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Conseil d’Etat, 15 mai 2009, n°309144 (Centre hospitalier – Dommage corporel – Réparation – Perte de chance)

Un patient, victime d’un accident de la circulation le 28 novembre 1999, a été admis au service des urgences d’un centre hospitalier où des traitements lui ont alors été prescrits. En raison d’une déchirure de l’artère tibiale postérieure, une intervention chirurgicale consistant à la suturer a été réalisée sans délai, en même temps qu’était décidée l’évacuation sanitaire vers un centre hospitalier universitaire. Malgré de nouvelles interventions effectuées dans ce centre, une amputation de la jambe gauche au tiers supérieur a dû être pratiquée. Le premier centre hospitalier demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt de la Cour d’appel l’ayant condamné à indemniser le patient en réparation des préjudices subis. Le Conseil d’Etat approuve la Cour administrative d’appel d’avoir retenu la responsabilité du centre hospitalier en considérant qu’en s’abstenant de procéder immédiatement à un transfert vers un centre hospitalier universitaire qui était équipée pour réaliser une investigation, le centre hospitalier a commis une erreur de diagnostic. Toutefois, la Haute juridiction administrative annule l’arrêt de la cour au motif qu’en s'abstenant d'évaluer la chance d'éviter le dommage subi que la faute commise a fait perdre au patient, et en mettant à la charge du centre hospitalier la réparation de l'entier dommage corporel subi par ce dernier, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Le Conseil d’Etat rappelle en effet que la réparation qui incombe au centre hospitalier doit être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

Conseil d'État

N° 309144
Inédit au recueil Lebon
5ème sous-section jugeant seule
Mme Hubac, président
M. Philippe Ranquet, rapporteur
LE PRADO ; SCP BOUTET, avocat

lecture du vendredi 15 mai 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre et 5 décembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN, dont le siège est B.P. 381 à Saint-Martin cedex (97054) ; le CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 5 juin 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 4 novembre 2004 du tribunal administratif de Basse-Terre le condamnant à indemniser M. A en réparation des préjudices qu'il a subis du fait d'une hospitalisation à partir du 28 novembre 1999 et a porté à 138 759,70 euros le montant des indemnités dues à M. A ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Ranquet, Auditeur,

- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN et de la SCP Boutet, avocat de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Rapporteur public,

La parole ayant été donnée à nouveau à Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN et à la SCP Boutet, avocat de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe ;

Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a été victime d'un accident le 28 novembre 1999 vers 13h30, sa jambe gauche ayant été heurtée par le pare-choc d'un véhicule et coincée contre un muret ; qu'il a été admis au service des urgences du CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN vers 14 heures ; qu'après avoir constaté une ischémie aigüe post-traumatique, le praticien a prescrit immédiatement un bandage alcoolisé et un traitement anti-inflammatoire, vaso-dilatateur et anticoagulant ; qu'après une amélioration des signes cliniques et alors que l'intéressé avait été placé sous observation, M. A a ressenti une douleur aiguë aux alentours de 21 heures et qu'une déchirure de l'artère tibiale postérieure a été aussitôt mise en évidence ; qu'une intervention chirurgicale consistant à la suturer a été réalisée sans délai, en même temps qu'était décidée l'évacuation sanitaire vers le centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre, effectuée le 29 novembre 1999 à 7 heures ; que, malgré de nouvelles interventions effectuées dans ce centre, une amputation de la jambe gauche au tiers supérieur a dû être pratiquée quatre jours après l'accident ;

Considérant que la cour administrative d'appel, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, a relevé, d'une part, que les lésions dont souffrait M. A étaient, dès son admission au CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN, d'une particulière gravité et pouvaient aboutir à une amputation et, d'autre part, que si l'amélioration initiale du tableau clinique pouvait évoquer une compression par hématome ou par oedème post traumatique, celle-ci dissimule, dans près de 10 % des cas, de graves lésions vasculaires que seule la réalisation d'une artériographie aurait permis de déceler ; qu'elle en a déduit qu'en s'abstenant de procéder immédiatement à un transfert vers le centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre, qui était équipé pour réaliser cette investigation, le CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN a commis une erreur de diagnostic ; que la cour a exactement qualifié les faits en jugeant qu'ils étaient constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;

Considérant, cependant, que la réparation qui incombe au centre hospitalier doit être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; que, dès lors, en s'abstenant d'évaluer la chance d'éviter le dommage subi que la faute commise a fait perdre à M. A, et en mettant à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN la réparation de l'entier dommage corporel subi par ce dernier, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que son arrêt du 5 juin 2007 doit être, par suite, annulé en tant qu'il se prononce sur l'étendue du préjudice en lien direct avec la faute commise et sur les droits à réparation de M. A et de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 5 juin 2007 est annulé en tant qu'il se prononce sur l'étendue du préjudice et sur les droits à réparation de M. A et de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-MARTIN, à M. Carlos A et à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe.

Copie pour information en sera adressée au président de la cour administrative d'appel de Bordeaux.