REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 décembre 1996 et 18 avril 1997 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme X., demeurant (...), Mlle Y., demeurant (...), M. Z, demeurant (...), Mme A, demeurant (...), Mme B., demeurant (...) et M. C., demeurant (...) ; Mme D. et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 30 novembre 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé le jugement du 10 juillet 1992 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier régional de Toulouse soit condamné à leur payer respectivement les sommes de 620 000 F, 160 000 F, 130 000 F, 130 000 F, 130 000 F et 140 000 F en réparation du préjudice subi du fait du décès de M. X.survenu le 4 avril 1984 dans cet établissement ;
2°) d'ordonner la capitalisation des intérêts sur ces sommes ;
3°) de condamner le centre hospitalier régional de Toulouse à verser à M. C. une somme de 5 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 remplacé par l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Aladjidi, Auditeur,
- les observations de la SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, avocat de Mme X. et autres et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier régional de Toulouse-Rangueil,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X. est décédé à la suite d'une intervention de désobstruction coronaire avec pontage, motivée par une thrombose de l'artère interventriculaire antérieure survenue au cours d'une angioplastie transluminale ; qu'en se fondant sur la nature exceptionnelle d'un tel risque de décès pour juger qu'il n'y avait pas lieu d'informer le patient des risques de l'opération, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, par suite, l'arrêt du 30 novembre 1995 doit être annulé ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur la responsabilité sans faute :
Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X., était suivi depuis des années pour une sténose qui s'était aggravée en passant de 40 % à 80 % ; que l'occlusion miocardique qui a entraîné la mort de M. X; ne peut donc être regardée comme sans rapport avec son état initial ou avec l'évolution prévisible de cet état ; que, par suite, la responsabilité sans faute du centre hospitalier régional de Toulouse ne peut être engagée ;
Sur la responsabilité pour faute :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise établis dans le cadre d'une instance pénale et versés au dossier que l'état de santé de M. X. justifiait l'intervention pratiquée et que les précautions nécessaires à ladite intervention pratiquée ont été prises ; qu'aucune faute de nature à engager en la matière la responsabilité du centre hospitalier régional ne peut être relevée à l'encontre des médecins qui ont pratiqué l'angioplastie ou qui sont intervenus après l'échec de cette dernière ;
Considérant que le moyen tiré de ce que le docteur Serena, médecin traitant de M. X. n'aurait pas été informé de l'angioplastie qui allait être pratiquée sur M. X. à la suite de l'angio-coronarographie qu'il avait prescrite serait, à le supposer fondé, inopérant, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait au centre hospitalier de procéder à cette information préalable ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les angioplasties, même effectuées dans les règles de l'art, présentent des risques d'infarctus avec une fréquence de 5 % et de décès avec une fréquence de 0,9 à 1,5 % ; qu'il n'est pas contesté que M. X., n'avait pas été informé de l'existence de tels risques ; qu'une telle information n'était pas impossible contrairement à ce que soutient le centre hospitalier ; que ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier à l'égard de M. X. ;
Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que l'état de santé de M. X. nécessitait de manière vitale une intervention visant à désobstruer ses coronaires et, d'autre part, qu'il n'y avait pas d'alternative thérapeutique moins risquée que l'opération réalisée ; que, par suite, la faute commise par le centre hospitalier régional de Toulouse n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour M. X., de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'aucune indemnisation n'est, par conséquent, due à ce titre ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les consorts X. ne sont pas fondés à se plaindre que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande de réparation du préjudice qu'ils ont subi à la suite du décès de M. X.. ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions précitées font obstacle à ce que le centre hospitalier régional de Toulouse qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer aux requérants la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 30 novembre 1995 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme X., Mlle Y., M. Z, Mme A, Mme B., et M. C., au centre hospitalier régional de Toulouse et au ministre de l'emploi et de la solidarité.