Abstrat
Les victimes d’une contamination par transfusions sanguines peuvent engager une seule procédure à l’encontre d’une personne publique en charge d’un centre de transfusion sanguine. Cette action permet aux victimes de voir leurs préjudices réparés dans leur totalité par l’établissement public et ce, lorsque plusieurs entités publiques et privées sont susceptibles d’être responsables de cette contamination. La personne publique mise en cause peut toutefois appeler en garantie devant la juridiction compétente les autres centres de transfusions sanguines impliqués (personne publique et/ou personne morale de droit privé). Lorsque la victime d’un dommage décède avant d’avoir introduit une action en réparation, son droit à réparation se transmet à ses héritiers. Voir aussi : |
Faits :
A la suite de plusieurs transfusions sanguines réalisées lors de séjours au sein d'un hôpital de l'AP-HP et au centre privé Y, Madame X a été contaminée en 1984 par le virus de l’immunodéficience humaine. Elle est décédée avant d’avoir introduit une action tendant à la réparation de ses préjudices.
Solution :
Madame Shames, dont la sœur a été contaminée par le virus de l’immunodéficience humaine, intentait une action en justice demandant la condamnation de l’AP-HP à l’indemniser du préjudice causé à sa sœur, Madame X, et à elle-même. Un jugement du 16 décembre 1997 du Tribunal Administratif de Paris a dans un premier temps rejeté la demande de Madame Y.
Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris en date du 23 février 1999 a annulé ce jugement.
Le Conseil d’Etat (15 janvier 2001) décide que la personne publique mise en cause devant le juge administratif est tenue pour responsable de l’ensemble des dommages subis par la victime et condamnée à les réparer, même si les produits sanguins à l’origine de la contamination ont été élaborés par plusieurs centres de transfusions publics et privés.
Cette responsabilité est engagée en l’absence de preuve de l’innocuité des produits sanguins fournis par cette personne publique.
L'arrêt :
Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies, sur le rapport de la 5ème sous-section - N° 208958 - Séance du 13 décembre 2000, lecture du 15 janvier 2001 - ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS
Vu la requête, enregistrée le 11 juin 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS demandant au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 23 février 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, à la demande de Mme X,
l° a annulé le jugement en date du 16 décembre 1997 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de cette dernière tendant à la condamnation de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à l'indemniser du préjudice causé à Mme Y, sa soeur, et à elle-même par la contamination en 1984 de Mme Y, par le virus de l'immunodéficience humaine, au sein d'un hôpital de l'AP-HP,
2° a condamné l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à verser à Mme X une somme de 1 400 000 F en réparation du préjudice subi par Mme Y du fait de la contamination de cette dernière par le virus de l'immunodéficience humaine et de son décès,
3° a condamné l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à verser à Mme X la somme de 15 000 F, au titre des frais irrépétibles exposés et non compris dans les dépens ;
2°) de condamner Mme X à lui verser la somme de 12 000 F sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ; l'article 47 de la loi n° 91-1046 du 31 décembre 1991 ; le code de justice administrative ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, dans le cas où les produits sanguins à l’origine d’une contamination ont été élaborés par plusieurs centres de transfusion ayant des personnalités juridiques distinctes, la personne publique mise en cause devant le juge administratif doit être tenue pour responsable de l’ensemble des dommages subis par la victime et condamnée à les réparer si elle n’établit pas l’innocuité des produits qu’elles a elle-même élaborés, sans préjudice de la possibilité pour elle, si elle s’y croit fondée, d’appeler en garantie devant le juge administratif les autres centres de transfusion ayant la qualité de personne publique ou d’exercer une action devant le juge judiciaire à l’encontre des autres centres de transfusion ayant la qualité de personne morale de droit privé dans la mesure où ils seraient co-auteurs de la contamination ;
Considérant qu’après avoir constaté que la séropositivité de Mme Y avait été diagnostiquée postérieurement à des transfusions sanguines réalisées lors de ses séjours au sein d'un hôpital de l'AP-HP et au centre privé Y., et après avoir souverainement estimé que l’instruction n’avait pas permis d’identifier d’autres modes de contamination propres à la victime, la cour a pu, sans erreur de droit, considérer que la contamination était imputable aux transfusions ; que l’enquête transfusionnelle n’ayant pas permis de conclure à l’innocuité des produits sanguins fournis par le centre de transfusion dépendant d'un hôpital de l'AP-HP qui n’avait pas de personnalité juridique distincte de celle de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, la cour a pu légalement condamner l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à réparer l’ensemble des préjudices subis par Mme Y et ce alors même que certains produits sanguins administrés au centre Y. avaient été fournis par une autre personne morale ;
Sur le préjudice :
Considérant que le droit à réparation d’un dommage, quelle que soit sa nature, s’ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime d’un dommage décède avant d’avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; qu’il suit de là que la cour administrative d'appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le droit à réparation des préjudices tant matériels que personnels subis par Mme Y est entré dans le patrimoine de ses héritiers alors même que Mme Y n’avait, avant son décès, introduit aucune action tendant à la réparation de ces préjudices ;
Considérant que la cour administrative d'appel a souverainement procédé à l’évaluation des préjudices de toute nature subis tant par Mme Y que par son héritière, Mme X ; que son arrêt est suffisamment motivé sur ce point ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme X qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à payer à Mme X la somme de 10 000 F qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS est rejetée.
Article 2 : L’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS versera à Mme X une somme de 10 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, à Mme X et au ministre de l'emploi et de la solidarité.