REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°), sous le n° 224804, la requête sommaire, enregistrée le 7 septembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme X..., ; Mme X... demande au Conseil d'Etat l'annulation, d'une part, de la délibération du 9 mai 2000 de la commission de spécialistes de l'université Paris III refusant de proposer son recrutement en qualité de professeur des universités, d'autre part, de la décision du 7 juillet 2000 du président de l'université Paris III rejetant son recours gracieux ;
Vu 2°), sous le n° 236744, la requête enregistrée le 30 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme X..., ; Mme X... demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret du 28 mai 2001 en tant qu'il nomme Mme Y..., épouse Z..., en qualité de professeur des universités à compter du 1er février 2001 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le traité, en date du 25 mars 1957, instituant la Communauté européenne, notamment son article 39 ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences ;
Vu l'arrêté ministériel du 8 avril 1988 relatif aux conditions de fonctionnement des commissions de spécialistes ;
Vu l'arrêté ministériel du 11 juin 1992 modifié fixant la procédure de recrutement des professeurs des universités et des maîtres de conférences par concours ouverts par établissement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Struillou, Maître des Requêtes ;
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de Mme X... présentent à juger des questions connexes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la légalité de la délibération du 9 mai 2000 de la commission de spécialistes de l'université Paris III et de la décision du président de cette université rejetant le recours administratif de Mme X... :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du traité en date du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne : "La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique : a) de répondre à des emplois effectivement offerts." ; qu'aux termes des premier et troisième alinéas de l'article 5 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : "Les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen autres que la France ont accès, dans les conditions prévues au statut général, aux corps, cadres d'emploi et emplois dont les attributions sont soit séparables de l'exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique de l'Etat ou des autres collectivités publiques. Les corps, cadres d'emplois ou emplois remplissant les conditions définies au premier alinéa ci-dessus sont désignés par leurs statuts particuliers respectifs." ; qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 952-6 du code de l'éducation : "à des personnalités n'ayant pas la nationalité française peuventà être nommées dans un corps d'enseignants-chercheurs" ;
Considérant que les stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne doivent être interprétées comme interdisant non seulement les discriminations fondées sur la nationalité, mais encore toutes les autres formes de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ; qu'en particulier, lorsqu'à l'occasion du recrutement d'un fonctionnaire pour un emploi entrant dans le champ d'application de l'article 5 bis précité de la loi du 13 juillet 1983, les autorités administratives compétentes prennent en considération les activités professionnelles antérieures, exercées par les candidats au sein d'une administration publique, elles ne peuvent, à l'égard des ressortissants des Etats membres de l'Union européenne, opérer de distinction selon que ces activités ont été exercées dans une collectivité publique française ou dans celle d'un autre Etat membre ;
Considérant que par un arrêté du 1er mars 2000 le ministre de l'éducation nationale a déclaré vacant, à l'université Paris III, un emploi de professeur des universités au titre de la section 14 (langue et littérature romanes) du conseil supérieur des universités ; que cet emploi, portant le n° 039, était libellé "portugais : langue, littérature et civilisation du Portugal classique" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que pour rejeter la candidature de Mme X... à l'emploi décrit ci-dessus, la commission des spécialistes de l'université Paris III, qui a reconnu la valeur scientifique du dossier de l'intéressée, s'est uniquement fondée sur le fait que celle-ci, professeur des universités italiennes, n'aurait pas une expérience suffisante du système universitaire français ; que si la connaissance du système universitaire français est l'un des critères auxquels la commission peut légalement recourir pour apprécier une candidature, il ressort des pièces du dossier que la commission a entendu, en l'espèce, subordonner la nomination de l'intéressée à l'exercice préalable de fonctions enseignantes dans les universités françaises ; qu'elle a ainsi méconnu les stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne ; qu'il suit de là que Mme X... est fondée à demander l'annulation de la délibération du 9 mai 2000 et de la décision du 7 juillet 2000 du président de l'univer
sité Paris III rejetant son recours administratif ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 28 mai 2001, en tant qu'il nomme Mme Y..., épouse Z..., en qualité de professeur des universités :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale :
Considérant qu'à la suite de la décision de la commission de spécialistes de ne pas proposer au conseil d'administration de l'université Paris III la candidature de Mme X..., qui était seule candidate, à l'emploi de professeur des universités dans la spécialité "portugais : langue et civilisation du Portugal classique", l'emploi n° 039 auquel elle postulait a été de nouveau déclaré vacant par un arrêté du 26 septembre 2000 du ministre de l'éducation nationale ; que la candidature de Mme Y... a été retenue, Mme X... n'ayant pas fait acte de candidature ; que bien que cet emploi fût libellé dans l'arrêté du 26 septembre 2000 : "portugais : langue, littérature et civilisation du Portugal", et non : "portugais : langue, littérature et civilisation du Portugal classique" comme dans l'arrêté du 1er mars 2000, ces deux arrêtés doivent être regardés dans les circonstances de l'espèce comme se rattachant à une seule et même opération de recrutement destinée à pourvoir, pour la rentrée universitaire 2000, le même emploi rendu vacant par le prochain départ en retraite de sa titulaire ; qu'il suit de là que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'éducation nationale, Mme X... est recevable à demander l'annulation du décret du 28 mai 2001, en tant qu'il nomme Mme Y... à l'emploi auquel elle postulait ;
Sur la légalité du décret attaqué :
Considérant que dès lors que, comme il a été dit ci-dessus, les arrêtés du 1er mars 2000 et du 26 septembre 2000 se rattachent à une seule opération de recrutement destinée à pourvoir le même poste, l'illégalité de la délibération du 9 mai 2000 de la commission des spécialistes rejetant la candidature de Mme X... entache, par voie de conséquence, d'illégalité les actes qui lui ont succédé en vue de pourvoir au même poste ; que, par suite, Mme X... est fondée à demander l'annulation du décret du 28 mai 2001 nommant Mme Y... ;
Sur les conclusions tendant à ce que le Conseil d'Etat enjoigne à l'université Paris III, sous astreinte, de réunir à nouveau la commission de spécialistes dans le délai d'un mois pour qu'elle statue à nouveau sur la candidature de Mme X... :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution" ; qu'aux termes de l'article L. 911-3 du même code : "Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet" ;
Considérant que pour l'exécution de la présente décision, l'université Paris III doit procéder à un nouvel examen de la question du recrutement d'un professeur des universités sur le poste n° 039 dans la section 14 du conseil national des universités ; qu'il y a lieu de fixer à deux mois le délai dans lequel l'université Paris III doit procéder à ce réexamen, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par Mme X... ;
Sur les conclusions de Mme X... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'université Paris III à payer à Mme X... la somme de 1 830 euros qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que ces mêmes dispositions font, en revanche, obstacle à ce que Mme X..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à l'université Paris III la somme que cette dernière demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La délibération du 9 mai 2000 de la commission de spécialistes de l'université Paris III rejetant la candidature de Mme X..., la décision du 7 juillet 2000 du président de l'université Paris III rejetant le recours administratif de l'intéressé et le décret du 28 mai 2001, en tant qu'il nomme Mme Y... en qualité de professeur des universités, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à l'université Paris III de procéder à un nouvel examen de la question du recrutement d'un professeur sur le poste n° 039 de la section 14 du conseil national des universités, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'université Paris III versera à Mme X... une somme de 1 830 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X... et les conclusions de l'université Paris III tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme X..., à l'université Paris III, à Mme Y... et au ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.