Par cet arrêt, le Conseil d’Etat indique que le juge, saisi d’un recours de la victime d’un dommage corporel et d’un recours subrogatoire d’un organisme de Sécurité sociale doit, pour chacun de postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de Sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de Sécurité sociale. La Haute juridiction administrative ajoute qu’en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage. Parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires.
Conseil d'État
N° 260293
Inédit au recueil Lebon
5ème sous-section jugeant seule
Mme Hubac, président
M. Emmanuel Vernier, rapporteur
LE PRADO ; SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON ; SCP GATINEAU, FATTACCINI, avocats
lecture du vendredi 19 décembre 2008
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi et le mémoire, enregistrés les 16 septembre et 11 décembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE dont le siège est 2, rue des Chauffours à Cergy-Pontoise (95017) ; la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 10 juin 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a condamné le centre hospitalier d'Eaubonne à lui verser la somme de 216 188,13 euros et à verser à Mme A la somme de 169 107,68 euros diminuée de la provision de 7 622,45 euros déjà versée, en réparation des préjudices résultant d'un accident thérapeutique dont celle-ci a été victime au centre hospitalier le 9 février 1993 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de condamner le centre hospitalier d'Eaubonne à lui verser la somme de 300 535,93 euros assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Eaubonne la somme de 3 050 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emmanuel Vernier, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Gatineau, avocat de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL D'OISE, de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier d'Eaubonne et de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mme A,
- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE demande l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 10 juin 2003 en tant qu'il a fixé le préjudice de Mme A après avoir jugé que le centre hospitalier d'Eaubonne était intégralement responsable des conséquences résultant d'un accident thérapeutique dont elle a été victime dans cet hôpital le 9 février 1993 lors de l'injection d'un produit de contraste en vue de la réalisation d'un examen au scanner nécessité par un accident du travail ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE et du pourvoi incident de Mme A ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle la cour a statué : « Si la responsabilité du tiers auteur de l'accident est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément » ; qu'il ressort des termes de l'arrêt attaqué que la cour après avoir fixé le préjudice global à 385 295,81 euros, a jugé que le montant de l'indemnité destinée à réparer l'atteinte à l'intégrité physique de la victime sur laquelle pouvait s'imputer la créance de la caisse devait se limiter à 216 188,13 euros et a condamné le centre hospitalier d'Eaubonne à rembourser la caisse dans la limite de cette somme ; qu'en omettant de déduire du préjudice global la part d'indemnité à caractère personnel pour déterminer l'assiette du recours de la caisse, la cour a commis une erreur de droit dans l'application des dispositions de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale ; que son arrêt doit être annulé en tant qu'il fixe l'évaluation du préjudice global consécutif à la faute commise par le centre hospitalier d'Eaubonne ;
Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond ;
Sur les droits à réparation de Mme A et le recours subrogatoire de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE :
Considérant que les dispositions de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, relatif à l'exercice des recours des tiers payeurs contre les personnes tenues à la réparation d'un dommage telles qu'elles ont été modifiées par le IV de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006, relative au financement de la sécurité sociale pour 2007 s'appliquent aux recours exercés par les caisses de sécurité sociale dans une action engagée par la victime d'un accident du travail sur le fondement de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale ; que selon ces dispositions qui s'appliquent aux événements ayant occasionné des dommages survenus antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2006, dès lors que le montant de l'indemnité due à la victime n'a pas été définitivement fixée et, par suite, à la présente affaire : « Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel./ Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. / Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice » ;
Considérant qu'en application de ces dispositions le juge, saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et d'un recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre la méthode sus-décrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial de Mme A :
Quant aux dépenses de santé :
Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS justifie avoir pris en charge les dépenses médicales et pharmaceutiques de son assurée en relation avec la faute commise par le centre hospitalier d'Eaubonne pour un montant de 67 325,67 euros et devoir supporter la charge de frais médicaux futurs pour un montant de 14 065,50 euros, soit un total de 81 391,17 euros ; qu'il y a lieu de lui allouer cette somme ;
Quant aux frais liés au handicap :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A, née en 1942, est atteinte d'une impotence complète du membre supérieur droit qui rend nécessaire l'aide d'une tierce personne deux heures par jour ; que, compte tenu de la nature du handicap, de la date à laquelle la victime en a été atteinte et de l'âge de celle-ci, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 175 000 euros ; qu'il y a lieu d'allouer cette somme à Mme A ;
Quant aux pertes de revenus :
Considérant en premier lieu qu'il résulte de l'instruction que Mme A, a subi une incapacité temporaire totale du 9 février 1993 au 10 octobre 1994 et que la perte de l'usage du membre supérieur droit rend impossible l'exercice de sa profession d'assistante dentaire et ne lui a pas permis de retrouver un emploi ; que, compte tenu de l'âge de Mme A et des revenus d'activité qu'elle justifie pour le début de l'année 1993, il sera fait une juste évaluation de la perte totale de revenus en la chiffrant à 250 000 euros de la date de l'accident jusqu'à la date qui aurait été celle de sa mise à la retraite puis à 50 000 euros ensuite, soit au total 300 000 euros ;
Considérant en second lieu que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE justifie avoir versé à Mme A pendant la période de son incapacité temporaire totale des indemnités journalières pour un montant de 15 393,55 euros ; qu'il résulte de l'instruction que la caisse verse à Mme A une pension d'invalidité réparant la perte de revenus à partir du 11 octobre 1994 dont la charge totale doit être évaluée à 251 374,41 euros ; que la somme totale supportée par la caisse se monte dès lors à 266 767,96 euros, laissant par suite à la charge de Mme A un préjudice complémentaire de 33 232,04 euros ; qu'il y a lieu d'allouer cette somme à Mme A et le reliquat de la somme réparant la perte de revenus, soit 266 767,96 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les séquelles de l'accident thérapeutique qui ont entraîné pour Mme A la perte de l'usage de son membre supérieur droit lui ont causé de fortes souffrances physiques, un préjudice esthétique ainsi que d'importants troubles dans ses conditions d'existence envisagées indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble de ces préjudices en les évaluant à 150 000 euros ;
Sur le total des sommes dues par le centre hospitalier d'Eaubonne :
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la somme que le centre hospitalier d'Eaubonne a été condamné à verser à Mme A par le jugement attaqué doit être portée à 358 232,04 euros dont il convient de déduire la provision déjà versée de 7 622,45 euros, ce qui ramène cette somme à 350 609,59 euros ; que la somme qu'il a été condamné à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE doit être portée à 348 159,13 euros ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que Mme A a droit à ce que la somme qui lui est accordée porte intérêts à compter du 15 novembre 1993, date de sa demande préalable d'indemnité adressée au centre hospitalier d'Eaubonne ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts le 30 juin 1999 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE a droit aux intérêts de la somme de 137 603,35 euros à compter du 13 octobre 1999, date d'enregistrement de sa demande, et, pour le surplus de cette somme au fur et à mesure des dates d'échéance des versements qu'elle a effectués en faveur de Mme A ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts le 17 avril 2001 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour la somme de 137 603,35 euros et pour le surplus de cette somme à chaque échéance annuelle des intérêts ayant couru sur les versements effectués à Mme A ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier d'Eaubonne la somme de 3 000 euros que demande Mme A et la somme de 3 050 euros que demande la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 3, 4 et 5 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 10 juin 2003 sont annulés.
Article 2 : La somme que le centre hospitalier d'Eaubonne a été condamné à payer à Mme A par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 23 janvier 2001 est portée à 350 609,59 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 1993. Les intérêts échus le 30 juin 1999 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : La somme que le centre hospitalier d'Eaubonne a été condamné à payer à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE par l'article 4 du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 23 janvier 2001 est portée à 348 159,13 euros. Cette somme portera intérêts pour un montant de 137 603,35 euros, à compter du 13 octobre 1999 et pour le surplus de cette somme au fur et à mesure des dates d'échéance des versements effectués en faveur de Mme A. Les intérêts échus sur la somme de 137 603,36 euros seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Les intérêts ayant couru sur le surplus de cette somme au fur et à mesure des versements effectués à Mme A seront capitalisés à leur échéance annuelle pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 23 janvier 2001 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le centre hospitalier d'Eaubonne versera 3 050 euros à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE et 3 000 euros à Mme A en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus du pourvoi et de la requête d'appel de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE ainsi que le surplus du pourvoi incident et de l'appel incident de Mme A sont rejetés.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL-D'OISE, au centre hospitalier d'Eaubonne et à Mme Fatima A.