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Conseil d’Etat, 27 janvier 2010, n°313568 (Transplantation cardiaque – Contamination hépatite C – Responsabilité pour faute – Non application des dispositions applicables aux produits de santé défectueux)

A l’occasion d’une transplantation cardiaque réalisée aux Hospices Civils de Lyon, une patiente a été contaminée par le virus de l’hépatite C dont était porteur le donneur d’organe, qui avait été prélevé au CHU de Besançon. Elle recherche la responsabilité de ces deux établissements, ainsi que celle de l’établissement français des greffes. Cet arrêt rappelle qu’en cas de contamination du bénéficiaire d’une greffe par un agent pathogène dont le donneur était porteur, la responsabilité du ou des hôpitaux qui ont prélevé l’organe et procédé à la transplantation n’est susceptible d’être engagée que s’ils ont manqué aux obligations qui leur incombaient afin d’éviter un tel accident. Le Conseil d’état n’applique pas dans cet arrêt les dispositions applicables aux produits de santé, qui relèvent d’un régime de responsabilité sans faute en cas de défectuosité. Les organes du corps humain ne peuvent donc être assimilés à des produits de santé, contrairement à ce que laissait entendre la Cour administrative d’appel de Lyon en 2007.

Conseil d’État

N° 313568

Publié au recueil Lebon

5ème et 4ème sous-sections réunies

M. Arrighi de Casanova, président

M. Xavier de Lesquen, rapporteur

LE PRADO ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD, avocat(s)

lecture du mercredi 27 janvier 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, 1°) sous le n° 313568, le pourvoi et les mémoires complémentaires, enregistrés les 20 février, 20 mai et 5 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour les HOSPICES CIVILS DE LYON, dont le siège est 3 quai des Célestins à Lyon (69002) ; les HOSPICES CIVILS DE LYON demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 20 décembre 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon, réformant les jugements du 28 mai 2003 et du 10 janvier 2006 du tribunal administratif de Lyon, a condamné solidairement les Hospices civils de Lyon et le centre hospitalier universitaire de Besançon à verser à Mme Denise A une indemnité de 63 924,64 euros en réparation des préjudices qu’elle a subis à la suite de sa contamination par le virus de l’hépatite C et a mis à leur charge solidaire les frais d’expertise ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel de Mme A ;

Vu, 2°) sous le n° 313712, le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 février et 26 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON, dont le siège est 2 place Saint-Jacques à Besançon (25030) ; le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le même arrêt du 20 décembre 2007 de la cour administrative d’appel de Lyon ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel de Mme A ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la directive / 85/ 374 / CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Le Prado, avocat des HOSPICES CIVILS DE LYON et du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON, de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l’Agence de biomédecine venant aux droits de l’Etablissement français des greffes et de la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de Mme A ;

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat des HOSPICES CIVILS DE LYON, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l’Agence de biomédecine venant aux droits de l’Etablissement français des greffes et à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de Mme A ;

Considérant qu’à la suite d’une transplantation cardiaque pratiquée le 20 octobre 1997 à l’hôpital cardiologique de Lyon, qui dépend des HOSPICES CIVILS DE LYON, Mme A a été contaminée par le virus de l’hépatite C dont était porteur le donneur de l’organe précédemment prélevé par le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON ; que les HOSPICES CIVILS DE LYON et le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 20 décembre 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon les a condamnés solidairement à réparer les conséquences de cette contamination et a dégagé la responsabilité de l’Agence de la biomédecine, venue aux droits de l’Etablissement français des greffes ; qu’il y a lieu de joindre leurs pourvois, pour statuer par une seule décision ;

Sur la responsabilité des HOSPICES CIVILS DE LYON :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens présentés par les HOSPICES CIVILS DE LYON ;

Considérant qu’en cas de contamination du bénéficiaire d’une greffe par un agent pathogène dont le donneur était porteur, la responsabilité du ou des hôpitaux qui ont prélevé l’organe et procédé à la transplantation n’est susceptible d’être engagée que s’ils ont manqué aux obligations qui leur incombaient afin d’éviter un tel accident ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit en jugeant que la responsabilité des HOSPICES CIVILS DE LYON était engagée sans faute en raison des dommages subis par Mme A du fait de sa contamination ; que les HOSPICES CIVILS DE LYON sont, dès lors, fondés à demander que l’arrêt attaqué soit annulé, en tant qu’il les déclare solidairement responsables de ces dommages ;

Considérant qu’il y a lieu, par application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond en ce qui concerne la responsabilité des HOSPICES CIVILS DE LYON ;

Considérant qu’aux termes du I de l’article R. 665-80-3 du code de la santé publique, en vigueur à la date de la transplantation subie par Mme A : Si aucune contre-indication n’est décelée, la sélection clinique réalisée en application de l’article R. 665-80-2 est complétée avant tout prélèvement d’éléments ou toute collecte de produits du corps humain à des fins thérapeutiques par l’exécution des analyses de biologie médicale destinées à faire le diagnostic des maladies infectieuses transmissibles suivantes : / 1° L’infection par les virus de l’immuno-déficience humaine VIH 1 et VIH 2 ; / 2° L’infection à virus HTLV I ; / 3° L’infection par le virus de l’hépatite B ; / 4° L’infection par le virus de l’hépatite C ; / 5° La syphilis ; qu’en vertu de l’article R. 665-80-7 du même code, alors en vigueur : Pour être utilisé à des fins thérapeutiques, tout élément ou produit du corps humain prélevé ou collecté doit être accompagné d’un document comportant un compte rendu d’analyses signé par le responsable des analyses de biologie médicale pratiquées mentionnant les résultats individuels de ces analyses conformément aux articles R. 665-80-3 et R. 665-80-4... Le médecin utilisateur est tenu de prendre connaissance de ce document ; qu’enfin, en vertu du I de l’article R. 665-80-8 du même code, alors en vigueur : Lorsque le résultat d’une des analyses de biologie médicale mentionnées à l’article R. 665-80-3 a fait ressortir un risque de transmission d’infection, la transplantation d’organe, la greffe de moelle osseuse, de tissu ou de cellule ou l’utilisation à des fins thérapeutiques de produits issus du donneur concerné est interdite. / Toutefois, en cas d’urgence vitale appréciée en tenant compte de l’absence d’alternatives thérapeutiques et si le risque prévisible encouru par le receveur en l’état des connaissances scientifiques n’est pas hors de proportion avec le bénéfice escompté pour celui-ci, le médecin peut, dans l’intérêt du receveur, déroger à la règle d’interdiction fixée par le premier alinéa du présent article ou à l’application des dispositions du II de l’article R. 665-80-3, dans les situations et les conditions précisées par un arrêté du ministre chargé de la santé. Cette décision ne peut être prise qu’après en avoir informé le receveur potentiel, préalablement au recueil de son consentement, ou, si celui-ci n’est pas en état de recevoir cette information, sa famille ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le document prévu à l’article R. 665-80-7 du code de la santé publique, transmis par le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON aux HOSPICES CIVILS DE LYON, faisait état d’analyses de biologie médicale négatives pour les maladies infectieuses transmissibles, à l’exception de l’infection par le virus de l’hépatite B pour laquelle les analyses étaient positives ; qu’eu égard cependant à l’urgence vitale de réaliser la greffe, en l’absence d’alternatives thérapeutiques pour Mme A, et à la circonstance que le risque prévisible pour cette dernière pouvait être regardé comme faible, en l’état des informations dont disposaient les HOSPICES CIVILS DE LYON, du fait d’un taux de transaminases discrètement élevé, la décision des médecins de cet établissement de procéder à la greffe n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, constitutive d’une faute ; que la patiente n’a d’ailleurs pas été contaminée par le virus de l’hépatite B mais par le virus de l’hépatite C pour lequel les résultats transmis étaient négatifs ;

Considérant, il est vrai, qu’il résulte de l’instruction que les médecins n’ont pas informé Mme A du risque de contamination par le virus de l’hépatite B, contrairement aux dispositions du I de l’article R. 665-80-8 du code de la santé publique alors en vigueur, subordonnant, même en cas d’urgence, la transplantation d’un organe présentant des risques d’infection à une information préalable du receveur potentiel ou, s’il n’est pas en état d’être informé, de sa famille ; que ce défaut d’information est constitutif d’une faute ; que, toutefois, eu égard au caractère impératif et urgent de la transplantation cardiaque, il ne peut être regardé comme établi que, dûment informée, Mme A aurait renoncé à la transplantation ; que, dès lors, la responsabilité des HOSPICES CIVILS DE LYON n’est pas engagée à ce titre ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme A n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions dirigées contre les HOSPICES CIVILS DE LYON ;

Sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON :

Considérant que, pour retenir la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON, la cour administrative d’appel de Lyon s’est fondée sur la faute que cet établissement avait commise en n’utilisant qu’un seul test de dépistage pour vérifier que le donneur n’était pas porteur du virus de l’hépatite C ;

Considérant qu’il ressort des pièces soumises au juge du fond que, préalablement au prélèvement de plusieurs organes, dont le coeur ultérieurement greffé à Mme A, sur un donneur en état de mort cérébrale, le laboratoire de virologie du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON a pratiqué un bilan biologique qui a consisté, pour la recherche des marqueurs biologiques de l’infection par le virus de l’hépatite C, en un seul test de dépistage ; que, pour juger fautive la réalisation d’un seul test, la cour a relevé qu’il résultait de l’instruction, et notamment des conclusions de l’expert désigné par les premiers juges, que compte tenu des anticorps présents dans l’organisme du donneur et de la faible sensibilité du test utilisé, une telle méthode de détection ne présentait pas une fiabilité suffisante et qu’aucune situation d’urgence lors du prélèvement n’était de nature à justifier l’absence de recours à une seconde méthode de dépistage permettant de vérifier les résultats de la première ;

Considérant que, pour juger fautive l’absence de réalisation d’un second test, la cour ne s’est pas fondée sur la circonstance que la réglementation en vigueur exigeait la réalisation de deux tests successifs mais sur l’absence de fiabilité de celui qui avait été mis en oeuvre et sur la présence d’anticorps laissant soupçonner une contamination ; que, dès lors, le centre hospitalier universitaire ne peut utilement soutenir, à l’appui de son pourvoi, qu’une modification récente de la nomenclature pouvait susciter un doute quant au maintien de l’obligation réglementaire de réaliser deux tests ; qu’alors que les organes du donneur n’étaient pas, au moment du prélèvement, attribués à des patients déterminés, il n’est pas fondé à soutenir qu’eu égard à l’état de santé de Mme A, la cour aurait entaché son arrêt de dénaturation en niant l’existence d’une situation d’urgence de nature justifier l’omission d’un second test ; qu’en retenant, par une motivation suffisante, la qualification de faute, la cour a exactement qualifié les faits de l’espèce ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANÇON n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué du 20 décembre 2007 en tant qu’il statue sur sa responsabilité ;

Sur la responsabilité de l’Etablissement français des greffes aux droits duquel est venue l’Agence de biomédecine :

Considérant qu’en vertu de l’article L. 673-8 du code de la santé publique, alors en vigueur, l’Etablissement français des greffes est notamment chargé d’établir et de soumettre à homologation par arrêté du ministre chargé de la santé les règles de répartition et d’attribution des greffons et de préparer les règles de bonnes pratiques qui doivent s’appliquer au prélèvement, à la conservation, au transport et à la transformation de l’ensemble des parties et produits du corps humain ;

Considérant qu’en jugeant qu’il n’entrait pas dans les missions de l’Etablissement français des greffes d’effectuer un contrôle, au regard des marqueurs biologiques de l’infection par le virus de l’hépatite C, de l’état des organes prélevés à des fins de greffe ou de donner des directives aux établissements habilités à effectuer des prélèvements d’organes en vue notamment de leur rappeler la réglementation existante en la matière, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis d’erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANÇON et les HOSPICES CIVILS DE LYON ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, en tant qu’il statue sur la responsabilité de l’Etablissement français des greffes ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des HOSPICES CIVILS DE LYON qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d’une somme au titre des frais exposés par l’Agence de biomédecine et par Mme A et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions que l’Agence de biomédecine présente au même titre ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON le versement à Mme A de la somme de 3 000 euros en faire application de ces mêmes dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 20 décembre 2007 est annulé, en tant qu’il statue sur la responsabilité des HOSPICES CIVILS DE LYON.

Article 2 : L’appel de Mme A contre le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 28 mai 2003, en tant qu’il rejette sa demande dirigée contre les HOSPICES CIVILS DE LYON, est rejeté.

Article 3 : Le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON versera à Mme A une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des HOSPICES CIVILS DE LYON, du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON, de l’Agence de biomédecine et de Mme A est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée aux HOSPICES CIVILS DE LYON, au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON, à l’Agence de biomédecine, à Mme Denise A à la caisse primaire d’assurance maladie de Lyon, à la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et à la mutuelle générale de l’éducation nationale.

Copie en sera adressée pour information à la ministre de la santé et des sports.