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Conseil constitutionnel, 1er avril 2016, n° 2016-531 QPC (Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) – Infections nosocomiales - Réparation des préjudices – Preuves - Établissements de santé - Soins dispensés en ville – Discrimination)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 janvier 2016 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Le requérant considérait que, en subordonnant la réparation du préjudice résultant d’une infection nosocomiale à la commission d’une faute par le professionnel de santé lorsqu’une telle infection est contractée à l’occasion de soins dispensés en ville, alors que les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’une telle infection sauf à ce qu’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère, les dispositions contestées créent une discrimination injustifiée.

Le Conseil constitutionnel considère que le régime de responsabilité distinct institué entre établissements de santé et praticiens libéraux en matière d’infection nosocomiale est conforme à la Constitution, « le législateur ayant entendu prendre en compte les conditions dans lesquelles les actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont pratiqués dans les établissements, services et organismes de santé et la spécificité des risques en milieu hospitalier ». « La différence de traitement qui découle des conditions d’engagement de la responsabilité pour les dommages résultant d’infections nosocomiales repose sur une différence de situation ». Elle est donc « en rapport avec la loi ».

 

Décision n° 2016-531 QPC du 1er avril 2016

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 janvier 2016 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 83 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. X., par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2016-531 QPC.

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, enregistrées les 28 janvier et 12 février 2016 ;

Vu les observations produites pour M. André G., la société Centre de radiologie Adoue Henri IV et la société La Médicale de France, parties en défense, par la SCP Yves Richard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 janvier 2016 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28 janvier 2016 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Yves Richard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour les parties en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 22 mars 2016 ;

 

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dans leur rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 susvisée : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
« Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère » ;

2. Considérant que, selon le requérant, en subordonnant la réparation du préjudice résultant d'une infection nosocomiale à la commission d'une faute par le professionnel de santé lorsqu'une telle infection est contractée à l'occasion de soins dispensés en ville, alors que les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d'une telle infection sauf à ce qu'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère, les dispositions contestées créent une discrimination injustifiée ;

3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi (…) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;

5. Considérant qu'il ressort des paragraphes I et II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que le législateur a entendu fixer un régime de réparation des préjudices résultant des infections nosocomiales contractées tant chez les professionnels de santé exerçant en ville que dans les établissements, services ou organismes de santé à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins ;

6. Considérant que les dispositions contestées prévoient l'engagement de la responsabilité des établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés de tels actes pour la réparation des dommages qui résultent d'infections nosocomiales, lorsque les patients ne remplissent pas les conditions définies à l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique pour en obtenir réparation, au titre de la solidarité nationale, par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ; que seule la preuve d'une cause étrangère permet à ces établissements, services et organismes de ne pas voir leur responsabilité engagée ; qu'à l'inverse, pour la réparation de tels dommages, la responsabilité des professionnels de santé qui n'exercent pas dans un établissement ayant le caractère d'un établissement de santé n'est engagée qu'en cas de faute ; qu'il en résulte une différence de traitement dans l'engagement de la responsabilité pour obtenir la réparation des dommages liés à une infection nosocomiale n'ouvrant pas droit à réparation au titre de la solidarité nationale, selon que cette infection a été contractée dans un établissement, service ou organisme de santé ou auprès d'un professionnel de santé exerçant en ville ;

7. Considérant que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins pratiqués dans un établissement, service ou organisme de santé se caractérisent par une prévalence des infections nosocomiales supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé exerçant en ville, tant en raison des caractéristiques des patients accueillis et de la durée de leur séjour qu'en raison de la nature des actes pratiqués et de la spécificité des agents pathogènes de ces infections ; qu'au surplus, les établissements, services et organismes de santé sont tenus, en vertu des articles L. 6111-2 et suivants du code de la santé publique, de mettre en œuvre une politique d'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et d'organiser la lutte contre les événements indésirables, les infections associées aux soins et l'iatrogénie ; qu'ainsi, le législateur a entendu prendre en compte les conditions dans lesquelles les actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont pratiqués dans les établissements, services et organismes de santé et la spécificité des risques en milieu hospitalier ; que la différence de traitement qui découle des conditions d'engagement de la responsabilité pour les dommages résultant d'infections nosocomiales repose sur une différence de situation ; qu'elle est en rapport avec l'objet de la loi ; qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;

8. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

Décide :

Article 1 

Le deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique est conforme à la Constitution.

 

Article 2 

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 mars 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.