Revenir aux résultats de recherche

Conseil d’État, 17 septembre 2014, n° 378722 (Référé précontractuel – Contrôle du juge – Capacité techniques et professionnelles)

Le département A. a publié le 31 décembre 2013 un avis d'appel d'offres en vue de la conclusion d'un marché portant sur la mise en place et la gestion d'un dispositif d'accessibilité téléphonique aux services départementaux à l'attention des personnes sourdes et malentendantes. Le département a attribué ce marché au groupement formé par la société X. et la société Z. et rejeté l'offre présentée par la société Y. Le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Dijon a été saisi par la société Y. La procédure de passation du marché a été annulée. C'est ainsi que la société X. s'est pourvue en cassation. La question se posait de savoir dans quelles limites le juge des référés précontractuels est susceptible d'intervenir dans la procédure d'attribution d'un marché s'agissant du contrôle des garanties et des capacités techniques et professionnelles des candidats. Le Conseil d'Etat a rappelé que le juge des référés précontractuels ne peut censurer l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, sur les garanties et capacités techniques que présentent les candidats à un marché public, ainsi que sur leurs références professionnelles, que dans le cas où cette appréciation est entachée d'une erreur manifeste.

Conseil d'État

N° 378722   

7ème et 2ème sous-sections réunies

M. Frédéric Dieu, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, avocats

lecture du mercredi 17 septembre 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 avril et 12 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société X., dont le siège est …. ; la société X. demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1400868 du 10 avril 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, sur la demande de la société Y., annulé la procédure de passation du marché public ayant pour objet la mise en place et la gestion d'un dispositif d'accessibilité aux services départementaux de A. par mode de visio-interprétation et de transcription lue et écrite ;

2°) de mettre à la charge de la société Y. le versement de la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société X. et à la SCP Bore, Salve de Bruneton, avocat de la société Y. ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. (...) " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Dijon que le département A. a publié le 31 décembre 2013 un avis d'appel d'offres en vue de la conclusion d'un marché portant sur la mise en place et la gestion d'un dispositif d'accessibilité téléphonique aux services départementaux à l'attention des personnes sourdes et malentendantes ; que le département a attribué ce marché au groupement formé par la société X. et la société Z. et rejeté l'offre présentée par la société Y. ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Dijon, saisi par cette dernière, a annulé la procédure de passation du marché ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, contrairement à ce que soutient la société X., la société coopérative d'intérêt collectif Y. était candidate à l'attribution du marché et a été destinataire de la décision de rejet de son offre ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que le juge des référés aurait commis une erreur de droit en ne relevant pas d'office l'irrecevabilité de la demande de référé de la société coopérative d'intérêt collectif Y., au motif que le rejet de son offre aurait été notifié à la société Y. ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que, pour annuler la procédure de passation du marché, le juge des référés s'est fondé sur le moyen tiré de ce que le groupement attributaire ne justifiait pas détenir les capacités professionnelles et techniques exigées et ne pas avoir ainsi besoin de recourir à des moyens externes pour l'exécution du marché, et que, par suite, sa candidature aurait dû être rejetée par le pouvoir adjudicateur ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge que ce moyen avait été soulevé par la société Y. dès sa requête introductive d'instance ; que, par suite et en tout état de cause, la société X. n'est pas fondée à soutenir que le juge des référés aurait méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure et rendu son ordonnance au terme d'une procédure irrégulière en se fondant sur un moyen soulevé pour la première fois par la société Y. dans un mémoire communiqué le jour de l'audience et auquel elle n'a pu répondre, à défaut de tout report de la clôture de l'instruction ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du I de l'article 52 du code des marchés publics : " Avant de procéder à l'examen des candidatures, le pouvoir adjudicateur qui constate que des pièces dont la production était réclamée sont absentes ou incomplètes peut demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai identique pour tous et qui ne saurait être supérieur à dix jours. Il peut demander aux candidats n'ayant pas justifié de la capacité juridique leur permettant de déposer leur candidature de régulariser leur dossier dans les mêmes conditions. Il en informe les autres candidats qui ont la possibilité de compléter leur candidature dans le même délai. / Les candidats qui ne peuvent soumissionner à un marché en application des dispositions de l'article 43 ou qui, le cas échéant après mise en œuvre des dispositions du premier alinéa, produisent des dossiers de candidature ne comportant pas les pièces mentionnées aux articles 44 et 45 ne sont pas admis à participer à la suite de la procédure de passation du marché. / Les candidatures qui n'ont pas été écartées en application des dispositions de l'alinéa précédent sont examinées au regard des niveaux de capacités professionnelles, techniques et financières mentionnées dans l'avis d'appel public à la concurrence, ou, s'il s'agit d'une procédure dispensée de l'envoi d'un tel avis, dans le règlement de la consultation. Les candidatures qui ne satisfont pas à ces niveaux de capacité sont éliminées " ;

6. Considérant que le juge du référé précontractuel ne peut censurer l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, en application de cet article, sur les garanties et capacités techniques que présentent les candidats à un marché public, ainsi que sur leurs références professionnelles, que dans le cas où cette appréciation est entachée d'une erreur manifeste ; qu'il ressort de l'ordonnance attaquée que, pour accueillir le moyen tiré de ce que le groupement attributaire ne justifiait pas détenir les capacités professionnelles et techniques exigées et ne pas avoir besoin de recourir à des moyens externes, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Dijon s'est fondé sur l'absence d'éléments suffisants, à défaut notamment de la production par le département ou le groupement attributaire, au cours de l'instruction, du dossier de candidature du groupement, pour qu'il soit procédé au contrôle de l'appréciation que le département était tenu de porter sur la candidature du groupement ; que la société requérante ne peut ainsi utilement soutenir que le juge des référés aurait commis une erreur de droit en ne se bornant pas à vérifier si l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur les capacités du groupement était entachée d'une erreur manifeste ; que c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que le juge des référés, qui a suffisamment motivé son ordonnance sur ce point, a estimé insuffisante la seule production, au cours de l'instruction, de références professionnelles pour la justification des capacités techniques et professionnelles du groupement ; que le juge des référés a pu, dès lors, sans erreur de droit, regarder le moyen soulevé par la société Y. comme fondé ;

7. Considérant enfin que, pour annuler la procédure de passation litigieuse, le juge du référé précontractuel a expressément retenu que la société Y. avait été lésée par l'acceptation de la candidature du groupement retenu comme attributaire du marché ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que le juge, qui a suffisamment motivé son ordonnance sur ce point, aurait commis une erreur de droit en ne recherchant pas en quoi l'admission par le pouvoir adjudicateur de la candidature du groupement était susceptible d'avoir lésé la société Y. ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société X. doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, en application des mêmes dispositions et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société X. une somme de 3 000 euros à verser à la société Y. ;

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de la société X. est rejeté.

Article 2 : La société X. versera une somme de 3 000 euros à la société Y. en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société X., à la société Y. et au département A.