L’exercice sans autorisation d’une activité privée lucrative justifie le reversement des sommes irrégulièrement perçues, nonobstant le fait que l’agent fautif ait bénéficié d’une amnistie |
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 27 septembre 2004, l'ordonnance du 20 septembre 2004 par laquelle le président du tribunal administratif de Strasbourg a transmis au Conseil d'Etat, en application des articles R. 311-1-3° et R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée à ce tribunal par M. Jean-Louis A ;
Vu la demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Strasbourg le 30 juillet 2004, et le mémoire complémentaire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 février 2005, présentés pour M. A demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le titre de perception de 174 741 euros émis à son encontre le 1er juin 2004 par le recteur de l'Académie de Strasbourg et la décision du recteur en date du 22 juillet 2004 rejetant son recours gracieux formé contre ce titre, et de prononcer la décharge de cette créance ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 relative à la création de centres hospitaliers et universitaires, à la réforme de l'enseignement médical et au développement de la recherche médicale ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;
Vu le décret du 29 octobre 1936 modifié, relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions ;
Vu le décret n°84-135 du 24 février 1984 modifié portant statut des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires ;
Vu le décret n° 86-1058 du 18 septembre 1986 modifié, relatif aux règles de procédure devant la juridiction disciplinaire nationale instituée par l'article 5 de l'ordonnance du 30 décembre 1958 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Chaubon, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Richard, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 29 octobre 1936 : Sauf dispositions statutaires particulières et sous réserve des droits acquis par certains personnels en vertu de textes législatifs ou réglementaires antérieurs, la réglementation sur les cumuls : - d'emplois ; - de rémunérations d'activité ; ... s'applique aux personnels civils ... des collectivités et organismes suivants : 1° Administrations de l'Etat, des départements et des communes, ... des offices et établissement publics de ces collectivités à caractère administratif... ; qu'aux termes de l'article 2 de ce décret : L'interdiction formulée à l'égard des fonctionnaires par l'article 9 de la loi du 19 octobre 1946 s'applique à l'ensemble des personnels des collectivités et organismes visés à l'article 1er ci-dessus ; qu'enfin l'article 6 du même décret dispose : Toute infraction aux interdictions édictées par les articles précédents entraînera obligatoirement des sanctions disciplinaires, ainsi que le reversement, par voie de retenues sur le traitement, des rémunérations irrégulièrement perçues. Ces retenues seront faites au profit du budget qui supporte la charge du traitement principal du fonctionnaire, agent ou ouvrier en cause ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'autorité de la chose jugée :
Considérant que par une décision du 27 mars 2003, devenue définitive, la juridiction disciplinaire nationale compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires a rejeté la demande de sanctions disciplinaires à l'encontre de M. A présentée par le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche et par le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, en estimant que les faits reprochés à M. A, commis avant le 17 mai 2002 et n'entrant pas dans le champ des exceptions relatives à des manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs, étaient amnistiés par la loi du 6 août 2002 ; que cependant l'autorité, au demeurant relative, de la chose jugée qui s'attache tant au dispositif de cette décision du 27 mars 2003 qu'aux motifs qui en constituent le support nécessaire n'est pas invocable, faute d'identité d'objet, à l'encontre de mesures de reversement de sommes irrégulièrement perçues, prises sur le fondement de l'article 6 du décret du 29 octobre 1936 ;
Sur le moyen tiré de la violation de la loi du 6 août 2002 portant amnistie :
Considérant qu'au termes de l'article 11 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie : Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles ... ;
Considérant que la demande de sanctions disciplinaires à l'encontre de M. A, présentée sur le fondement de l'article 6 du décret du 29 octobre 1936, a été rejetée, les faits reprochés à l'intéressé étant amnistiés ;
Considérant toutefois que le versement des rémunérations irrégulièrement perçues, prévu distinctement par ce même article 6, ne peut, compte tenu de sa nature et de son objet, être regardé comme une sanction professionnelle entrant dans le champ de la loi du 6 août 2002 portant amnistie ;
Sur le moyen tiré de ce que le ministre chargé de l'éducation nationale ne serait pas fondé à demander le reversement des rémunérations prévues :
Considérant que l'article 6 du décret du 29 octobre 1936 prévoit que les retenues opérées pour assurer le reversement des rémunérations irrégulièrement perçues seront faites au profit du budget qui supporte la charge du traitement principal du fonctionnaire, agent ou ouvrier en cause ; que ces dispositions visent notamment les rémunérations perçues au titre d'une activité salariée exercée auprès d'une société privée qui, en l'espèce, devaient être reversées, s'agissant d'un professeur des universités-praticien hospitalier, au budget du ministre chargé de l'éducation nationale ; que ce moyen doit donc être écarté ;
Sur le moyen tiré de la faute de l'administration résultant de ce qu'elle aurait eu connaissance du cumul irrégulier :
Considérant que la circonstance que M. A a déclaré, pour l'imposition de ses revenus, les rémunérations privées irrégulièrement perçues ne suffit pas à établir que les services chargés de sa gestion administrative auraient eu connaissance de ces rémunérations irrégulières et auraient toléré cette situation ; qu'ainsi, en tout état de cause, le moyen tiré de la faute qu'aurait commise l'administration ne peut qu'être écarté ;
Sur le moyen tiré de l'illégalité d'un reversement intégral des sommes irrégulièrement perçues :
Considérant, en premier lieu, que la circonstance que M. A aurait pu percevoir une rémunération au titre d'une activité privée lucrative accomplie au sein du centre hospitalier, s'il avait exercé une telle activité, est sans incidence sur la légalité du reversement contesté ;
Considérant, en second lieu, que les dispositions précitées du décret du 29 octobre 1936 prévoient que les sommes à reverser doivent comprendre l'intégralité des rémunérations irrégulièrement perçues, sans déduction du montant de l'impôt sur le revenu acquitté sur ces rémunérations ;
Considérant que, s'agissant d'un reversement de rémunérations, il appartient à l'intéressé, s'il s'y croit fondé, de tirer les conséquences fiscales de ce reversement lors de la souscription de sa déclaration de revenu au titre de l'année du reversement et, le cas échéant, des années ultérieures ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Louis A et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.