Le grand port maritime de la Martinique a engagé une procédure adaptée en vue de la passation d'un marché de prestations de sécurité incendie et d'assistance à personne. La société antillaise de sécurité, dont l'offre avait été rejetée par cet établissement public, a tout d'abord demandé au juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Fort-de-France d'annuler la décision de rejet de son offre. Ayant pris connaissance de ce que le marché litigieux avait été signé par le grand port maritime de la Martinique, la société antillaise de sécurité a alors demandé au juge des référés contractuels du même tribunal, sur le fondement de l'article L. 551-13 du Code de justice administrative, d'annuler ce marché. La requête ayant été rejetée, la société s’est pourvue en cassation. Le Conseil d'État a censuré le juge du fond pour avoir considéré, de manière erronée, que l'offre méconnaissant la convention collective était inacceptable au motif que les taux horaires déduits de l'offre étaient inférieurs à ceux de la convention collective. La haute juridiction administrative a rappelé que le pouvoir adjudicateur doit s'assurer que les offres recueillies respectent bien la législation sociale, notamment les conventions collectives. Par ailleurs, elle a confirmé que le délai de standstill ne s'applique pas aux marchés à procédure adaptée. Il s’agit d’une décision qui privilégie la lettre de l'article 80 du Code des marchés publics par rapport aux principes de la commande publique et qui devrait à terme réduire drastiquement la possibilité de former un référé précontractuel pour les concurrents évincés des procédures non formalisées. |
Conseil d’Etat, 11 décembre 2013, req. n° 372214
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 septembre et 1er octobre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société X., dont le siège est … ; la société demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1300494-1 du 23 août 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France en tant que celui-ci, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l’établissement public Y. rejetant son offre tendant à l'obtention du marché de prestations de sécurité incendie et assistance à personne, a rejeté ses conclusions en référé contractuel présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-13 du code de justice administrative ;
2°) statuant en référé, d'annuler le marché conclu entre l’établissement public Y. et la société Z. et, subsidiairement, de prononcer une autre des sanctions prévues par l'article L. 551-19 du code de justice administrative ;
3°) de mettre à la charge de l’établissement public Y. le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Laurence Marion, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
[…]
1. Considérant qu'il ressort du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France que l’établissement public Y. a engagé une procédure adaptée en vue de la passation d'un marché de prestations de sécurité incendie et d'assistance à personne ; que la société X., dont l'offre avait été rejetée par cet établissement public, a tout d'abord demandé au juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Fort-de-France d'annuler la décision de rejet de son offre ; qu'ayant pris connaissance de ce que le marché litigieux avait été signé par l’établissement public Y., la société X. a alors demandé au juge des référés contractuels du même tribunal, sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, d'annuler ce marché ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du juge des référés en tant que celui-ci, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions présentées au titre du référé précontractuel, a rejeté ses conclusions présentées sur ce second fondement ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section " ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 551-18 du même code, le juge du référé contractuel ainsi saisi " prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. /La même annulation est prononcée lorsqu'ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat. " ; qu'enfin aux termes de l'article L. 551-20 du même code : " Dans le cas où le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière. " ;
3. Considérant que, pour juger que l'offre de la société X. était inacceptable et en déduire que, puisque les obligations de publicité et de mise en concurrence dont elle alléguait la méconnaissance n'affectaient pas ses chances d'obtenir le contrat, il y avait lieu de rejeter sa demande, le juge des référés, après avoir relevé que " la convention collective nationale "prévention sécurité" fixe le coût de référence pour un agent ssiap 1 coefficient 140 applicable au 1er janvier 2013 à 17,827 euros hors charges de structures ", en a déduit que " le tarif de 17,33 euros proposé par la société requérante est inférieur à la législation en vigueur " ;
4. Considérant qu'en déduisant des stipulations de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité l'indication selon laquelle le coût de revient des prestations en cause ne pouvait être inférieur à 17,827 euros, alors qu'en réalité ce montant ne figure pas dans la convention collective, qui n'a d'ailleurs pas pour objet de fixer des coûts de revient global de main d'œuvre mais un salaire minimum de branche, mais dans un document d'information économique émanant d'un syndicat professionnel, le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ; que, par ailleurs, en se fondant uniquement sur le coût global de revient de main d'œuvre figurant dans l'offre de la société X., pour en déduire que cette offre méconnaissait la législation en vigueur, sans rechercher si cet écart de coût traduisait nécessairement la méconnaissance du minimum salarial fixé par la convention collective, alors que les salaires ne constituent qu'un élément du coût de revient global de main d'œuvre, le juge des référés a commis une erreur de droit ;
5. Considérant, toutefois, que les manquements susceptibles d'être utilement invoqués dans le cadre du référé contractuel sont limitativement définis par les dispositions des articles L. 551-18 et L. 551-20 du code de justice administrative citées ci-dessus ; que, lorsque le marché n'est pas soumis à l'obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice, de respecter un délai minimal entre la notification de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une offre et la signature du contrat, l'annulation d'un tel contrat ne peut résulter que, soit du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéa de l'article L. 551-18, soit de ce que le contrat a été signé, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 551-4 ou L. 551-9 du même code, alors que le tribunal administratif était saisi d'une demande en référé précontractuel ;
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le marché litigieux a été attribué au terme d'une procédure adaptée et que l’établissement public Y. n'était, par suite, soumis à aucune obligation de respect d'un délai minimal entre la notification de la décision d'attribution et la signature du contrat ;
7. Considérant, d'une part, qu'il résulte des énonciations de l'ordonnance attaquée, non contestées par la société X., que le marché litigieux n'est entaché d'aucun des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l'article L. 551-18 du code de justice administrative ; que, d'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le marché litigieux, signé le 29 juillet 2013 par l’établissement public Y., l'a été avant le 6 août 2013, date à laquelle a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Fort-de-France la demande en référé précontractuel dirigée contre ce même contrat et qu'ainsi, la société X. ne pouvait se prévaloir, devant le juge des référés contractuels, d'aucune violation des dispositions des articles L. 551-4 ou L. 551-9 du code de justice administrative ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société X. ne soulevait aucun manquement susceptible d'être utilement invoqué dans le cadre de sa demande en référé contractuel ; qu'il y a lieu, dès lors, ainsi que le demande l’établissement public Y., de substituer ce motif au motif erroné retenu par l'ordonnance attaquée, dont il justifie le dispositif ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société X. doit être rejeté ;
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit, sur ce fondement, mise à la charge de l’établissement public Y. qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; qu'il n'y a pas lieu, par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société X., en application des mêmes dispositions, le versement de la somme demandée par l’établissement public Y. au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société X. est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par l’établissement public Y. sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société X. et à l’établissement public Y..