Les dispositions de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 (relatives aux préjudices des enfants nés handicapés) en ce qu'elles s'appliquent aux instances en cours sous la seule réserve qu'elles n'aient pas donné lieu à une décision statuant irrévocablement sur le principe de l'indemnisation, sont incompatibles avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. |
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er octobre 2002 et 3 février 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Catherine X et M. Jacques X, agissant en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs, demeurant ... ; M. et Mme X demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 28 juin 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur requête tendant : 1) à l'annulation du jugement du 3 février 1999 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande des intéressés tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Brest à réparer les conséquences dommageables des fautes commises à l'occasion de l'examen d'amniocentèse subi par Mme X dans cet établissement ; 2) au paiement d'une somme de 300 000 F à titre de provision à raison du préjudice consécutif aux conséquences dommageables résultant du handicap dont s'est trouvée porteuse leur fille Eva ; 3) à la condamnation du centre hospitalier au paiement d'une somme de 320 000 F en réparation de leur préjudice moral ; 4) au paiement d'une somme de 25 000 F sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) statuant au fond, de condamner le centre hospitalier à réparer le préjudice résultant des charges particulières découlant du handicap de leur fille Eva ainsi que leur préjudice moral ;
3°) de condamner le centre hospitalier à leur verser une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;
Vu le décret n° 88-280 du 24 mars 1988 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Sanson, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Blondel, avocat de Mme X et de M. X et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Brest,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé aujourd'hui codifié à l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : I. Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ; qu'en vertu du même article, ces dispositions, entrées en vigueur dans les conditions du droit commun à la suite de la publication de la loi au Journal officiel de la République française du 5 mars 2002, sont applicables aux instances en cours à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation ; que la cour administrative d'appel de Nantes, statuant le 28 juin 2002 sur la requête dont elle avait été saisie par M. et Mme X tendant à l'annulation du jugement du 3 février 1999 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier Universitaire de Brest à réparer les conséquences dommageables résultant du handicap, non décelé pendant la grossesse de Mme X, dont s'est trouvée porteuse à sa naissance le 23 septembre 1992 leur fille Eva, n'a pas fait application au litige dont elle était saisie des dispositions de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 ; que la cour, faute de s'être expliquée sur les motifs l'ayant conduit à écarter l'application des dispositions de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 à une instance en cours, n'a pas légalement motivé son arrêt ; que celui-ci doit par suite être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Sur l'application des dispositions de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ;
Considérant que les parents d'un enfant né avec un handicap non décelé au cours de la grossesse pouvaient, avant l'entrée en vigueur de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, obtenir de la personne publique responsable de la faute réparation du préjudice correspondant aux charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, du handicap de ce dernier ;
Considérant que, si selon l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de sa vie, en subordonnant l'engagement de la responsabilité de l'auteur de la faute à une faute caractérisée et en instituant un mécanisme de compensation forfaitaire des charges découlant du handicap ne répondant pas à l'obligation de réparation intégrale, a porté une atteinte disproportionnée aux créances en réparation que les parents d'un enfant né porteur d'un handicap non décelé avant sa naissance par suite d'une faute pouvaient légitimement espérer détenir sur la personne responsable avant l'entrée en vigueur de cette loi ; que dès lors les dispositions de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002, en ce qu'elles s'appliquent aux instances en cours sous la seule réserve qu'elles n'aient pas donné lieu à une décision statuant irrévocablement sur le principe de l'indemnisation, sont incompatibles avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il suit de là que les règles édictées par la loi nouvelle restrictives du droit de créance dont se prévalaient M. et Mme X ne pouvaient recevoir application à l'instance engagée par eux pour obtenir réparation des conséquences dommageables résultant de la naissance le 23 septembre 1992 de leur fille Eva porteuse d'un handicap non décelé par le centre hospitalier universitaire de Brest pendant la grossesse de Mme X ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Brest :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le prélèvement de liquide amniotique réalisé sur Mme X au centre hospitalier universitaire de Brest ne révélait pas d'anomalie décelable en l'état des connaissances scientifiques ; qu'aucune faute n'a ainsi été commise dans la réalisation de l'examen et dans l'interprétation de ses résultats ;
Considérant que, si le praticien qui a réalisé l'examen n'avait pas, à la date de celui-ci, l'agrément requis pour ce type d'examen, il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertises qu'il avait reçu une formation dans le domaine du diagnostic prénatal sur liquide amniotique, qu'il possédait les qualifications requises et qu'il a d'ailleurs ultérieurement été agréé au départ de son chef de service ; que, dans ces circonstances, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'examen aurait été réalisé dans des conditions révélant une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à pouvoir engager la responsabilité de celui-ci ;
Considérant que, si les relations entre le praticien qui a réalisé l'examen et son chef de service étaient conflictuelles, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance ait eu, en l'espèce, une incidence directe sur la qualité des examens réalisés ;
Considérant, enfin, qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'examen a été réalisé dans des conditions affectant ses résultats d'une marge d'erreur inhabituelle justifiant que M. et Mme X en fussent informés et fussent ainsi incités à procéder à des examens complémentaires ; qu'ainsi, le centre hospitalier n'a pas commis de faute en s'abstenant de leur donner une telle information ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme X ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement en date du 3 février 1999, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la réparation du préjudice subi par leur enfant et par eux-mêmes ;
Sur les conclusions de M. et Mme X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Brest, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. et Mme X demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 28 juin 2002 est annulé.
Article 2 : La requête d'appel présentée par M. et Mme X devant la cour administrative d'appel de Nantes et le surplus des conclusions de leur requête devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Catherine X, à M. Jacques X, au centre hospitalier universitaire de Brest, à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère Sud et au ministre de la santé et des solidarités.