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Conseil d’Etat, 2 juillet 2010, n°323890 (Responsabilité hospitalière – Faute – Victime – Réparation)

En l’espèce, en 1998, un étudiant en médecine de quatrième année a passé, dans le cadre de l'examen de médecine préventive, une radiographie pulmonaire qui met en évidence des opacités. Toutefois, il ne s'est pas vu prescrire d'examens complémentaires en vue du diagnostic de la tuberculose. Après avoir obtenu le poste de résident en médecine générale au sein d’un centre hospitalier universitaire (CHU), il a été déclaré indemne d'une affection tuberculeuse sans qu'aient été pratiqués les examens à l'issue de l'examen obligatoire d'aptitude physique à des fonctions hospitalières. En juin 2001, une maladie tuberculeuse atteignant l'ensemble du poumon droit lui a cependant été diagnostiquée. Par cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle que lorsqu’un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes, commises par des personnes différentes, la victime peut alors chercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une des personnes ou de celles-ci conjointement.

Conseil d'État
N° 323890
Section du Contentieux

Publié au recueil Lebon

M. Arrighi de Casanova, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
LE PRADO ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; SCP DIDIER, PINET, avocats

Lecture du vendredi 2 juillet 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 janvier et 3 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Nicolas A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 4 novembre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur l'appel formé par l'université de Bordeaux II, a annulé le jugement du 12 juin 2007 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux l'avait condamnée à verser une indemnité de 54 000 euros à M. A et la somme de 18 224,43 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde en réparation des conséquences dommageables de l'erreur de diagnostic commise en 1995 par les services de médecine préventive, et a rejeté les demandes indemnitaires de M. A et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'université de Bordeaux II ;

3°) de mettre à la charge de l'université de Bordeaux II la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 juin 2010, présentée pour le centre hospitalier universitaire de Bordeaux ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code du travail ;

Vu le décret n° 88-520 du 3 mai 1988 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A, de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l'université de Bordeaux II et de la SCP Didier, Pinet, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l'université de Bordeaux II et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde ;

Considérant que lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux ;

Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. A, alors étudiant en quatrième année de médecine, a subi le 30 mars 1995 à l'université de Bordeaux II l'examen de médecine préventive, prévu par le décret du 3 mai 1998 relatif aux services de la médecine préventive et de promotion de la santé, au cours duquel il a passé une radiographie pulmonaire mettant en évidence des opacités qui auraient dû, associées à la réaction qu'il avait manifestée aux injections de tuberculine, conduire à prescrire des examens complémentaires en vue du diagnostic de la tuberculose ; qu'accédant à un poste de résident en médecine générale au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, il a été déclaré, le 25 septembre 1998, à l'issue de l'examen obligatoire d'aptitude physique à des fonctions hospitalières, indemne d'une affection tuberculeuse sans qu'aient été pratiqués les examens, et notamment la radiographie pulmonaire obligatoire prescrite par les dispositions, alors en vigueur, de l'article R. 242-15 du code du travail applicables au personnel des établissements d'hospitalisation publics ; qu'en juin 2001 a été diagnostiquée une maladie tuberculeuse atteignant l'ensemble du poumon droit ;

Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que M. A ne pouvait pas rechercher la responsabilité de l'université de Bordeaux II du fait des conséquences dommageables de l'erreur de diagnostic commise le 30 mars 1995 par son service de médecine préventive, au motif que, si la tuberculose avait été diagnostiquée lors de l'examen pratiqué le 25 septembre 1998 au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et si un traitement approprié avait été mis en oeuvre, les chances de guérison et les conséquences de l'affection auraient été identiques ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'erreur de diagnostic commise par le service de médecine préventive de l'université, qui avait alors privé l'intéressé de la possibilité d'être informé de la maladie dont il était porteur et de la traiter, portait normalement en elle le dommage au moment où elle s'est produite, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que ce moyen, né de l'arrêt attaqué, est, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, de nature à entraîner l'annulation de cet arrêt ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'université de Bordeaux II le versement à M. A de la somme de 3 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde de la somme de 1 500 euros ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à l'université de Bordeaux II d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y pas lieu de mettre à la charge de l'université de Bordeaux II le versement au centre hospitalier de Bordeaux de la somme qu'il demande au même titre ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 4 novembre 2008 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : L'université de Bordeaux II versera à M. A la somme de 3 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi ainsi que les conclusions de l'université de Bordeaux II et du centre hospitalier universitaire de Bordeaux tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Nicolas A, à l'université de Bordeaux II, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde et au centre hospitalier universitaire de Bordeaux.