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Conseil d’Etat, 20 mars 2015, n°374582 (Code de déontologie des infirmiers – Conseil national de l’ordre des infirmiers (CNOI))

Le Conseil national de l’ordre des infirmiers demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du Premier ministre du 16 septembre 2013 rejetant sa demande tendant à ce qu'un décret soit pris en Conseil d'Etat afin d'édicter le code de déontologie des infirmiers. Le Conseil d’Etat fait droit à la demande du CNOI, annule la décision implicite du Premier ministre et enjoint à ce dernier de prendre un décret avant le 31 décembre 2015, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. En effet, « si le pouvoir réglementaire devait, ainsi qu'il a été dit, s'assurer de la légalité des règles élaborées par le conseil national, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'élaboration du décret se serait heurtée à des difficultés de nature à justifier que ce texte n'ait pas été pris au terme d'un tel délai ; que si le Premier ministre fait en outre valoir qu'en dépit de l'obligation résultant de la loi, les personnes exerçant la profession d'infirmier n'étaient pas, dans leur majorité, inscrites aux tableaux de l'ordre, une telle circonstance était sans incidence sur l'obligation de prendre le décret ; que le refus litigieux, intervenu après l'expiration du délai raisonnable qui était imparti au Gouvernement, est ainsi entaché d'illégalité ; qu'il doit, par suite, être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le conseil national de l'ordre ».

 

Conseil d'État

N° 374582   

5ème et 4ème sous-sections réunies

Mme Manon Perrière, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public

lecture du vendredi 20 mars 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 janvier, 19 juin et 15 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des infirmiers (CNOI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du Premier ministre du 16 septembre 2013 rejetant sa demande tendant à ce qu'un décret soit pris en Conseil d'Etat afin d'édicter le code de déontologie des infirmiers ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le CNOI soutient que la décision attaquée :
- est entachée d'incompétence négative, le Premier ministre faisant délibérément obstacle à l'application de dispositions législatives ;
- méconnaît l'obligation de prendre un décret dans un délai raisonnable qui découle du troisième alinéa de l'article L. 4312-1 du code de la santé publique et de l'article 21 de la Constitution ;
- crée une inégalité de traitement entre l'ordre national des infirmiers et les ordres des autres professions paramédicales ;
- est entachée d'un détournement de pouvoir, le refus de prendre un décret pour édicter le code de déontologie des infirmiers répondant à d'autres objectifs que celui que le pouvoir législatif a assigné au pouvoir exécutif ;
- porte atteinte aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime, dès lors que le projet définitif du code de déontologie a été adopté en mars 2010 ;
- ne peut être justifiée par l'existence de règles professionnelles applicables aux infirmiers résultant du décret du 16 février 1993, dès lors que celles-ci sont devenues insuffisantes et que le législateur a entendu que le code de déontologie des infirmiers soit élaboré par le conseil national de leur ordre professionnel.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2014, le ministre des affaires sociales et de la santé conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu'aucun des moyens dirigés contre la décision du 16 septembre 2013 n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 21 ;

- le code de la santé publique, notamment son article L. 4312-1 ;

- la loi n° 2006-1668 du 21 décembre 2006 ;

- le décret n° 93-221 du 16 février 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Manon Perrière, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le conseil national de l'ordre des infirmiers a, en application des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 4312-1 du code de la santé publique, élaboré un code de déontologie des infirmiers, qu'il a remis au ministre chargé de la santé le 10 mars 2010 ; que, le 10 juillet 2013, le conseil national a demandé au Premier ministre de prendre un décret afin d'édicter ce code ; qu'il demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté cette demande ;
 

Sur la légalité de la décision attaquée :

2. Considérant qu'en vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre assure l'exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire, sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par son article 13 ; que l'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle ;

3. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 4312-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2006 portant création d'un ordre national des infirmiers : " Le conseil national de l'ordre prépare un code de déontologie, édicté sous forme d'un décret en Conseil d'Etat. Ce code énonce notamment les devoirs des infirmiers dans leurs rapports avec les patients, les autres membres de la profession et les autres professionnels de santé " ; qu'aux termes du I de l'article L. 4312-7 du même code, issu de la même loi : " I.- Le conseil national de l'ordre remplit sur le plan national les missions définies à l'article L. 4312-2. Il élabore le code de déontologie. Il veille à l'observation, par tous les membres de l'ordre, des devoirs professionnels et des règles édictées par ce code. (...) " ;

4. Considérant que l'application de ces dispositions impose, d'une part, que le conseil national de l'ordre des infirmiers élabore un projet de code de déontologie et le soumette au pouvoir règlementaire et, d'autre part, que ce dernier, après s'être assuré de la légalité du projet préparé par le conseil national, édicte le code de déontologie en prenant un décret en Conseil d'Etat ; qu'ainsi, la circonstance qu'un décret du 16 février 1993, antérieur à la création de l'ordre national des infirmiers, a défini des règles professionnelles applicables aux infirmiers, aujourd'hui reprises aux articles R. 4312-1 et suivants du code de la santé publique, ne pouvait dispenser le Premier ministre d'édicter par décret en Conseil d'Etat, dans un délai raisonnable, le code préparé par le conseil national ;

5. Considérant que le refus implicite du Premier ministre de prendre le décret prévu au troisième alinéa de l'article L. 4312-1 du code de la santé publique dont le conseil national de l'ordre des infirmiers demande l'annulation est intervenu le 16 septembre 2013, soit plus de trois ans et demi après l'adoption par le conseil national d'un projet de code de déontologie ; que si le pouvoir réglementaire devait, ainsi qu'il a été dit, s'assurer de la légalité des règles élaborées par le conseil national, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'élaboration du décret se serait heurtée à des difficultés de nature à justifier que ce texte n'ait pas été pris au terme d'un tel délai ; que si le Premier ministre fait en outre valoir qu'en dépit de l'obligation résultant de la loi, les personnes exerçant la profession d'infirmier n'étaient pas, dans leur majorité, inscrites aux tableaux de l'ordre, une telle circonstance était sans incidence sur l'obligation de prendre le décret ; que le refus litigieux, intervenu après l'expiration du délai raisonnable qui était imparti au Gouvernement, est ainsi entaché d'illégalité ; qu'il doit, par suite, être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le conseil national de l'ordre ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

6. Considérant que l'annulation de la décision attaquée implique nécessairement que le Premier ministre édicte le projet de code en prenant le décret litigieux, après s'être assuré de la légalité des dispositions élaborées par le conseil national de l'ordre des infirmiers ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de lui enjoindre de prendre ce décret avant le 31 décembre 2015, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au titre de ces dispositions, le versement d'une somme de 3 000 euros au conseil national de l'ordre des infirmiers ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite du Premier ministre de prendre le décret mentionné au troisième alinéa de l'article L. 4312-1 du code de la santé publique est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre ce décret avant le 31 décembre 2015, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Article 3 : L'Etat versera au conseil national de l'ordre des infirmiers une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au conseil national de l'ordre des infirmiers, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.