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Conseil constitutionnel, 4 avril 2014, n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014 (Pénal – Enquête préliminaire – Travail dissimulé – Visite domiciliaire – Perquisition – Saisie – Droit à un recours juridictionnel effectif – Absence – Inconstitutionnalité)

Le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la constitutionnalité de l’article L. 8271-13 du code du travail, « en ce qu'il ne précise pas quelle est la voie de recours disponible ni ne prévoit d'appel contre l'ordonnance autorisant les visites domiciliaires, les perquisitions et les saisies dans les lieux de travail ». Le Conseil constitutionnel décide « qu'en l'absence de mise en œuvre de l'action publique conduisant à la mise en cause d'une personne intéressée par une visite domiciliaire, une perquisition ou une saisie autorisées en application des dispositions contestées, aucune voie de droit ne permet à cette personne de contester l'autorisation donnée par le président du tribunal de grande instance ou son délégué et la régularité des opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de saisie mises en œuvre en application de cette autorisation ; que, par suite, les dispositions contestées méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution ». La date d’abrogation de ces dispositions est fixée au 1er janvier 2015.

 

 

Décision n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 février 2014 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 285 du 28 janvier 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. X., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 8271-13 du code du travail.

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu l'arrêt n° 99-30359 de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 janvier 2002 ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 février 2014 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28 février 2014 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Hervé Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 25 mars 2014 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 8271-13 du code du travail : « Dans le cadre des enquêtes préliminaires diligentées pour la recherche et la constatation des infractions aux interdictions de travail dissimulé, les officiers de police judiciaire assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire, peuvent, sur ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par lui, rendue sur réquisitions du procureur de la République, procéder à des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction dans les lieux de travail relevant des articles L. 4111-1 du présent code et L. 722-1 du code rural et de la pêche maritime, y compris dans ceux n'abritant pas de salariés, même lorsqu'il s'agit de locaux habités.
« Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée sur des éléments de fait laissant présumer l'existence des infractions dont la preuve est recherchée.
« Ces dispositions ne dérogent pas aux règles de droit commun relatives à la constatation des infractions par les officiers et agents de police judiciaire » ;

2. Considérant que, selon le requérant, l'article L. 8271-13 du code du travail, tel qu'interprété par la Cour de cassation, est contraire au droit à un recours juridictionnel effectif, en ce qu'il ne précise pas quelle est la voie de recours disponible ni ne prévoit d'appel contre l'ordonnance autorisant les visites domiciliaires, les perquisitions et les saisies dans les lieux de travail ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ;

4. Considérant qu'en vertu de l'article L. 8271-1 du code du travail, les infractions aux interdictions de travail dissimulé prévues à l'article L. 8211-1 sont recherchées par les agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2, dans la limite de leurs compétences respectives en matière de travail illégal ; que l'article L. 8271-8 précise que les infractions aux interdictions de travail dissimulé sont constatées au moyen de procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire et que ces procès-verbaux sont transmis directement au procureur de la République ;

5. Considérant que, dans le cadre des enquêtes préliminaires diligentées pour la recherche et la constatation des infractions aux interdictions du travail dissimulé, les dispositions contestées permettent aux officiers de police judiciaire, sur ordonnance du président du tribunal de grande instance rendue sur réquisitions du procureur de la République, de procéder à des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction dans les lieux de travail, y compris dans ceux n'abritant pas de salariés, même lorsqu'il s'agit de locaux habités ; que le juge doit vérifier que la demande est fondée sur des éléments de fait laissant présumer l'existence des infractions dont la preuve est recherchée ;

6. Considérant que, par l'arrêt du 16 janvier 2002 susvisé, la Cour de cassation a jugé qu'« en l'absence de texte le prévoyant, aucun pourvoi en cassation ne peut être formé contre une ordonnance » autorisant les visites domiciliaires, perquisitions et saisies dans les lieux de travail et qu'« une telle ordonnance rendue par un magistrat de l'ordre judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République, dans le cadre d'une enquête préliminaire, constitue un acte de procédure dont la nullité ne peut être invoquée que dans les conditions prévues par les articles 173 et 385 du code de procédure pénale » ; qu'ainsi qu'il résulte de cette jurisprudence constante, l'ordonnance du président du tribunal de grande instance autorisant les visites et perquisitions peut, au cours de l'instruction ou en cas de saisine du tribunal correctionnel, faire l'objet d'un recours en nullité ; que les articles 173 et 385 du code de procédure pénale permettent également à la personne poursuivie de contester la régularité des opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de saisie ;

7. Considérant toutefois qu'en l'absence de mise en œuvre de l'action publique conduisant à la mise en cause d'une personne intéressée par une visite domiciliaire, une perquisition ou une saisie autorisées en application des dispositions contestées, aucune voie de droit ne permet à cette personne de contester l'autorisation donnée par le président du tribunal de grande instance ou son délégué et la régularité des opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de saisie mises en œuvre en application de cette autorisation ; que, par suite, les dispositions contestées méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

9. Considérant que l'abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait l'objectif de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ; qu'il y a lieu, dès lors, de reporter au 1er janvier 2015 la date de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité ; que les poursuites engagées à la suite d'opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de saisie mises en œuvre avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité,

Décide :

Article 1

L'article L. 8271-13 du code du travail est contraire à la Constitution.

Article 2

La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions prévues au considérant 9.

Article 3

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 avril 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 4 avril 2014.

Le président,

Jean-Louis Debré