REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 décembre 2002 et 16 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. André X demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 15 octobre 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement en date du 30 juin 2000 du tribunal administratif de Rouen rejetant les demandes de condamnation du centre hospitalier universitaire de Rouen à indemniser M. X et la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen des conséquences de l'amputation de sa jambe droite ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire à lui verser les indemnités sollicitées en première instance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des assurances ;
Vu la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Herbert Maisl, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Le Prado, avocat de M. X et de Me Odent, avocat du centre hospitalier universitaire de Rouen,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, pour rejeter l'appel de M. X, tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Rouen à l'indemniser du préjudice résultant des suites d'une intervention chirurgicale effectuée le 29 avril 1997, la cour administrative d'appel de Douai a estimé que la demande préalable d'indemnité présentée auprès du centre hospitalier par la compagnie d'assurances MAIF, au nom de son sociétaire, n'avait pas régulièrement lié le contentieux, faute pour l'assureur d'avoir été expressément mandaté par ce dernier ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 127-1 du code des assurances : Est une opération d'assurance de protection juridique toute opération consistant, moyennant le paiement d'une prime ou d'une cotisation préalablement convenue, à prendre en charge des frais de procédure ou à fournir des services découlant de la couverture d'assurance, en cas de différend ou de litige opposant l'assuré à un tiers, en vue notamment de défendre ou représenter en demande l'assuré dans une procédure civile, pénale ou administrative ou autre ou contre une réclamation dont il est l'objet ou d'obtenir réparation à l'amiable du préjudice subi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que l'épouse du requérant, Mme Noélie D., avait souscrit auprès de la MAIF, pour elle-même et pour son mari, un contrat risques autres que véhicules terrestres à moteur comportant la garantie recours protection juridique et qui stipulait, en son article 20.1, que la société s'engage vis-à-vis de l'assuré à exercer toute intervention amiable ou toute action judiciaire en vue d'obtenir la réparation des dommages résultant d'un événement qui engage la responsabilité d'une personne n'ayant pas elle-même la qualité d'assuré par application du même contrat ; qu'eu égard aux termes de l'article L. 127-1 du code des assurances, il résulte clairement de ces stipulations ainsi que de la déclaration de sinistre adressée à la MAIF mentionnant explicitement la garantie protection juridique prévue par l'article 20-1 que M. X avait donné à cette mutuelle mandat pour former, en son nom, une demande préalable auprès du centre hospitalier universitaire de Rouen ; que le rejet implicite par le centre hospitalier de la demande d'indemnisation présentée, le 26 mai 1998, par la MAIF, au nom de son assuré, a ainsi lié le contentieux ; que, dès lors, la cour administrative d'appel de Douai a entaché son arrêt d'une erreur de droit en estimant que la requête de M. X était irrecevable ; que, par suite, le requérant est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, s'il prononce l'annulation d'une décision administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X, alors âgé de 75 ans, a subi, le 29 avril 1997, au centre hospitalier universitaire de Rouen, une arthrodèse du genou droit avec pose d'une tige fémoro-tibiale en titane, fournie par les établissements DePuy Orthopédie ; qu'alors que M. X était dans un service de convalescence, cette tige s'est fracturée, ainsi que l'ont mis en évidence les radiographies effectuées le 13 juin 1997 ; qu'à la suite de cette rupture, survenue sans cause apparente, et en raison de l'impossibilité d'une deuxième arthrodèse, une amputation de la jambe droite, au niveau de la cuisse, a été réalisée, le 24 juin 1997, dans le même service hospitalier ;
Considérant que, sans préjudice d'éventuels appels en garantie, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la rupture fortuite de la tige médullaire a rendu nécessaire l'amputation de la jambe droite du requérant ; que, dès lors, la réparation du préjudice subi par M. X incombe au centre hospitalier universitaire de Rouen, sans préjudice d'un éventuel recours de celui-ci contre le fabricant du matériel en cause ; que M. X est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a refusé de l'indemniser du préjudice résultant de la défaillance du matériel utilisé par le service hospitalier lors de la première intervention chirurgicale ;
Sur le préjudice :
Considérant que, compte tenu de l'âge de M. X au moment des faits et de la gravité de la maladie qui l'a conduit à se faire opérer, il sera fait une juste évaluation du préjudice correspondant à l'invalidité permanente partielle dont il est atteint ainsi qu'aux troubles dans ses conditions d'existence en en fixant le montant à la somme de 15 000 euros ; que les frais médicaux et pharmaceutiques, les frais de transport, d'appareillage et d'hospitalisation se sont élevés à la somme de 35 697 euros ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice correspondant aux souffrances physiques et morales de la victime ainsi que de son préjudice esthétique et d'agrément en les évaluant à la somme globale de 20 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le montant total du préjudice dont la réparation doit être mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Rouen s'élève à la somme de 70 697 euros, à laquelle s'ajoute l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen :
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen justifie du versement d'une somme totale de 35 697 euros, correspondant, comme il a été dit, aux prestations servies à la victime ; qu'elle est, en outre fondée à réclamer le versement d'une indemnité forfaitaire de 760 euros en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner le centre hospitalier universitaire de Rouen à lui verser la somme de 36 457 euros ;
Considérant, en outre, qu'en application de l'article 1153 du code civil, la caisse a droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme de 36 457 euros, à compter du 10 août 1999, date à laquelle sa demande a été reçue au tribunal administratif de Rouen ;
Sur les droits de M. X :
Considérant que M. X a droit à la somme de 35 000 euros, calculée ainsi qu'il a été dit ci-dessus ; qu'il a, en outre, droit aux intérêts de cette somme, en application de l'article 1153 du code civil, à compter du 26 mai 1998, date à laquelle sa demande a été présentée au centre hospitalier universitaire de Rouen ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rouen les frais d'expertise exposés devant le tribunal administratif liquidés et taxés par ordonnance du président du tribunal administratif en date du 3 novembre 1997 ;
Sur l'appel en garantie du centre hospitalier universitaire de Rouen :
Considérant que le contrat par lequel le centre hospitalier universitaire de Rouen a acheté à la société DePuy Orthopédie la tige de titane utilisée lors de l'intervention chirurgicale du 29 avril 1997 est, en l'absence de clause exorbitante de droit commun, un contrat de droit privé ; que dès lors, il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaître de l'appel en garantie du service hospitalier à l'encontre de cette société ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rouen la somme de 600 euros au titre des frais exposés par M. X et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, également, par application des mêmes dispositions, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rouen une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai en date du 15 octobre 2002 et le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 30 juin 2000 sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Rouen est condamné à verser à M. X la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 26 mai 1998.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Rouen est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen la somme de 36 457 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 10 août 1999.
Article 4 : Les frais d'expertise devant le tribunal administratif sont mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Rouen.
Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Rouen versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 600 euros à M. X et une somme de 1 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen.
Article 6 : Le surplus des conclusions d'appel de M. X et du centre hospitalier universitaire de Rouen est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. André X, au centre hospitalier universitaire de Rouen, à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen et au ministre de la santé et de la protection sociale.