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Conseil d’Etat, 17 janvier 2011, n°317670 (Responsabilité hospitalière – Jurisprudence Bianchi – Caractère exceptionnel du risque)

La jurisprudence administrative continue, pour les affaires dont les faits sont antérieurs au 5 septembre 2001, à appliquer la jurisprudence Bianchi (Conseil d’Etat, Ass., 9 avril 1993). Le Conseil d’Etat profite de cette occasion pour préciser le mode d’appréciation du caractère exceptionnel. Il affirme par conséquent que le caractère exceptionnel du risque s’apprécie par des statistiques mesurant l’occurrence de risque de même gravité et dans des conditions comparables à celles de la victime.
En l’espèce, un enfant est né avec une anomalie cardiaque nécessitant une intervention chirurgicale. A la suite de l’intervention, ce patient a présenté de graves troubles neurologiques inexpliqués entraînant son placement en réanimation et d’importantes séquelles physiques. Les parents ont alors engagé la responsabilité de l’AP-HP et le tribunal administratif avait admis la responsabilité sans faute de l’AP-HP. Or, la Cour administrative d’appel a annulé ce jugement au motif qu’il n’y a pas eu création d’un risque exceptionnel. Mais le Conseil d’Etat annule cet arrêt au motif qu’en « appréciant ainsi le caractère exceptionnel de l'occurrence du risque en se fondant sur les études statistiques générales relatives aux complications neurologiques de toute nature survenues lors d'opérations de tétralogies de Fallot et non sur celles qui ont mesuré l'occurrence de risques neurologiques de la gravité de ceux constatés chez la victime sur des enfants opérés dans des conditions comparables à son cas, la cour a commis une erreur de droit ».

Conseil d'État

N° 317670
Inédit au recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies

M. Stirn, président
Mme Domitille Duval-Arnould, rapporteur
M. Thiellay Jean-Philippe, commissaire du gouvernement
SCP MONOD, COLIN ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; SCP DIDIER, PINET, avocats

lecture du lundi 17 janvier 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 juin et 26 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Paul A et Mme Michèle A demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA01216 du 4 février 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, faisant droit à la requête de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a, d'une part, annulé le jugement en date du 26 janvier 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné cet établissement à leur verser à chacun une somme de 17 000 euros et ordonné avant dire droit une expertise en vue de l'évaluation des préjudices subis par Sophie C, et, d'autre part, rejeté leur demande présentée devant ce tribunal ainsi que les conclusions de l'union des caisses de maladie du Luxembourg ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M. A et de Mme Michèle A, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l'union des caisses de maladie du Luxembourg et de la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod, Colin, avocat de M. A et de Mme Michèle A, à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l'union des caisses de maladie du Luxembourg et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Sophie C, née le 2 novembre 1996, était atteinte à la naissance d'une anomalie cardiaque congénitale, dénommée tétralogie de Fallot qui a nécessité une intervention chirurgicale le 7 juillet 1997 à l'hôpital Laennec ; que dans les suites immédiates de cette intervention, qui impose de recourir à la technique de la circulation sanguine extra corporelle, l'enfant a présenté de graves troubles neurologiques qui ont nécessité son placement en réanimation et qui sont demeurés inexpliqués ; qu'elle en a conservé de graves séquelles physiques, un retard des acquisitions cognitives et des troubles du comportement d'une extrême gravité ; que les parents de Sophie ont demandé réparation du préjudice subi par leur fille à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et ont saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande de référé expertise ; qu'au vu du rapport d'expertise, le tribunal administratif de Paris, par un jugement en date du 26 janvier 2007 a admis la responsabilité sans faute de l'AP-HP et a condamné celle-ci à verser aux époux A la somme de 17 000 euros chacun et ordonné une expertise médicale complémentaire, afin d'évaluer le préjudice personnel de l'enfant ; que les époux A demandent la cassation de l'arrêt du 4 février 2008 par lequel la cour administrative de Paris a, à la demande de l'hôpital, annulé ce jugement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que, lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du patient présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état et présentant un caractère d'extrême gravité ;

Considérant que, pour écarter la responsabilité sans faute de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, la cour administrative d'appel de Paris a estimé que les complications neurologiques dont a été victime Sophie A peuvent être regardées comme n'intervenant qu'avec une incidence inférieure à 1% lors de tétralogies de Fallot non complexes et en a déduit qu'une telle fréquence bien qu'elle traduise une faible probabilité, ne caractérise pas un risque exceptionnel ;

Considérant toutefois qu'il ressort du rapport de l'expert que si celui a relevé que les complications neurologiques survenues lors d'opérations destinées à traiter une tétralogie de Fallot présenteraient une incidence pouvant aller jusqu'à 1%, il a également souligné que les complications les plus graves étaient devenues très rares et qu'un seul enfant de la série de Fallon sur 583, soit 0,18%, opéré à coeur ouvert pour une tétralogie de Fallot non complexe comme celle dont était atteinte Sophie C, avait souffert de complications neurologiques de la gravité de celles constatées chez celle-ci ; qu'en appréciant ainsi le caractère exceptionnel de l'occurrence du risque en se fondant sur les études statistiques générales relatives aux complications neurologiques de toute nature survenues lors d'opérations de tétralogies de Fallot et non sur celles qui ont mesuré l'occurrence de risques neurologiques de la gravité de ceux constatés chez Sophie C sur des enfants opérés dans des conditions comparables à son cas, la cour a commis une erreur de droit ; que par suite, les époux A sont fondés à demander l'annulation de son arrêt ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris le versement d'une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés les époux A et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce que soient mises à la charge des époux A et de l'union des caisses maladie du Luxembourg, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demande l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 4 février 2008 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera la somme de 3 500 euros aux époux A en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris tendant application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Paul A et Mme Michèle A, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et à l'union des caisses de maladie du Luxembourg.