentait pas un caractère sérieux, et donc que les deux conditions nécessaires à l'examen de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel n'étaient pas réunies.
Elle a donc rejeté la QPC en précisant que "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.".
La cour rappelle plusieurs éléments de droit :
- Dans la rédaction issue de la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, l'article L. 2141-2 du code de la santé publique dispose que l'AMP est destinée à répondre à un projet parental, que celui-ci émane d'un couple formé d'un homme et d'une femme, d'un couple formé de deux femmes ou de toute femme non mariée, sans distinction selon la cause pathologique ou structurelle de l'infertilité conduisant à y recourir.
- Au regard de l'accès à la procréation par AMP avec tiers donneur, les couples formés d'un homme et d'une femme et les couples formés de deux femmes peuvent donc être considérés comme étant placés dans une situation identique.
- En revanche, pris sous l'angle de la situation du parent d'intention et des enfants nés selon ce mode de conception, ceux-ci ne se trouvent pas placés dans la même situation au regard de la vraisemblance biologique du lien de filiation, sur laquelle sont construites les règles du titre VII du livre I du code civil.
- Tenant compte de cette différence de situation, le législateur a opté pour un mode spécifique d'établissement de la filiation vis-à-vis de la mère d'intention détaché de toute vraisemblance biologique et fondé sur le projet parental commun : la reconnaissance conjointe anticipée, régie par l'article 342-11 du code civil. Afin de sécuriser la filiation des enfants qui naîtraient de ce projet, il a prévu que cette reconnaissance conjointe se ferait devant le notaire lorsque celui-ci recueille le consentement des deux femmes à l'AMP.
Il est conclu :
"14. Ainsi, s'iI résulte de l'article 342-11 du code civil une différence de régime quant aux modes d'établissement de la filiation, d'une part, entre les couples formés d'un homme et d'une femme, et les couples formés de deux femmes, seuls ces derniers devant procéder à une reconnaissance conjointe avant même la conception de l'enfant pour que soit établie la filiation de l'enfant à naître à l'égard du parent d'intention, et, d'autre part, entre l'homme et la femme, parents d'intention, dès lors que la mère d'intention doit procéder à cette reconnaissance conjointe, avant la conception de l'enfant, alors que la filiation du père d'intention sera établie, par le jeu de la présomption de paternité ou par l'effet d'une reconnaissance personnelle qui peut intervenir à tout moment après la conception, cette différence de traitement, qui porte sur des situations différentes, est en rapport direct avec l'objet de la loi.
15. L'article 342-11 du code civil ne porte donc atteinte ni au principe d'égalité devant la loi consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni au principe d'égalité entre homme et femme garanti par l'article 3 du Préambule de la Constitution de 1946."