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Conseil d'Etat, 14 octobre 2002, Mme X. et CPAM des Hauts-de Seine / AP-HP (aléa thérapeutique)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu 1°), sous le n° 210627, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés le 19 juillet 1999 et le 19 novembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme X., demeurant (...), Mme Y, demeurant (...) et Mme Z., demeurant (...) ; les requérants demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler sans renvoi l'arrêt du 18 mai 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 octobre 1996 retenant la responsabilité de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à raison du préjudice subi par M. X. à la suite d'une intervention aux hôpitaux Saint-Joseph et Broussais à Paris et a rejeté leurs demandes présentées devant ledit tribunal ;
2°) de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à verser la somme de 16 884 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu 2°), sous le n° 210884, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 juillet et 26 novembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE, dont le siège est sis 113 rue des Trois Fontanot à Nanterre ; la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 18 mai 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 octobre 1996 retenant la responsabilité de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à raison du préjudice subi par M. X. à la suite d'une intervention aux hôpitaux Saint-Joseph et Broussais à Paris, a rejeté l'action en réparation formée contre l'Assistance publique-hôpitaux de Paris par les ayants droit de M. X. ainsi que les conclusions de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE ;
2°) de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Logak, Maître des Requêtes ;
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme X. et autres, de la SCP Gatineau, avocat de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE et de Me Foussard, avocat de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre le même arrêt ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE a été régulièrement mise en cause et avait qualité de partie à l'instance ayant donné lieu à l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 18 mai 1999 ; que par suite, la caisse est recevable à se pourvoir en cassation contre cet arrêt ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. X. a été victime en 1981 d'un infarctus du myocarde ; qu'il a présenté en 1983 puis en 1990 des syndromes de menace, à la suite desquels une coronarographie avait montré des lésions et une angioplastie avait été pratiquée au niveau des artères sténosées ; que le 15 août 1992, après deux crises douloureuses nocturnes, M. X. a subi une nouvelle coronarographie, au cours de laquelle une angioplastie pour dilatation a été tentée sans succès ; que dix minutes après cette intervention, une hémiplégie droite massive est survenue, dont une cause probable est le décollement, lors de la manipulation des sondes, d'une plaque d'athérome, qui est venue obturer une artère cérébrale ;

Considérant que lorsque un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état et présentant un caractère d'extrême gravité ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'expert désigné par le tribunal administratif de Paris, se fondant sur des éléments cliniques nombreux et circonstanciés, concluait que le patient n'était pas exposé au risque connu mais exceptionnel d'une embolie provoquée par le détachement d'une plaque d'athérome ; que si un expert de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, dans un rapport demandé par cet établissement public et versé au dossier, mentionnait la possibilité d'un athérome diffus lié au tabagisme du patient, il estimait néanmoins à 0,1 % seulement le risque que l'intervention avait présenté ; que, dans ces conditions, la cour n'a pu, sans dénaturer les pièces du dossier, estimer que M. X. était particulièrement exposé à l'accident dont il avait été victime, pour en déduire que les conditions de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris n'étaient pas réunies ; que l'arrêt attaqué doit par suite être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Sur le principe de la responsabilité :

Considérant, d'une part, qu'il ressort des constatations de l'expert commis par les premiers juges qu'il n'y avait pas de raison de penser que M. X. fût particulièrement exposé au risque connu mais exceptionnel d'embolie que comporte la mise en oeuvre d'une coronarographie, intervention dont la réalisation était nécessitée par son état de santé ;

Considérant, d'autre part, qu'il ressort également du rapport de l'expert commis par le tribunal administratif que la maladie coronarienne dont le patient souffrait depuis plus de dix ans était contrôlée par le traitement médical auquel il était astreint et ne l'empêchait pas de mener une vie normale ; que l'intervention a été la cause directe d'une hémiplégie définitive, accompagnée d'aphasie ; que cette conséquence présente une exceptionnelle gravité, sans rapport avec celle de l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le dommage subi par M. X. engage la responsabilité sans faute de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris ;

Sur l'étendue des préjudices :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X. a été atteint d'une hémiplégie droite définitive avec impotence motrice et aphasie, qui a nécessité l'assistance d'une tierce personne à temps partiel ; qu'il a enduré des souffrances physiques importantes et subi un préjudice esthétique qualifié d'assez important ; que le tribunal administratif a fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence ainsi que des souffrances physiques et du préjudice esthétique en accordant aux ayants droit de M. X. une indemnité réparatrice s'élevant à 1 000 000 F (152 450 euros) ; qu'il a fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme X. du fait de l'accident survenu à son mari en l'évaluant à 100 000 F (15 245 euros), ainsi que des préjudices moraux subis par ses enfants et sa petite fille en leur accordant respectivement les sommes de 10 000 F (1 525 euros) et 5 000 F (762 euros) ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Assistance publique-hôpitaux de Paris n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris l'a condamnée à indemniser les consorts X. et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE et que les consorts X. ne sont pas fondés à demander, par la voie de l'appel incident, le relèvement des sommes qui leur ont été allouées ;

Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les consorts X. et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, soient condamnés à payer à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris les sommes qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à payer respectivement aux consorts X. et à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE les sommes de 2 500 euros et 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : L'arrêt en date du 18 mai 1999 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : La requête d'appel de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et les conclusions incidentes des consorts X. sont rejetées.
Article 3 : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris versera aux consorts X. et à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE respectivement les sommes de 2 500 euros et 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mmes X., Y., Z. et A., à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE, à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.