Par cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. En l’espèce, lors d’une intervention réalisée au sein d’un centre hospitalier, un chirurgien n’a pas protégé la suture digestive effectuée par une iléostomie temporaire. Les juges du fond ont considéré que cette abstention a constitué une imprudence fautive et que cette faute a fait perdre au patient une chance de minimiser les conséquences de la fistule digestive apparue par la suite et d'éviter de subir ultérieurement une iléostomie définitive. La cour administrative d’appel a alors condamné le centre hospitalier à réparer l’entier dommage corporel. Or, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel pour erreur de droit en réaffirmant que la réparation qui incombe à l'établissement public hospitalier doit être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
Conseil d'État
N° 313231
Inédit au recueil Lebon
5ème sous-section jugeant seule
Mme Hubac, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
M. Thiellay Jean-Philippe, commissaire du gouvernement
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP CHOUCROY, GADIOU, CHEVALLIER, avocats
lecture du mercredi 25 mars 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu,
1°) sous le n° 313231, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 15 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES, dont le siège est 177, rue de Versailles à Le Chesnay Cedex (78157) ; le CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 13 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a condamné le centre hospitalier de Versailles à verser à M. A la somme de 100 000 euros au titre de l'indemnisation des préjudices subis lors de l'intervention chirurgicale pratiquée le 30 octobre 2000 et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-de-Haute-Provence la somme de 88 541,73 euros et, enfin, a rejeté les conclusions de l'appel incident du centre hospitalier ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. A ;
3°) de mettre à la charge de M. A la somme de 2 300 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu,
2°) sous le n° 315158, la requête, enregistrée le 15 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES, dont le siège est 177 rue de Versailles à Le Chesnay Cedex (78157) ; le CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES demande au Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de l'arrêt du 13 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a condamné le centre hospitalier de Versailles à verser à M. A la somme de 100 000 euros au titre de l'indemnisation des préjudices subis lors de l'intervention chirurgicale pratiquée le 30 octobre et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-de-Haute-Provence la somme de 88 541,73 euros et, enfin, a rejeté les conclusions de l'appel incident du centre hospitalier ;
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES, de Me Blanc, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence et de la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de M. Jean-François A,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES, à Me Blanc, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence et à la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de M. Jean-François A
Considérant que les pourvois n° 313231 et 315158 sont dirigés contre le même arrêt ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que lors de l'intervention réalisée le 30 octobre 2000 au CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES, le chirurgien qui a opéré M. A n'a pas protégé la suture digestive effectuée par une iléostomie temporaire ; que la cour administrative d'appel de Versailles a jugé que cette abstention a constitué une imprudence fautive et que cette faute a fait perdre à M. A une chance de minimiser les conséquences de la fistule digestive apparue par la suite et d'éviter de subir ultérieurement une iléostomie définitive ; que, par suite, la réparation qui incombe à l'établissement public hospitalier doit être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; que, dès lors, en mettant à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES la réparation de l'entier dommage corporel subi par M. A, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit ; que son arrêt du 13 décembre 2007 doit, pour ce motif, être annulé ;
Sur les conclusions tendant au sursis à exécution de la décision attaquée :
Considérant que, par la présente décision, il est statué sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué ; qu'ainsi, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant au sursis à exécution de cet arrêt ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-de-Haute-Provence d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 13 décembre 2007 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi présenté par le CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES sous le n° 313231 est rejeté.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi présenté par le CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES sous le n° 315518.
Article 5 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance-maladie des Alpes de Haute-Provence au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER DE VERSAILLES, à M. Jean-François A et à la caisse primaire d'assurance-maladie des Alpes de Haute-Provence.
Copie en sera adressée au président de la cour administrative d'appel de Versailles.