L'association des médecins urgentistes de France, M.X, le syndicat national des magistrats force ouvrière ainsi que le conseil national de l'ordre des médecins demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les circulaires des 27 et 28 décembre 2010 relatives à la mise en œuvre de la réforme de la médecine légale. Le Conseil d'Etat rejette ces requêtes et considère notamment que les circulaires attaquées se bornent à définir les conditions d'organisation et de fonctionnement de la médecine légale et ne portent donc pas atteinte à l'indépendance des magistrats, ne remettent pas en cause ni la liberté de choisir toute personne qualifiée, ni aucune exigence de choix direct et personnel, lequel peut donner lieu à une réquisition adressée à une personne morale aussi bien qu'à une personne physique.
Conseil d'État
N° 347093
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Michel Thenault, rapporteur
M. Xavier De Lesquen, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats
lecture du mercredi 26 décembre 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°, sous le n° 347093, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 26 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Association des médecins urgentistes de France, dont le siège est 14 rue Vésale à Paris (75005) et M. X, demeurant (...) ; l'Association des médecins urgentistes de France et M. X demandent au Conseil d'Etat :
1) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire NOR: JUSD1033764C du 28 décembre 2010, relative à la mise en oeuvre de la réforme de la médecine légale ;
2) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative ;
Vu 2°, sous le n° 347125, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er mars et 27 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le Syndicat national des magistrats Force ouvrière, dont le siège est 46 rue des Petites Ecuries à Paris (75010) ; le Syndicat national des magistrats Force ouvrière demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire NOR: JUSD1033099C du 27 décembre 2010 relative à la mise en oeuvre de la réforme de la médecine légale ;
Vu 3°, sous le n° 347168, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 mars et 30 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le Syndicat national des magistrats Force ouvrière ; le Syndicat national des magistrats Force ouvrière demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 28 décembre 2010 relative à la mise en oeuvre de la réforme de la médecine légale ;
Vu 4°, sous le n° 350149 la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juin et 21 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le Conseil national de l'ordre des médecins, dont le siège est 180 boulevard Haussmann à Paris Cedex 08 (75389) ; le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :
1) d'annuler pour excès de pouvoir les circulaires des 27 et 28 décembre 2010 relatives à la mise en oeuvre de la réforme de la médecine légale ainsi que la décision du 14 avril 2011 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté son recours gracieux dirigé contre ainsi que ces deux circulaires ;
2) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 34;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale
Vu le code de la santé publique ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986;
Vu le décret n° 94-1210 ;
Vu le décret n°2008-689 du 9 juillet 2008 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Michel Thenault, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Association des medecins urgentistes de France et de M. X et de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil national de l'Ordre des médecins,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Association des medecins urgentistes de France et de M. A et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil National de l'Ordre des médecins ;
1. Considérant que les requêtes de l'Association des médecins urgentistes de France, de M. X, du Syndicat national des magistrats Force ouvrière et du Conseil national de l'Ordre des médecins sont dirigées contre la circulaire interministérielle du 27 décembre 2010, la circulaire du garde des sceaux du 28 décembre 2010 et la décision de ce dernier du 14 avril 2011 refusant de retirer ces circulaires ; qu'il y a lieu de joindre les quatre requêtes pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant que les circulaires attaquées définissent un schéma directeur qui prévoit la création d'un maillage, couvrant la totalité du territoire national, composé, en premier lieu, de structures hospitalières régionales dédiées aux activités de médecine thanatologique et du vivant, correspondant aux instituts médico-légaux désignés comme " centres pivots ", auxquels sont adressées toutes les réquisitions relatives aux autopsies, en deuxième lieu, d'unités médico-judiciaires hospitalières de niveau départemental dédiées à la médecine légale du vivant, et, enfin, d'un " réseau de proximité ", qui comprend les services des urgences hospitalières, des médecins libéraux ainsi que des associations de médecins ; qu'elles prévoient que chacune des structures hospitalières dédiées à la médecine légale est rattachée à une ou plusieurs juridictions selon une répartition qu'elles établissent ; qu'elles prescrivent aux officiers de police judiciaire et aux magistrats des parquets de ces juridictions d'adresser leurs réquisitions au représentant légal de l'établissement public de santé qui leur est ainsi rattaché, à charge pour celui-ci de désigner le médecin relevant de l'établissement qui sera chargé d'exécuter l'acte prévu par la réquisition ; que le concours du " réseau de proximité " peut également être requis en dehors des horaires et jours d'ouverture de ces structures, ainsi qu'à titre dérogatoire, lorsque des circonstances particulières le justifient ; qu'en outre, les circulaires attaquées prévoient que les officiers de police judiciaire et les magistrats des parquets des juridictions qui ne sont rattachées à aucune structure hospitalière dédiée à la médecine légale du vivant s'adressent au " réseau de proximité " ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 60 du code de procédure pénale, : " S'il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, l'officier de police judiciaire a recours à toutes personnes qualifiées. / Sauf si elles sont inscrites sur une des listes prévues à l'article 157, les personnes ainsi appelées prêtent, par écrit, serment d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience " ; qu'aux termes de l'article 74 du même code : " En cas de découverte d'un cadavre, qu'il s'agisse ou non d'une mort violente, mais si la cause en est inconnue ou suspecte, l'officier de police judiciaire qui en est avisé informe immédiatement le procureur de la République, se transporte sans délai sur les lieux et procède aux premières constatations/(...)/ Sur instructions du procureur de la République, une enquête aux fins de recherche des causes de la mort est ouverte. Dans ce cadre et à ces fins, il peut être procédé aux actes prévus par les articles 56 à 62, dans les conditions prévues par ces dispositions. A l'issue d'un délai de huit jours à compter des instructions de ce magistrat, ces investigations peuvent se poursuivre dans les formes de l'enquête préliminaire " ; qu'aux termes de l'article 77-1, relatif aux enquêtes préliminaires : " S'il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l'officier de police judiciaire, a recours à toutes personnes qualifiées que les circulaires attaquées. /Les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 60 sont applicable " ;. qu'aux termes, enfin, de l'article 157 : " Les experts sont choisis parmi les personnes physiques ou morales qui figurent sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou sur une des listes dressées par les cours d'appel (...) " ; que les circulaires attaquées, qui ont pour seul objet d'organiser, à l'échelle nationale, un cadre regroupant l'ensemble des structures intervenant dans le domaine de la médecine légale et de prévoir les modalités fonctionnelles selon lesquelles les réquisitions judiciaires doivent être effectuées, ne remettent en cause ni la liberté de choisir " toute personne qualifiée ", prévue par les dispositions précités du code de procédure pénale, ni aucune exigence de choix direct et personnel, lequel peut donner lieu, en application des dispositions précitées, à une réquisition adressée à une personne morale aussi bien qu'à une personne physique ; qu'elles n'ont ni pour objet et ni pour effet de dispenser les personnes requises qui ne seraient pas inscrites sur une des listes prévues à l'article 157 du code de procédure pénale ou ne relèveraient pas d'une structure inscrite de prêter serment ; qu'elles ne sauraient dès lors être regardées ni comme ajoutant aux règles précitées des règles nouvelles de procédure pénale relevant, en vertu de l'article 34 de la Constitution , de la seule compétence du législateur ni comme des mesures réglementaires prises pour l'application de ces règles, relevant du pouvoir règlementaire du Premier ministre; que, même en l'absence d'un texte législatif ou réglementaire les y habilitant expressément, les ministres auteurs des circulaires attaquées avaient, en leur qualité de chef de service, le pouvoir de déterminer, dans les conditions exposées au point 2, l'organisation du cadre et les conditions de fonctionnement de la médecine légale ; qu'ainsi les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'ils auraient été incompétents pour prendre les dispositions contestées des circulaires attaquées ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu, aucun texte ni aucun principe n'exigeaient la consultation préalable du Haut conseil de la santé publique, de la Conférence nationale de santé, du Comité national d'éthique, du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière ni du Conseil supérieur de la médecine légale ; que la circulaire du 27 décembre 2010, qui a été prise par les ministres chargés de la justice, de l'intérieur et de la santé ne comporte aucune disposition qui aurait exigé qu'elle soit prise aussi par le ministre chargé du budget ; que, par ailleurs, il entrait dans les compétences de la directrice des affaires criminelles et des grâces et de la directrice des services judiciaires de signer les circulaires attaquées au nom du ministre de la justice, en vertu du décret du 9 juillet 2008 relatif à l'organisation du ministère de la justice ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les circulaires attaquées ne méconnaissent ni la liberté de choix qui résulte des dispositions du premier alinéa de l'article 60 du code de procédure pénale, ni aucune exigence de choix direct et personnel ; qu'elles ne sont pas davantage contraires aux dispositions du second alinéa du même article ; qu'enfin, elles ne sauraient être regardées, dès lors que, ainsi qu'il a été dit, elles se bornent à définir les conditions d'organisation et de fonctionnement de la médecine légale, comme portant atteinte à l'indépendance des magistrats ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que, dès lors que les sanctions prévues aux articles R. 642-1 du code pénal et L. 4163-7 du code de la santé publique sont susceptibles d'être infligées, en cas d'inexécution des réquisitions judiciaires, aux personnes morales, les circulaires attaquées n'instituent, contrairement à ce qui est soutenu, aucune discrimination illégale entre les praticiens et les établissements publics de santé ;
7. Considérant, en cinquième lieu, que les moyens tirés de ce que les circulaires attaquées méconnaîtraient les principes du secret médical et du secret de l'enquête et seraient contraires aux dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, qui posent le principe de l'indépendance des médecins salariés à l'égard de leur établissement de rattachement, ne sont pas assortis de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
8. Considérant, en sixième et dernier lieu, qu'il ne saurait être utilement soutenu que les circulaires attaquées méconnaîtraient les articles 230-28 à 230-31 du code de procédure pénale qui sont issus de la loi du 17 mai 2011, intervenue postérieurement à leur édiction ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Association des médecins urgentistes de France, M. X, le Syndicat national des magistrats Force ouvrière et le Conseil national de l'Ordre des médecins ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions attaquées; que leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de l'Association des médecins urgentistes de France, de M. X, du Syndicat national des magistrats Force ouvrière et du Conseil national de l'ordre des médecins sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association des médecins urgentistes de France, à M. X, au Syndicat national des magistrats Force ouvrière, au Conseil national de l'Ordre des médecins, à la ministre de la justice, au ministre de l'intérieur et à la ministre de la santé.