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Conseil d'Etat, 1er avril 2010, n°335753 (hospitalisation d'office - suspension - compétence juge judiciaire)

Les juges administratifs rappellent en l'espèce que s'il n'appartient pas au juge administratif de porter une appréciation sur la nécessité des mesures d'hospitalisation d'office (et de suspendre par exemple l'une de ces hospitalisations), il appartient en revanche, "à la juridiction administrative, saisie d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'apprécier, eu égard aux seules irrégularités dont elles seraient entachées, si ces décisions portent une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dont la violation est invoquée". Le juge judiciaire demeure quant à lui seul garant des libertés individuelles.
Pour rappel, l'article 521-2 du code de justice administrative dispose que "saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (…) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…)".

Conseil d'État
1ère et 6ème sous-sections réunies

N° 335753   

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

M. Vigouroux, président
M. Alexandre Lallet, rapporteur
Mlle Courrèges Anne, commissaire du gouvernement
SCP BARADUC, DUHAMEL, avocats

Lecture du jeudi 1 avril 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi, enregistré le 20 janvier 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Charles A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 25 décembre 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'arrêté du 11 décembre 2009 par lequel le préfet du Gard a décidé son hospitalisation d'office jusqu'au 11 janvier 2010 ;

2°) statuant en référé, de suspendre l'exécution de cet arrêté ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, notamment son article 37 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lallet, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de M. A,

- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de M. A ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ;

Considérant que si l'autorité judiciaire est seule compétente pour apprécier la nécessité d'une mesure d'hospitalisation d'office en hôpital psychiatrique prise sur le fondement de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique ou d'une décision qui en prononce le maintien, en application des dispositions de l'article L. 3213-4 du même code, il appartient à la juridiction administrative, saisie d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'apprécier, eu égard aux seules irrégularités dont elles seraient entachées, si ces décisions portent une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dont la violation est invoquée ;

Considérant que, pour rejeter la demande de M. A, présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 11 décembre 2009 ordonnant son hospitalisation d'office jusqu'au 11 janvier 2010, dont les effets ont été prorogés jusqu'au 11 avril 2010 par un arrêté du 7 janvier 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a estimé que, hormis le cas où l'atteinte à une liberté fondamentale autre que la liberté d'aller et venir était invoquée, il ne lui appartenait pas d'enjoindre à l'administration de mettre fin à l'hospitalisation d'office du requérant, dès lors que seul le juge judiciaire peut se prononcer sur le bien-fondé d'une telle mesure qui, par nature, est privative de la liberté d'aller et venir ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le juge des référés a, ce faisant, commis une erreur de droit ; que son ordonnance doit, pour ce motif, être annulée ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le signataire de l'arrêté du 11 décembre 2009 disposait d'une délégation de signature du préfet du Gard préalablement publiée et suffisamment précise ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique que l'arrêté du représentant de l'Etat dans le département prononçant l'hospitalisation d'office d'une personne doit être motivé, énoncer avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire et reposer sur un certificat médical circonstancié qui ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement accueillant le malade ; qu'eu égard à la motivation de l'arrêté du 11 décembre 2009 litigieux, qui se réfère à un certificat médical n'émanant pas d'un psychiatre exerçant dans l'établissement, le préfet du Gard n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévaut M. A au regard de ces dispositions ;

Considérant, en troisième lieu, qu'eu égard aux circonstances dans lesquelles l'arrêté du 11 décembre 2009 a été pris, le préfet du Gard n'a pas, en tout état de cause, manifestement méconnu les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations en s'abstenant de faire précéder cet arrêté d'une procédure contradictoire ;

Considérant, en quatrième et dernier lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il n'appartient pas au juge administratif de porter une appréciation sur la nécessité des mesures d'hospitalisation d'office ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la demande de M. A présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être rejetée, y compris les conclusions qu'il a présentées, devant le juge des référés du tribunal administratif, au titre de l'article L. 761-1 du même code et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes du 25 décembre 2009 est annulée.

Article 2 : La demande de M. A présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Charles A, au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et à la ministre de la santé et des sports.