La Cour Administrative d’Appel de Douai considère qu’un établissement public de santé mentale est tenu de s’assurer du retour de sa patiente lors de toute sortie effectuée dans le cadre du traitement des activités hors de l’établissement, celle-ci restant sous sa responsabilité. La Cour précise que l’établissement public qui n’a procédé à aucune diligence nécessaire pour avertir les services de gendarmerie qu’elle n’est pas revenue afin que ceux-ci organisent des recherches à l’extérieur de l’établissement, commet une faute de service public hospitalier de nature à engager sa responsabilité.
" (...) Considérant qu'eu égard à une précédente tentative de suicide qui avait motivé son hospitalisation, et bien que Mme Y bénéficiait d'un régime de placement libre et ne présentait pas de symptômes particuliers, en dépit de la nervosité constatée par son mari, dans les heures précédant sa nouvelle tentative, sa sortie étant prévue le 18 juillet 2001, il appartenait à l'établissement public de santé mentale des Flandres, s'il n'était pas tenu à une surveillance spéciale de la malade compte tenu de son régime d'hospitalisation et de son comportement, de s'assurer du retour de la patiente qui restait sous sa responsabilité lors des sorties qu'elle effectuait pour suivre dans le cadre du traitement des activités hors de l'établissement ; que l'établissement public de santé mentale des Flandres, ainsi qu'il résulte des procès-verbaux dressés par la gendarmerie après l'accident, n'a averti l'époux de Mme Y qu'à 19 heures, et n'a procédé à aucune diligence nécessaire pour avertir les services de la gendarmerie, qui n'ont été informés de l'accident que tard dans la nuit par la SNCF, afin que ceux-ci organisent des recherches à l'extérieur de l'établissement ; que cette carence doit être regardée comme constitutive d'une faute du service public hospitalier de nature à engager la responsabilité de l'établissement public de santé mentale des Flandres ; (...) ". |
Cour administrative d'appel de Douai
statuant
au contentieux
N° 06DA01158
Inédit au Recueil Lebon
2e chambre - formation à 3 (bis) |
M. D, Rapporteur
M. E, Commissaire du gouvernement
Mme H, Président
Z AVOCATS
Lecture du 10 avril 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 21 août 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la société CIC ASSURANCES S, dont le siège est à Strasbourg Cedex 9 (67906), par Me Z ; la société CIC ASSURANCES S demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0300547 du 6 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Lille, d'une part, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'établissement public de santé mentale des Flandres à lui verser la somme de 100 097,15 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts, correspondant au montant des indemnités qu'elle a été amenée à verser à son assurée, Mme , et à la SNCF à la suite du vol de son véhicule lors de la tentative de suicide de Mme Y, patiente dudit établissement, sur une voie ferrée à Esquelbecq, la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et, d'autre part, l'a condamnée à verser à l'établissement public de santé mentale des Flandres une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de condamner l'établissement public de santé mentale des Flandres à lui payer la somme de 100 097,15 euros avec les intérêts au taux légal sur la somme de 97 381,44 euros à compter du 3 octobre 2002, sur celle de 2 500 euros à compter du 10 septembre 2002 et sur celle de 134,26 euros et 81,45 euros à compter du 14 octobre 2002 ainsi que la capitalisation des intérêts à compter du 3 février 2003 ;
3°) de condamner l'établissement public de santé mentale des Flandres à lui payer une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
Elle soutient que l'établissement public de santé mentale des Flandres, dans le traitement de Mme Y, a méconnu la gravité de son état de santé ; que ledit établissement a commis une faute dans la surveillance de sa patiente ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'avis de réception de la mise en demeure adressée le 26 décembre 2006, en application de l'article R. 612-2 du code de justice administrative, à Mme épouse Z, qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 janvier 2007, présenté pour l'établissement public de santé mentale des Flandres, par Me L ; l'établissement public de santé mentale des Flandres demande à la Cour de rejeter la requête ; il soutient que le comportement de
Mme Y ne pouvait laisser présager du geste qu'elle allait commettre ; que le personnel de l'établissement a exercé une surveillance attentive, dans les limites permises dans le cadre d'un placement libre ;
Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 2 mars 2007, confirmé par la production de l'original le 5 mars 2007, pour la société A, venant aux droits de la société CIC ASSURANCES, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et demande en outre, à titre subsidiaire, que soit ordonnée une expertise médicale et, en tout état de cause, que l'établissement public de santé mentale des Flandres soit condamné à lui payer une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient en outre que le fait que l'établissement public de santé mentale des Flandres ait tardé à avertir l'époux de Mme Y et n'ait pas prévenu la gendarmerie de la disparition de la patiente est constitutif d'un défaut de surveillance engageant sa responsabilité ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mars 2007 à laquelle siégeaient Mme C, président de chambre,
Mme P, président-assesseur et M. D, premier conseiller :
- le rapport de M. D, premier conseiller,
- les observations de Me Z pour la société A,
- et les conclusions de M.E, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après une première tentative de suicide, intervenue le 29 mai 2001 en immobilisant un véhicule automobile sur un passage à niveau, Mme Y a été placée, à sa demande, dans l'établissement public de santé mentale des Flandres ; que, dans le cadre de cette hospitalisation, Mme Y bénéficiait d'autorisations de sorties et de permissions pour les week-ends, afin de retrouver sa famille ; que le lundi 16 juillet 2001, après avoir participé à un atelier de détente musicale hors de l'établissement, et alors que Mme Y devait en principe regagner celui-ci, l'intéressée a trouvé les clés de la voiture d'une autre patiente, stationnée dans la cour de l'établissement, a pu partir du centre hospitalier à bord de l'automobile aux alentours de 16 heures, avant de tenter dans la soirée de se suicider en immobilisant le véhicule sur une voie ferrée à Esquelbecq, provoquant un grave accident impliquant un train de marchandises ; que la société CIC ASSURANCES S, assureur du véhicule de Mme , a dû indemniser cette dernière de la perte de son véhicule ainsi que la SNCF des dommages causés à ses biens immobiliers et mobiliers ; que la société CIC ASSURANCES S , ainsi subrogée dans les droits de son assurée, a saisi le Tribunal administratif de Lille afin d'être remboursée, par l'établissement public de santé mentale des Flandres, des indemnités qu'elle a dû verser ; que cette société, aux droits de laquelle vient la société A, fait appel du jugement en date du 6 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Considérant qu'eu égard à une précédente tentative de suicide qui avait motivé son hospitalisation, et bien que Mme Y bénéficiait d'un régime de placement libre et ne présentait pas de symptômes particuliers, en dépit de la nervosité constatée par son mari, dans les heures précédant sa nouvelle tentative, sa sortie étant prévue le 18 juillet 2001, il appartenait à l'établissement public de santé mentale des Flandres, s'il n'était pas tenu à une surveillance spéciale de la malade compte tenu de son régime d'hospitalisation et de son comportement, de s'assurer du retour de la patiente qui restait sous sa responsabilité lors des sorties qu'elle effectuait pour suivre dans le cadre du traitement des activités hors de l'établissement ; que l'établissement public de santé mentale des Flandres, ainsi qu'il résulte des procès-verbaux dressés par la gendarmerie après l'accident, n'a averti l'époux de Mme Y qu'à 19 heures, et n'a procédé à aucune diligence nécessaire pour avertir les services de la gendarmerie, qui n'ont été informés de l'accident que tard dans la nuit par la SNCF, afin que ceux-ci organisent des recherches à l'extérieur de l'établissement ; que cette carence doit être regardée comme constitutive d'une faute du service public hospitalier de nature à engager la responsabilité de l'établissement public de santé mentale des Flandres ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société A est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont refusé de reconnaître la responsabilité de l'établissement public de santé mentale des Flandres ; qu'il suit de là que le jugement du Tribunal administratif de Lille en date du 6 juin 2006 doit être annulé ;
Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les conclusions indemnitaires présentées par la société A ;
Considérant que la société A demande la condamnation de l'établissement public de santé mentale des Flandres à lui payer une somme totale de 100 097,15 euros, correspondant aux sommes versées, en lieu et place de Mme Y, son assurée, à la SNCF pour un montant de 97 381,44 euros, à la propriétaire du véhicule pour des montants de 2 500 euros et 134,26 euros et à l'expert automobile ayant évalué les dégâts causés au véhicule de cette dernière pour un montant de 81,45 euros ; que la société A établit, par les pièces versées aux débats, que ces sommes ont bien été réglées ; que ces sommes ne sont d'ailleurs pas contestées par l'établissement public de santé mentale des Flandres ; que, dès lors, il y a lieu de condamner ce dernier à payer à la société A une somme totale de
100 097,15 euros ;
Considérant que la société A demande à la Cour de céans de condamner l'établissement public de santé mentale des Flandres à lui verser des intérêts au taux légal sur la somme de 97 381,44 euros à compter du 3 octobre 2002, sur celle de 2 500 euros à compter du 10 septembre 2002 et sur celles de 134,26 euros et 81,45 euros à compter du 14 octobre 2002 ; que, toutefois, les sommes mises à la charge d'un établissement hospitalier à titre de dommages et intérêts ne peuvent porter intérêts au taux légal à compter d'une date antérieure à la demande préalable d'indemnisation ; qu'en l'espèce, après avoir adressé sa demande préalable d'indemnisation à l'hôpital le 20 novembre 2002, la société CIC ASSURANCES S a saisi le tribunal administratif en demandant que les sommes dont elle demande réparation soient assorties d'intérêts ; que, dans ces conditions, la somme de 100 097,15 euros portera intérêts à compter du 3 février 2003, date de l'enregistrement de la requête de la société CIC ASSURANCES S devant le Tribunal administratif de Lille ; que la capitalisation des intérêts ayant été demandée le 3 février 2003, les intérêts seront capitalisés à la date du 4 février 2004, dès lors qu'à cette date était due au moins une année d'intérêts, et à chaque échéance annuelle, pour porter eux-mêmes intérêts ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en date du 6 juin 2006, le Tribunal administratif de Lille a rejeté la demande présentée par la société CIC ASSURANCES S ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'établissement public de santé mentale des Flandres, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société A et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0300547 du Tribunal administratif de Lille en date du 6 juin 2006 est annulé.
Article 2 : L'établissement public de santé mentale des Flandres est condamné à verser une somme de 100 097,15 euros à la société AI, venant aux droits de la société CIC ASSURANCES S. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 3 février 2003. Les intérêts porteront eux-mêmes intérêts à compter du 4 février 2004 et à chaque échéance annuelle.
Article 3 : L'établissement public de santé mentale des Flandres versera une somme de
1 500 euros à la société A, venant aux droits de la société CIC ASSURANCES S, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société A venant aux droits de la société CIC ASSURANCES S est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société A, venant aux droits de la société CIC ASSURANCES S, à l'établissement public de santé mentale des Flandres et à Mme Marie-Agnès épouse Z.