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Chambre criminelle de la Cour de cassation, 6 mars 2012, n° 11-80801 (Publication – Information – Sanction pénal – Secret médical)

En l’espèce, un journal a publié en 20 0 8 un article révélant des résultats « suspects » du bilan sanguin d’un athlète international. Le journaliste est condamné en première instance ainsi qu’en appel pour recel d’information sur le fondement de l’article 321-1 du Code pénal. L’arrêt de la cour d’appel a ainsi considéré que « le bilan sanguin d'une personne, qui ne peut être fait que par des professionnels de santé, constitue une donnée à caractère médical protégée par le secret professionnel. (…) Les juges rappellent que toute personne prise en charge par un professionnel de santé a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant, et que la divulgation de ces informations en l'absence de consentement, caractérise la violation du secret professionnel ; qu'ils en déduisent que l'utilisation, dans le cadre d'un article de presse, d'un document comportant ces informations confidentielles et provenant de ce délit, caractérise l'infraction de recel ». Or, la Cour de cassation considère que la cour d’appel n’a pas caractérisé la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en aurait été dépositaire et que la faute d’infraction originelle de violation du secret professionnel ne peut ainsi être retenue, de même pour le recel.

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 6 mars 2012
N° de pourvoi: 11-80801

 

Publié au bulletin Cassation

M. Louvel (président), président
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

M. Damien X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 21e chambre, en date du 13 décembre 2010, qui, pour recel de violation du secret professionnel, l'a condamné à 3 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 février 2012 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Harel-Dutirou conseiller rapporteur, MM. Arnould, Le Corroller, Nunez, Mme Radenne, M. Pers, Mme Mirguet conseillers de la chambre, M. Roth conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Sassoust ;

Greffier de chambre : Mme Leprey ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SASSOUST ;

Vu les mémoires en demande et en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-3, 111-4, 121-3, 321-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de recel de violation du secret médical ;

"aux motifs que le prévenu ne peut raisonnablement soutenir que les données personnelles d'un individu constituées par son bilan sanguin et, en l'espèce, son taux d'hématocrite et d'hémoglobine, ne constituent pas des données médicales au sens de L. 1110-4 du code de la santé publique, qui dispose que le secret médical « couvre sauf dérogations expressément prévues par la loi, l'ensemble des informations, concernant la personne, venues à la connaissance du professionnel de santé » ; que les bilans sanguins sont pratiqués uniquement par des professionnels intervenants dans le système de santé ; que, dès lors, toute personne prise en charge par un professionnel de santé a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant ; que ces informations étaient d'autant plus confidentielles qu'elles étaient susceptibles, par leur teneur, d'entraîner des sanctions professionnelles ou pénales à l'encontre d'un athlète international ; que, dès lors, que M. Y... n'a pas donné son autorisation pour permettre leur divulgation, la violation du secret médical est caractérisée ; qu'il est plaidé que ces informations de nature immatérielle échapperaient aux prévisions de l'article 321-1 du code pénal incriminant le recel ; que l'article 321-1 du code pénal dispose que « le recel est le fait de détenir ou de transmettre une chose en sachant que cette chose provient d'un délit », mais que « constitue également un recel, le fait en connaissance de cause, de bénéficier par tout moyen du produit d'un délit », ces données étant bien, en l'espèce, le produit d'un délit ; que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ne saurait, sous couvert de la liberté d'expression, être utilement évoqué pour permettre de contrevenir à la préservation d'informations confidentielles protectrices des libertés fondamentales ; que l'utilisation, dans le cadre d'un article de presse, d'un document provenant d'une violation du secret médical constitue bien un recel au sens légal du terme et caractérise l'infraction à ce titre ; que M. X... se reconnaît comme l'auteur de l'article litigieux où sont évoquées à plusieurs reprises ces données confidentielles relatives à M. Y... ; qu'ainsi, l'infraction est également caractérisée dans son élément matériel ; qu'enfin, la recherche d'un entretien avec l'entraîneur de l'athlète deux jours avant l'épreuve olympique de M. Y... pour lui faire part de ses intentions de publier un article sur des analyses obsolètes, puisque pratiquées plus d'un an auparavant, la référence appuyée et répétée à des cautions scientifiques qui ont, par la suite, contesté les propos que leur a prêtés le prévenu, les nombreux articles du journaliste concernant les soupçons de dopage visant essentiellement M. Y... dont la partialité a même été indirectement soulignée par un autre journaliste (Sylvain Z... 28 juillet 2007 sous le titre « Calomniez, calomniez…) et enfin la procédure en diffamation visant l'article du 27 juillet 2007, sanctionnée par un jugement du 5 juin 2008 rendu par le Tribunal correctionnel de Paris, deux mois avant les faits objets de la présente procédure, démontrent bien, sinon l'intention de nuire de la part du prévenu, du moins un parti pris délibéré allant bien au-delà du devoir légitime d'information des lecteurs ; qu'ainsi, l'infraction de recel de violation du secret médical apparaît caractérisée dans tous ses éléments constitutifs, et comme l'a retenu, le tribunal, M. X... doit être déclaré coupable des faits reprochés ;

"1°) alors que, le recel de violation du secret médical suppose l'existence certaine de l'infraction principale de violation du secret médical ; qu'il résulte de l'article 226-13 du code pénal incriminant l'atteinte au secret professionnel que la révélation d'une information à caractère secret ne peut être commise que par une personne qui, en dépositaire, soit par état ou par profession, l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, mentionnant parmi les débiteurs du secret médical, tous les professionnels intervenant dans le système de santé ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour que, non seulement, il n'existait au dossier aucun élément susceptible d'établir comment ces informations avaient été obtenues par le journaliste, et plus précisément, s'il les tenait d'un professionnel de santé soumis au secret médical, mais encore que d'autres sources étaient parfaitement possibles, dont il se déduit que l'existence du délit de violation du secret médical ne pouvait être établie avec certitude ; qu'en déclarant néanmoins le prévenu coupable de recel de violation du secret médical, tout en tenant pour acquis que l'auteur de la divulgation n'a pas été identifié, et qu'il n'était pas exclu que l'information ait pu lui parvenir par une personne non soumise au secret, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et privé sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen ;

"2°) alors que, une information, quelle qu'en soit la nature ou l'origine, échappe aux prévisions de l'article 321-1 du code pénal ne relevant, le cas échéant, si elle fait l'objet d'une publication contestée par ceux qu'elle concerne, que des dispositions légales spécifiques à la liberté de la presse ; qu'en considérant que la matérialité du délit de recel de violation du secret médical était constituée par l'évocation, dans un article de presse de « données confidentielles », sans qu'aucun élément du dossier n'ait permis d'apporter la preuve de la détention matérielle effective par le prévenu du support physique de ces données, la cour d'appel a violé les textes et principe susvisés ;

"3°) alors que, encore qu'il résulte, tant des articles 111-3 et 111-4 du code pénal que de l'article 7§1 de la Convention européenne des droits de l'homme, que l'interprétation des textes répressifs est de droit strict ; qu'en considérant que des informations confidentielles étaient susceptibles de constituer le produit d'un délit, dont le prévenu aurait bénéficié au sens de l'alinéa 2 de l'article 321-1, la cour d'appel a procédé à une interprétation extensive des termes de l'infraction contraire à la jurisprudence constante de la chambre criminelle rendue en matière de presse, laquelle considère qu'une information, quelle qu'en soit la nature ou l'origine, échappe aux prévisions de l'article 321-1 du code pénal, au mépris de la prévisibilité de la loi pénale et des textes visés au moyen ;

"4°) alors que, enfin, le recel suppose un élément intentionnel caractérisé par la connaissance chez son auteur de l'origine frauduleuse de la chose qu'il détient ; qu'en se bornant à déduire l'élément intentionnel « sinon de l'intention de nuire de la part du prévenu, ou du moins d'un parti pris délibéré allant bien au-delà du devoir légitime d'information des lecteurs », sans même rechercher à établir que le prévenu avait bien connaissance de l'origine frauduleuse des informations litigieuses exposées dans l'article litigieux, la cour d'appel n'a pas légalement caractérisé l'élément moral du délit de recel au sens de l'article 321-1 du code pénal"

Vu les articles 226-13 et 321-1 du code pénal, ensemble l'article 593 du code procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 22 août 2008, M. X..., journaliste, a publié dans le journal l'Equipe un article faisant état de résultats du bilan sanguin de M. Y..., athlète international, avec la mention "un taux de 52 pour l'hématocrite et un volume d'hémoglobine de 17,2 grammes font alors partie des valeurs suspectes "; que, cité devant le tribunal correctionnel notamment du chef de recel de violation du secret professionnel, il a été déclaré coupable des faits reprochés ;

Attendu que pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le bilan sanguin d'une personne, qui ne peut être fait que par des professionnels de santé, constitue une donnée à caractère médical protégée par le secret professionnel ; que les juges rappellent que toute personne prise en charge par un professionnel de santé a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant, et que la divulgation de ces informations en l'absence de consentement, caractérise la violation du secret professionnel ; qu'ils en déduisent que l'utilisation, dans le cadre d'un article de presse, d'un document comportant ces informations confidentielles et provenant de ce délit, caractérise l'infraction de recel ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans caractériser la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en aurait été dépositaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef, et, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de cassation,

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 13 décembre 2010 ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

DÉCLARE IRRECEVABLE la demande formée par M. Y... sur le fondement de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six mars deux mille douze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;