REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 décembre 2003 et 23 avril 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU, dont le siège est 2, rue Courtepée à Saulieu (21210) ; le CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 14 octobre 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l'oubli de compresses chirurgicales dans l'abdomen de Mme Sylviane X et ordonné une expertise avant de statuer sur la demande d'indemnité de Mme X ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU et de Me de Nervo, avocat de Mme X,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme X a subi une césarienne pour l'accouchement de son troisième enfant en janvier 1987 au centre hospitalier universitaire du Bocage à Dijon ; qu'elle a présenté, dans les mois qui ont suivi, des douleurs abdominales et des troubles urinaires ; qu'elle a subi, en septembre 1987, une colectomie réalisée par le docteur Dupaty au CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU ; que, les douleurs persistant, une échographie abdominale réalisée en janvier 1988 a permis de détecter la présence de corps étrangers qui se sont révélés être des compresses médicales oubliées dans l'abdomen de la patiente lors de l'une des interventions précédentes ; que ces compresses ont été retirées par le docteur Dupaty en mars 1988 et en septembre 1988 ; qu'il en est résulté diverses blessures dont une fistule avec suppuration prolongée qui a nécessité de nouvelles interventions médicales ; que le CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a jugé que la responsabilité de cet établissement était engagée et a ordonné une expertise afin de déterminer le montant du préjudice subi par Mme X ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis./ Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ; qu'aux termes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage ; qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 101 de la même loi, ces dispositions sont immédiatement applicables, en tant qu'elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en matière de responsabilité médicale qui n'étaient pas déjà prescrites à la date d'entrée en vigueur de la loi et qui n'avaient pas donné lieu, dans le cas où une action en responsabilité avait déjà été engagée, à une décision irrévocable ; que ces dernières prescriptions n'ont toutefois pas pour effet de relever de la prescription celles des créances qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, étaient prescrites en application de la loi du 31 décembre 1968 ;
Considérant que la cour administrative d'appel de Lyon a estimé que, compte tenu de la date de consolidation des dommages qu'elle a fixée au mois de septembre 1988, l'action en responsabilité formée contre le CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU n'était pas prescrite lorsque Mme X a saisi le tribunal administratif de Dijon le 18 mars 1998 d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement ; qu'en se fondant ainsi sur la prescription de dix ans résultant de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, sans vérifier si l'action en responsabilité engagée n'était pas déjà prescrite à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, ainsi que l'avait soulevé le centre hospitalier, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et a commis une erreur de droit ; que, dès lors, le CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur les conclusions d'appel de Mme X ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi précitée du 31 décembre 1968 : La prescription est interrompue par (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance. / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi : La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ;
Considérant que la prescription n'a pu courir à l'égard de Mme X, dont le dommage était susceptible d'être imputable à l'une ou l'autre des opérations chirurgicales qu'elle a successivement subies en janvier 1997 et en septembre 1997 dans deux établissements hospitaliers différents, qu'à compter du début de l'exercice qui suit celui au cours duquel elle a pu avoir connaissance de l'origine du dommage ; qu'il résulte de l'instruction que l'attribution de l'oubli des compresses dans l'abdomen de l'intéressée à l'opération chirurgicale réalisée au CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU a été établie pour la première fois par le rapport final de l'expert désigné par la cour d'appel de Dijon statuant sur la plainte déposée contre le médecin ayant réalisé l'opération ; que ce rapport a été porté à la connaissance de Mme X le 10 mai 1994 ; que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à cette date ; que, dès lors, l'action en responsabilité contre le CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU n'était pas prescrite lorsque Mme X a saisi le tribunal administratif de Dijon le 18 mars 1998 d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement ; que cette dernière est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande comme irrecevable ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la demande présentée par Mme X devant le tribunal administratif de Dijon ;
Sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des faits constatés par l'arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Dijon en date du 23 août 1995, que les compresses extraites de l'abdomen de Mme X avaient été oubliées lors de l'intervention de colectomie effectuée au CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU en septembre 1987 ; que cet oubli est constitutif d'une faute de service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;
Sur le préjudice :
Considérant que l'état du dossier ne permet pas de déterminer le montant du préjudice subi par Mme X ; que, par suite, avant de statuer sur sa demande d'indemnité, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins de déterminer la date de consolidation des lésions subies par la requérante, la durée de son incapacité temporaire totale, le taux de son incapacité permanente partielle, son préjudice esthétique, les souffrances physiques qu'elle a endurées et son préjudice d'agrément ;
Sur les conclusions de Mme X présentées devant le Conseil d'Etat tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU la somme de 3 000 euros que Mme X demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt du 14 octobre 2003 de la cour administrative d'appel de Lyon, à l'exception de son article 1er, et le jugement du 8 juin 1999 du tribunal administratif de Dijon sont annulés.
Article 2 : Le CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU est déclaré responsable des conséquences dommageables de l'oubli de compresses chirurgicales dans l'abdomen de Mme X.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur la demande d'indemnité de Mme X, procédé à une expertise aux fins précisées ci-dessus, par un expert désigné par le Président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat.
Article 4 : L'expert prêtera serment par écrit ou devant le secrétaire du Contentieux du Conseil d'Etat ; le rapport sera déposé au secrétariat du Contentieux dans le délai de quatre mois suivant la prestation de serment.
Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 6 : Le CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU versera à Mme X une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER DE SAULIEU, à Mme Sylviane X et au ministre des solidarités, de la santé et de la famille.