Il résulte de cette jurisprudence qu'un fonctionnaire ne peut être radié des cadres par son administration pour perte des droits civiques tant que sa condamnation pénale n'est pas devenue définitive. La Conseil d'Etat a considéré en effet que "en vertu de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire s'il ne jouit de ses droits civiques ; que, selon l'article 24 de la même loi, la cessation définitive de fonctions qui entraine radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte notamment de la déchéance des droits civiques ; qu'il résulte de ces dispositions que la condamnation à la privation des droits civiques, prononcée par le juge pénal, entraîne de plein droit, pour le fonctionnaire, la rupture de ses liens avec le service à la date à laquelle cette condamnation est devenue définitive ; que l'autorité compétente ne peut prendre une mesure portant radiation des cadres pour ce motif qu'à compter de cette date" ; "qu'en jugeant, après avoir relevé que le délai d'appel du procureur général n'était pas expiré, que la condamnation de M. M à la privation de ses droits civiques n'avait pas acquis un caractère définitif à la date à laquelle le directeur général des douanes et droits indirects a procédé à sa radiation des cadres, la cour, (…) n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit".
Conseil d'État
3ème et 8ème sous-sections réunies
N° 315829
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
M. Arrighi de Casanova, président
M. François Delion, rapporteur
M. Geffray Edouard, commissaire du gouvernement
SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, avocats
Lecture du mercredi 17 novembre 2010
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi, enregistré le 30 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 26 février 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a annulé, d'une part, le jugement du 24 mars 2005 du tribunal administratif de Lyon rejetant la demande de M. Gabriel A tendant à l'annulation de la décision du 28 juillet 2003 par laquelle le directeur général des douanes et droits indirects avait prononcé sa radiation des cadres, ainsi que la décision du 18 novembre 2003 rejetant son recours gracieux, d'autre part, ces décisions et a enjoint à l'administration de procéder à la réintégration et à la reconstitution de la carrière de M. A ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Delion,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Edouard Geffray, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de M. A ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, agent de constatation des douanes et droits indirects, a été condamné à une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve de dix-huit mois et à la privation de ses droits civiques, civils et de famille pour trois années, par un jugement du 25 juin 2003 du tribunal correctionnel de Lyon, dont il n'a pas relevé appel ; que, par un arrêté du 28 juillet 2003, le directeur général des douanes et droits indirects a prononcé sa radiation des cadres, en conséquence de ce jugement, en application des articles 5 et 24 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; que, par une décision du 18 novembre 2003, le directeur général a rejeté le recours gracieux formé par l'intéressé à l'encontre de cette mesure ; que, par un jugement du 24 mars 2005, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de M. A tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 juillet 2003 et de la décision du 18 novembre 2003 ; que, par un arrêt du 26 février 2008, contre lequel le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé, à la demande de M. A, le jugement du 24 mars 2007 et les décisions précitées et a enjoint à l'administration de procéder à sa réintégration et à la reconstitution de sa carrière ;
Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire s'il ne jouit de ses droits civiques ; que, selon l'article 24 de la même loi, la cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte notamment de la déchéance des droits civiques ; qu'il résulte de ces dispositions que la condamnation à la privation des droits civiques, prononcée par le juge pénal, entraîne de plein droit, pour le fonctionnaire, la rupture de ses liens avec le service à la date à laquelle cette condamnation est devenue définitive ; que l'autorité compétente ne peut prendre une mesure portant radiation des cadres pour ce motif qu'à compter de cette date ;
Considérant, d'autre part, que l'interdiction du droit de vote ou l'inéligibilité, prononcées par la juridiction en application de l'article 131-26 du code pénal, emporte interdiction ou incapacité d'exercer une fonction publique ; que l'article 505 du code de procédure pénale, dans sa rédaction en vigueur à la date du jugement du 25 juin 2003 mentionné ci-dessus, dispose : Le procureur général forme son appel par signification, soit au prévenu, soit à la personne civilement responsable du délit, dans le délai de deux mois à compter du jour du prononcé du jugement. ; qu'aux termes, enfin, de l'article 708 du même code : L'exécution à la requête du ministère public a lieu lorsque la décision est devenue définitive. / Toutefois, le délai d'appel accordé au procureur général par les articles 505 et 548 ne fait point obstacle à l'exécution de la peine (...) ; que la condamnation à la privation des droits civiques ne revêt un caractère définitif que quand le délai d'appel ouvert au procureur général est expiré sans qu'il ait usé de cette faculté ; qu'en outre, si les dispositions de l'article 708 du code de procédure pénale prévoient que ce délai d'appel ne fait pas obstacle à l'exécution de la peine, le point de départ de l'interdiction des droits énumérés à l'article 131-26 du code pénal, s'agissant d'une peine qui, par nature, n'exige aucun acte d'exécution, est nécessairement fixé au jour où la condamnation devient définitive ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant, après avoir relevé que le délai d'appel du procureur général n'était pas expiré, que la condamnation de M. A à la privation de ses droits civiques n'avait pas acquis un caractère définitif à la date à laquelle le directeur général des douanes et droits indirects a procédé à sa radiation des cadres, la cour, alors même qu'elle a relevé à tort, par un motif surabondant, que la condamnation prononcée par le jugement du tribunal correctionnel de Lyon aurait pu faire l'objet d'un appel incident en cas d'appel relevé par le procureur général , n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ;
Considérant que M. A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Vier, Barthélémy, Matuchansky, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette société de la somme de 3 000 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la SCP Vier, Barthélémy, Matuchansky la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT et à M. Gabriel A.
Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.