Par cette décision, le Conseil d’Etat relève que le contrat de travail et le bulletin de salaire d’un agent public sont des documents administratifs librement communicables à toute personne qui en fait la demande, en application des dispositions de la loi du 17 juillet 1978, sous réserve que soient occultées, préalablement à la communication, toutes les mentions qui porteraient atteinte à la protection de la vie privée ou comporteraient une appréciation ou un jugement sur la valeur de l’agent public en cause. Ainsi, « lorsque la rémunération qui figure dans le contrat de travail et sur le bulletin de salaire résulte de l’application des règles régissant l’emploi concerné, sa communication n’est pas susceptible de révéler une appréciation ou un jugement de valeur sur la personne recrutée au sens des dispositions du II de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978. En revanche, lorsqu’elle est arrêtée d’un commun accord entre les parties sans référence à des règles la déterminant, elle révèle nécessairement une appréciation et un jugement de valeur portés sur cette personne ». Ainsi, la Haute juridiction administrative estime dans ce cas que le contrat de travail peut être communiqué après occultation des éléments relatifs à la rémunération, alors que la communication du bulletin de salaire ne peut être réalisée au motif que l’occultation de ces éléments rend cette transmission vide de sens. |
Conseil d'État
N° 342339
10ème / 9ème SSR
M. Thierry Carriol, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
FOUSSARD ; SCP VINCENT, OHL, avocats
lecture du lundi 26 mai 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi, enregistré le 10 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la communauté d'agglomération X. , représentée par son président ; la communauté d'agglomération demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement n° 0902117 du 15 juin 2010 par lequel le tribunal administratif de Pau, faisant droit à la demande de M. Y. , a annulé la décision implicite de refus "persistant" de communication du contrat de travail et des fiches de paye des mois de mars à juin 2009 de M. Z., chargé de mission auprès du président de la communauté d'agglomération X. ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de M. Y. ;
3°) de mettre à la charge de M. Y. la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thierry Carriol, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Vincent, Ohl, avocat de la Communauté d'agglomération X. et à Me Foussard, avocat de M. Y. ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. Y. a sollicité, sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, la communication des contrats de travail ou documents en tenant lieu, avec les annexes et avenants éventuels, ainsi que les fiches de paie pour les mois de mars à juin 2009 d'un agent contractuel recruté pour occuper l'emploi de chargé de mission auprès du président de la communauté d'agglomération X. ; que, s'étant heurté à un refus implicite en dépit de l'avis favorable émis par la commission d'accès aux documents administratifs, M. Y. a saisi le tribunal administratif de Pau qui, par le jugement attaqué, a annulé cette décision de refus ;
Sur les conclusions à fin de non-lieu présentées par M. Y. :
2. Considérant que si la communauté d’agglomération X. a communiqué ces documents à M. Y. en exécution du jugement du tribunal administratif de Pau, ainsi qu'elle y était tenue, cette circonstance ne rend pas sans objet son pourvoi ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Considérant, en premier lieu, que s'agissant d'un mémoire produit après la clôture de l'instruction, le juge administratif n'est tenu de rouvrir l'instruction pour le prendre en compte, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ; qu'en l'espèce, le mémoire produit par M. Y. le 19 mars 2010 ne contenait l'exposé d'aucune circonstance de fait ou de droit nouvelle ; que dès lors, le tribunal administratif n'a pas commis d'irrégularité en statuant sans rouvrir l'instruction après avoir visé ce mémoire sans l'analyser ;
4. Considérant, en second lieu, que si la communauté d’agglomération X. soutient que le jugement rendu a omis de prendre en compte les circonstances et les motifs de la demande formulée par M.Y. , le tribunal administratif a pu, dès lors que ceux-ci étaient, en l'espèce, sans incidence sur la solution du litige, s'abstenir de les mentionner sans entacher son jugement d'insuffisance de motivation ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Considérant, en premier lieu, qu'en regardant la demande formulée devant de lui par M. Y. comme " demandant l'annulation de la décision implicite de refus "persistant" de communication née le 14 octobre 2009 du silence gardé par le président de la communauté d’agglomération X. ", le tribunal administratif n'a pas dénaturé les conclusions présentées par le requérant ; qu'il n'a pas non plus dénaturé les faits et pièces du dossier en jugeant recevable la requête déposée devant lui dès lors que M. Y. avait saisi en son nom propre la communauté d’agglomération X. de sa demande ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978 : " Sont considérés comme documents administratifs, (...), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. (...) ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 2 de la même loi : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les autorités mentionnées à l'article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre. " ; qu'aux termes de son article 6 dans sa rédaction applicable à la décision attaquée : " (...) II.- Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs :/ -dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (...) / -portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable (...) / III.- Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du présent article mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions " ;
7. Considérant que le contrat de travail et le bulletin de salaire d'un agent public sont des documents administratifs librement communicables à toute personne qui en fait la demande en application des dispositions de la loi du 17 juillet 1978, sous réserve que soient occultées, préalablement à la communication, toutes les mentions qui porteraient atteinte à la protection de la vie privée ou comporteraient une appréciation ou un jugement sur la valeur de l'agent public en cause ; que lorsque la rémunération qui figure dans le contrat de travail et sur le bulletin de salaire résulte de l'application des règles régissant l'emploi concerné, sa communication n'est pas susceptible de révéler une appréciation ou un jugement de valeur, au sens des dispositions du II de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978, sur la personne recrutée ; qu'en revanche, lorsqu'elle est arrêtée d'un commun accord entre les parties sans référence à des règles la déterminant, elle révèle nécessairement une appréciation et un jugement de valeur portés sur cette personne ; que, dans ce cas, le contrat de travail peut être communiqué après occultation des éléments relatifs à la rémunération, tandis que la communication du bulletin de salaire, qui serait privée de toute portée sans la rémunération, ne peut être opérée ;
8. Considérant qu'en jugeant que le président de la communauté d’agglomération X. n'avait pu légalement refuser de communiquer les documents demandés par M. Y. au motif qu'ils contiendraient des informations relatives à la vie privée de M. Z, c'est-à-dire, dans le contexte de la demande qui lui était soumise, comportaient un jugement de valeur ou une appréciation, sans que le président de la communauté d’agglomération X. établît, ni même alléguât que leur occultation serait impossible, et alors en outre que son jugement n'impliquait pas la communication des documents demandés, mais seulement un nouvel examen de la demande afin de déterminer si les motifs d'un éventuel refus pouvaient néanmoins fonder une communication partielle de tout ou partie des documents, le tribunal administratif de Pau n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la communauté d’agglomération X. n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ; qu'il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'avocat de M. Y. au titre de dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de la communauté d'agglomération X. est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de M. Y. présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au président de la communauté d'agglomération X. et à Monsieur Y. .