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Conseil d'Etat, 16 juillet 2007 - Societe T. (Possibilité pour les concurrents évincés de la conclusion d'un contrat administratif d'en demander l'annulation ou la suspension)

Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 16 juillet 2007, a ouvert aux concurrents évincés de la conclusion d'un contrat administratif la possibilité d'en demander l'annulation ou la suspension.
Auparavant, sauf exceptions ponctuelles, seules les parties signataires pouvaient, si elles estimaient le contrat invalide, demander au juge d'en constater la nullité. Mais l'Assemblée du contentieux, la plus haute formation de jugement du Conseil d'Etat, en a jugé autrement et a modifié cet état de droit en offrant aux concurrents évincés, et à eux seuls, la possibilité de contester directement la validité du contrat devant le juge administratif.
Ce recours ne peut toutefois être exercé que dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la conclusion du contrat est rendue publique, par des mesures de publicité appropriées. Et les concurrents évincés ne peuvent plus contester, à compter de la conclusion du contrat, les actes préalables à sa conclusion qui en sont détachables.
En outre, afin de ne pas porter une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours, l'Assemblée du contentieux a limité l'effet rétroactif de ce changement de jurisprudence.

Assemblée du contentieux sur le rapport de la 7 ème sous-section
Séance du 29 juin 2007 Lecture du 16 juillet 2007

N° 291545
SOCIETE T.

Vu la requête, enregistrée le 21 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE T. ; la SOCIETE T. demande au Conseil d'Etat :

1°) d’annuler l'ordonnance du 2 mars 2006 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre, statuant en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la suspension de la décision en date du 14 novembre 2005 de la chambre de commerce et d'industrie de Pointe-à-Pitre rejetant son offre pour le marché de marquage des aires d'avions de l'aéroport Le Raizet à Pointe-à-Pitre, de la décision d'attribuer ce marché à l'entreprise R., de la décision de signer ce marché et du marché lui-même ;

2°) statuant sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de faire droit à la demande de suspension présentée devant le tribunal administratif de Basse-Terre ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles R. 122-17, R. 122-18 et R. 611-20 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme E., Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP W, F, H, avocat de la SOCIETE T. et de la SCP R, avocat de la chambre de commerce et d'industrie de Pointe-à-Pitre,

- les conclusions de M. C, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu’après avoir été informée, le 14 novembre 2005, par la chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre du rejet de l’offre qu’elle avait présentée pour l’attribution d’un marché portant sur le marquage des aires d’avions et des chaussées routières de l’aéroport de Pointe-à-Pitre le Raizet, la SOCIETE T. a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, d’une demande tendant à la suspension de l’exécution de ce rejet de son offre, de la décision de la chambre de commerce et d’industrie acceptant l’offre de la société R, de sa décision de signer le marché et du marché lui-même ; que par une ordonnance en date du 2 mars 2006, à l’encontre de laquelle la SOCIETE T. se pourvoit en cassation, le juge des référés a rejeté cette demande ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête ;

Considérant que, indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires ; que ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ; qu’à partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu’il dispose du recours ci-dessus défini, le concurrent évincé n’est, en revanche, plus recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables ;

Considérant que, ainsi saisi de telles conclusions par un concurrent évincé, il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences ; qu’il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ; que, par ailleurs, une requête contestant la validité d’un contrat peut être accompagnée d’une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de son exécution ;

Considérant qu’il appartient en principe au juge d’appliquer les règles définies ci-dessus qui, prises dans leur ensemble, n’apportent pas de limitation au droit fondamental qu’est le droit au recours ; que toutefois, eu égard à l’impératif de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours et sous réserve des actions en justice ayant le même objet et déjà engagées avant la date de lecture de la présente décision, le recours ci-dessus défini ne pourra être exercé qu’à l’encontre des contrats dont la procédure de passation a été engagée postérieurement à cette date ;

Considérant qu’en rejetant comme irrecevables les conclusions de la SOCIETE T. à fin de suspension du marché conclu entre la chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre et la société R, sans rechercher si la SOCIETE T. s’était portée candidate à l’attribution de ce marché, le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a commis une erreur de droit entachant le bien-fondé de l’ensemble de son ordonnance ;

Considérant qu’il résulte de qui précède que la SOCIETE T. est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre ;

Considérant qu’il y a lieu, pour le Conseil d’Etat, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…)" ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le délai de recours contre le marché conclu entre la chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre et la société R n’ayant pas couru faute de mesure de publicité appropriée, la SOCIETE T. , en sa qualité de concurrent évincé de l’attribution de ce marché, est recevable à demander la suspension de son exécution sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ; que toutefois, en l’état de l’instruction, le seul moyen d’annulation qu’elle soulève et qui est tiré du détournement de pouvoir, n’est pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ce marché ; que, par suite, ses conclusions tendant à la suspension de son exécution doivent être rejetées ;

Considérant que, compte tenu de la signature du marché contesté le 26 novembre 2005, la société requérante n’était plus recevable à la date de l’introduction de sa demande, le 13 janvier 2006, à demander l’annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables ; que dès lors, ses conclusions à fin de suspension des décisions de la chambre de commerce et d’industrie rejetant son offre, attribuant le marché à la société R et décidant de le signer ne peuvent également qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la SOCIETE T. la somme que la chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L’ordonnance en date du 2 mars 2006 du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre est annulée.

Article 2 : La requête de la SOCIETE T. devant le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE T., à la chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre et à la société R.

Copie pour information en sera adressée au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables et au ministre de l'économie, des finances et de l'emploi.