Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 5e et 4e sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 5e sous-section de la section du contentieux,
Vu l'arrêt du 11 octobre 2010, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 15 octobre 2010, par lequel la cour administrative d'appel de Paris, avant de statuer sur la requête de l'Etablissement français du sang tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 22 avril 2008 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il l'a condamné à indemniser le préjudice économique subi par M. Oulabbi qui serait consécutif à sa contamination par le virus de l'hépatite C et à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme la moitié du coût de la pension d'invalidité servie à l'intéressé à partir de 2004 et le capital représentatif de celle-ci et, d'autre part, à ce que soit limitée à 7,6 % sa contribution à la pension servie à M. Oulabbi, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° Les dispositions de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 et leurs décrets d'application du 11 mars 2010 qui, à compter du 1er juin 2010, confient à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) aux lieu et place de l'Etablissement français du sang (EFS) l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang, sans indiquer expressément que cette substitution s'opère au nom de la solidarité nationale, font-elles obstacle à l'exercice, par les tiers payeurs, d'un recours subrogatoire à l'encontre dudit office ?
2° Dans l'affirmative, y-a-t-il lieu de maintenir en cause d'appel l'EFS pour statuer ce que de droit sur le recours subrogatoire des tiers payeurs ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 février 2011, présentée pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 février 2011, présenté pour l'Etablissement français du sang ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;
Vu la loi n° 85-677 du 5 juillet 1959 ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
Vu le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 ;
Vu le décret n° 2010-252 du 11 mars 2010 ;
Après avoir entendu en séance publique :
― le rapport de M. Frédéric Desportes, chargé des fonctions de maître des requêtes ;
― les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang et de la SCP Roger, Sevaux, avocat de l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux, des affections ioatrogènes et des infections nosocomiales ;
― les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang, et à la SCP Roger, Sevaux, avocat de l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales,
Rend l'avis suivant :
I. ― L'article L. 1142-22 du code de la santé publique relatif à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) énonce, en son premier alinéa, que cet établissement public à caractère administratif de l'Etat est chargé de l'indemnisation, « au titre de la solidarité nationale », de certains dommages, définis par la loi, causés par un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale. En son deuxième alinéa, le même article dispose, dans sa rédaction issue des dispositions de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, que l'ONIAM est également chargé, conformément à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique issu des mêmes dispositions, de l'indemnisation, antérieurement assurée par l'Etablissement français du sang (EFS), des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C (VHC) causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang.
L'article L. 1221-14 organise la procédure d'indemnisation amiable de ces victimes par l'ONIAM selon des règles inspirées pour l'essentiel de celles prévues par les articles L. 3122-1 et suivants pour l'indemnisation des victimes d'une contamination transfusionnelle par le virus d'immunodéficience humaine. En vertu du troisième alinéa de l'article L. 1221-14, qui renvoie aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique applicables à l'indemnisation, au titre de la solidarité nationale, des dommages résultant d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale, l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit une offre d'indemnisation indiquant l'évaluation retenue, pour chaque chef de préjudice « ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime, ou à ses ayants droit, déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 précitée, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice ». L'article L. 1221-14 comporte par ailleurs, en son deuxième alinéa, des dispositions relatives à la preuve de l'origine de la contamination, aux termes desquelles « l'office recherche les circonstances de la contamination, notamment dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ». Cet article dispose que, en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le VHC, il incombe au demandeur d'apporter « des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang » et à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, « de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination », le doute profitant au demandeur. En application des dispositions combinées des articles L. 1221-14, alinéa 7, et L. 3122-4, l'ONIAM peut exercer un recours subrogatoire contre l'établissement de transfusion sanguine « responsable du dommage », à condition, d'une part, que le dommage soit imputable à une faute de celui-ci et que, d'autre part, sauf dans le cas où la contamination trouve son origine dans une violation ou un manquement mentionnés à l'article L. 1223-5, l'établissement soit couvert par une assurance.
Aux termes, enfin, des dispositions transitoires, figurant au IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 : « L'ONIAM se substitue à l'EFS dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ». L'ensemble des dispositions issues de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 est entré en vigueur le 1er juin 2010.
II. ― Pour sa part, le deuxième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, qui trouve application lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers dispose que : « Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident (...) ».
Des dispositions semblables figurent au I de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques.
Enfin, les dispositions de l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, applicables en vertu de l'article 28 de la même loi aux relations entre le tiers payeur et la personne tenue à réparation d'un dommage résultant d'une atteinte à la personne, quelle que soit la nature de l'événement ayant occasionné ce dommage, énumèrent la liste des prestations versées à la victime ouvrant droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur.
III. ― Il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et du I de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, ainsi que des articles 28 et 29 de la loi du 5 juillet 1985, que les recours des tiers payeurs, subrogés dans les droits d'une victime d'un dommage qu'ils indemnisent, s'exercent à l'encontre des auteurs responsables de l'accident.
En confiant à l'ONIAM, établissement public à caractère administratif de l'Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, la mission d'indemniser, selon une procédure amiable exclusive de toute recherche de responsabilité, les dommages subis par les victimes de contamination transfusionnelle par le VHC dans la mesure où ces dommages ne sont pas couverts par les prestations versées par les tiers payeurs et sans préjudice de l'exercice par l'office d'un recours subrogatoire contre « la personne responsable », le législateur a institué aux articles L. 1142-22 et L. 1221-14 du code de la santé publique un dispositif assurant l'indemnisation des victimes concernées au titre de la solidarité nationale. Il s'ensuit que, dans l'exercice de la mission qui lui est confiée par ces articles, l'ONIAM est tenu d'indemniser à ce titre et non en qualité d'auteur responsable. Ni la circonstance que le législateur n'ait pas expressément indiqué que l'ONIAM intervenait en ce cas au titre de la solidarité nationale ni le fait qu'il ait maintenu les règles de preuve prévues par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ne sauraient remettre en cause la nature de l'intervention de l'ONIAM telle qu'elle résulte de l'économie générale du dispositif applicable, au demeurant semblable à celui prévu par la loi pour l'accomplissement par l'ONIAM d'autres missions d'indemnisation assurées expressément au titre de la solidarité nationale.
Il résulte de ce qui précède que les tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage entrant dans les prévisions de l'article L. 1221-14 ne peuvent exercer contre l'ONIAM le recours subrogatoire prévu par les articles L. 376-1 du code de la sécurité sociale, 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 et 29 de la loi du 5 juillet 1985.
IV. ― En application de ces articles, les tiers payeurs peuvent en revanche exercer leur recours subrogatoire contre l'EFS en sa qualité de responsable du dommage. A cet égard, il se déduit des dispositions combinées des articles L. 1221-14, alinéa 7, et L. 3122-4 du code de la santé publique, relatives au recours subrogatoire ouvert à l'ONIAM, que, lorsque l'indemnisation de la victime d'une contamination transfusionnelle par le VHC est assurée au titre de la solidarité nationale, le législateur a entendu que la responsabilité de l'EFS ne puisse être recherchée par l'ONIAM et les tiers payeurs subrogés dans les droits de la victime que dans les cas où, conformément aux dispositions des articles précités, le dommage est imputable à une faute de l'établissement de transfusion sanguine et à condition, en principe, que celui-ci bénéficie de la couverture d'une assurance.
V. ― Toutefois, il résulte des dispositions du IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 selon lesquelles l'ONIAM se substitue à l'EFS dans les procédures tendant à l'indemnisation des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14, en cours à la date d'entrée en vigueur de cet article et n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable, que le législateur a entendu, dans ces procédures, substituer l'ONIAM à l'EFS tant à l'égard des victimes que des tiers payeurs. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de maintenir en cause l'EFS dans les procédures concernées pour qu'il soit statué sur le recours de ces derniers.
Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Paris, à M. Mohamed Oulabbi, à Mme Aïcha Oulabbi, à l'Etablissement français du sang, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.
Copie en sera adressée pour information au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Source : JORF n°0122 du 26 mai 2011