Suite à une luxation d'une prothèse du genou posée en 2000 au sein d'un centre hospitalier universitaire, M. X. a dû subir une intervention chirurgicale de reprise. Un an plus tard, il a fallu procéder au remplacement de la prothèse. M. X. invoque la défectuosité de cette dernière, et exerce un recours indemnitaire à l'encontre de l'établissement. Ses demandes sont rejetées successivement en première instance, puis en appel, au motif que "M. X. , qui avait connaissance de l'identité du producteur de la prothèse défectueuse contre lequel il lui appartenait de diriger son action, ne pouvait rechercher la responsabilité du centre hospitalier". Le Conseil d'Etat rappelle "qu'il résulte de l'interprétation [...] donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que la directive du 25 juillet 1985 ne fait pas obstacle à l'application du principe selon lequel, sans préjudice des actions susceptibles d'être exercées à l'encontre du producteur, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise ; que ce principe trouve à s'appliquer lorsque le service public hospitalier implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient". La Cour administrative d'appel a donc commis une erreur de droit. A l'inverse, la Cour de Cassation avait déduit de l’arrêt de la CJUE du 21 décembre 2011 que la responsabilité des prestataires de services de soins ne pouvait plus être recherchée qu’en cas de faute (Cour de Cassation, 1ère civ., 12 juillet 2012, n° 11-17510). |
Conseil d'État
N° 339922
Section du Contentieux
Mme Domitille Duval-Arnould, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; LE PRADO, avocats
lecture du jeudi 25 juillet 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mai et 23 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. X., demeurant ...; M. X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 06LY01195 du 23 mars 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 030846 du 7 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Y. à lui verser une somme de 13 502 euros en réparation des préjudices résultant de la défectuosité de la prothèse totale du genou mise en place par une intervention du 25 janvier 2000 ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Y. la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, modifiée, relative au rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité des produits défectueux ;
Vu l'arrêt n° C-495/10 du 21 décembre 2011 rendu par la Cour de justice de l'Union européenne ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. X., à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Y. et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Groupe Lépine ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la luxation d'une prothèse du genou posée le 25 janvier 2000 au centre hospitalier universitaire de Y., M. X. a dû subir, le 27 avril 2000, une intervention chirurgicale de reprise et qu'il a fallu procéder le 8 février 2001 au remplacement de la prothèse ; qu'invoquant une défectuosité de celle-ci, l'intéressé a exercé à l'encontre du centre hospitalier universitaire de Y. un recours indemnitaire que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté par un jugement du 7 avril 2006 ; qu'il se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 mars 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel contre ce jugement ;
2. Considérant que, dans un arrêt du 21 décembre 2011 par lequel elle s'est prononcée sur une question dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que " la responsabilité d'un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d'une prestation de services telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n'est pas le producteur au sens des dispositions de l'article 3 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, et cause, de ce fait, des dommages au bénéficiaire de la prestation ne relève pas du champ d'application de cette directive " et que " cette dernière ne s'oppose dès lors pas à ce qu'un État membre institue un régime, tel que celui en cause au principal, prévoyant la responsabilité d'un tel prestataire à l'égard des dommages ainsi occasionnés, même en l'absence de toute faute imputable à celui-ci, à condition, toutefois, que soit préservée la faculté pour la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que la directive du 25 juillet 1985 ne fait pas obstacle à l'application du principe selon lequel, sans préjudice des actions susceptibles d'être exercées à l'encontre du producteur, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise ; que ce principe trouve à s'appliquer lorsque le service public hospitalier implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient ;
4. Considérant, par suite, qu'en faisant application de la directive pour juger que M. X. , qui avait connaissance de l'identité du producteur de la prothèse défectueuse contre lequel il lui appartenait de diriger son action, ne pouvait rechercher la responsabilité du centre hospitalier de Y., la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit dès lors être annulé ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Y., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. X. et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que la somme demandée par la société Groupe Lépine soit mise à la charge du requérant, qui n'est pas la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 mars 2010 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Le centre hospitalier de Y. versera à M. X. une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Groupe Lépine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. X., au centre hospitalier universitaire de Y., à la caisse primaire d'assurance maladie de Savoie et à la société Groupe Lépine.