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Conseil d’Etat, 11 mars 2011, n° 338405 (Fonction publique – Recrutement – Prise en compte des activités professionnelles antérieures)

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient rappeler l’exigence de prendre en compte lors d’un recrutement dans la fonction publique, les activités professionnelles antérieures qu’un ressortissant national aurait pu exercer, même en qualité d’agent de droit privé dans un autre Etat membre de l’Union européenne afin d’établir son reclassement au titre d’une ancienneté de services.

Conseil d'État
7ème et 2ème sous-sections réunies

N° 338405

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

M. Vigouroux, président
M. Nicolas Polge, rapporteur
M. Boulouis Nicolas, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats

Lecture du vendredi 11 mars 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 6 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Francis A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08NC01672 du 21 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, après avoir annulé le jugement n° 0302465 du 11 août 2005 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 janvier 2003 du commandant de la région de l'armée de terre Nord-Est rejetant sa demande de prise en compte des services accomplis en qualité de personnel civil étranger au sein des forces françaises stationnées en Allemagne, a elle-même rejeté sa demande ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du 11 août 2005 du tribunal administratif de Strasbourg et la décision du 29 janvier 2003 du commandant de la région de l'armée de terre Nord-Est ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu le décret n° 70-79 du 27 janvier 1970 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Francis A,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Francis A ;

Considérant qu'aux termes de l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne, applicable au litige : 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté au plus tard après l'expiration de la période de transition (...). / 3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique : / a) de répondre à des emplois effectivement offerts ; / b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des Etat membres (...) / 4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique. ; qu'il résulte de ces stipulations que lorsque, à l'occasion du recrutement de personnel sur des emplois qui n'entrent pas dans le champ d'application du paragraphe 4 de cette disposition, un organisme public d'un Etat membre prévoit de prendre en compte les activités professionnelles exercées antérieurement par les candidats au sein d'une administration publique, cet organisme ne peut, à l'égard de ses propres ressortissants comme des autres ressortissants communautaires, opérer de distinction selon que ces activités ont été exercées dans l'Etat membre dont relève l'organisme ou dans un autre Etat membre ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 du décret du 27 janvier 1970 relatif à l'organisation des carrières des fonctionnaires des catégories C et D, dans sa rédaction antérieure à son abrogation par le décret du 29 septembre 2005 relatif à l'organisation des carrières des fonctionnaires de catégorie C : Les agents non titulaires de l'Etat (...) recrutés par application des règles statutaires normales à l'un des grades ou emplois [ de la catégorie C de la fonction publique de l'Etat ] sont classés en prenant en compte, à raison des trois quarts de leur durée, les services civils qu'ils ont accomplis (...). / Ce classement ne doit en aucun cas créer des situations plus favorables que celles qui résulteraient d'un classement à un échelon comportant un traitement égal ou, à défaut, immédiatement supérieur à celui perçu dans l'ancien emploi (...) ;

Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Nancy, après avoir annulé pour irrégularité le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 11 août 2005, statuant immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée à ce tribunal par M. A, a jugé, pour rejeter celle-ci, que les dispositions de l'article 6 du décret du 27 janvier 1970 ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne dès lors qu'elles écartent toute reprise des services accomplis en qualité d'agent privé indépendamment de la nationalité de l'agent ou du lieu d'exercice de son emploi ; qu'en ne relevant pas que les dispositions de l'article 6 du décret du 27 janvier 1970 ont pour effet d'exclure la prise en compte des services accomplis par les personnels civils étrangers employés, sous contrat de droit privé allemand, par les forces françaises stationnées en Allemagne et qui, participant au fonctionnement du service public français de la défense, auraient exercé en Allemagne des activités comparables aux services civils de même nature accomplis en France, dont la prise en compte est, elle, prévue par ces mêmes dispositions, lesquelles, dès lors, méconnaissent les stipulations de l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; que M. A est par suite fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander, pour ce motif, l'annulation de son arrêt en tant qu'il rejette sa demande présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que les dispositions précitées de l'article 6 du décret du 27 janvier 1970, dans leur rédaction applicable à la date de la décision contestée, n'attribuaient le bénéfice des mesures de reclassement prenant en compte les services accomplis en qualité d'agent non titulaire de l'État qu'aux personnes justifiant de cette qualité à la date de leur nomination dans l'un des grades et emplois régis par ce décret ; qu'il n'est pas contesté qu'à la date de son recrutement, le 1er août 2000, en qualité d'ouvrier professionnel stagiaire auprès du 6ème régiment du matériel à Phalsbourg, M. A n'avait pas cette qualité ; que, par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre d'Etat, ministre de la défense et des anciens combattants, M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 29 janvier 2003 du commandant de la région de l'armée de terre Nord-Est rejetant sa demande de prise en compte des services accomplis, jusqu'au 31 décembre 1999, en qualité de personnel civil étranger au sein des forces françaises stationnées en Allemagne ; que sa requête présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg à cette fin ne peut qu'être rejetée ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 21 janvier 2010 est annulé en tant qu'il rejette la demande de M. A présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Article 2 : La demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. A tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Francis A et au ministre de la défense et des anciens combattants.
Copie en sera adressée, pour information, à la Confédération française démocratique du travail.