Le caractère indispensable d'une opération et l'absence d'une autre alternative thérapeutique ne dispense pas le praticien d'informer le patient des risques de l'opération préalablement à sa réalisation.
Mais le patient ne peut invoquer la perte d'une chance quand son état justifiait nécessairement une intervention et qu'il n'existait pas d'autre alternative thérapeutique moins risquée que l'opération réalisée. |
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juillet et 24 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme X..., ; Mme X... demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 23 mai 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 21 octobre 1997 rejetant sa demande de condamnation du centre hospitalier universitaire de Moulins à lui verser une somme de 1 420 000 F en réparation de la faute commise par celui-ci lors de l'intervention qu'elle a subie dans ce centre le 16 novembre 1990 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Le Bihan-Graf, Maître des Requêtes ;
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme X... et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Moulins,
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête :
Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;
Considérant qu'à la suite de l'opération qu'elle a subie, le 16 novembre 1990, au centre hospitalier universitaire de Moulins en vue de la réduction d'une fracture à la cheville droite, Mme X... a présenté les symptômes d'une algodystrophie, puis d'une arthrose tibio-tarsienne qui ont nécessité de nombreux traitements jusqu'en 1998 ; qu'en se fondant sur le caractère indispensable de l'opération réalisée et sur l'absence d'une autre thérapeutique qui aurait permis d'éviter la survenance des troubles dont Mme X... est aujourd'hui affectée pour juger que le praticien qui a procédé à la réduction de la fracture était dispensé, dans ces circonstances, de l'informer des risques de l'opération préalablement à sa réalisation, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit justifiant l'annulation de son arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ordonné par les premiers juges, que l'état de santé de Mme X... justifiait l'intervention réalisée et que les soins qui lui ont été prodigués lors de son hospitalisation l'ont été dans les règles de l'art et après que toutes les investigations utiles ont été effectuées ; qu'ainsi, aucune faute médicale de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Moulins ne peut être relevée ;
Considérant cependant qu'il résulte de l'instruction, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, que la technique utilisée, consistant à réduire la fracture sous anesthésie générale en corrigeant la déformation par deux broches transplantaires, associées à un plâtre "cruro pedious", présente des risques connus d'algodysrophie et d'arthrose tibio tarsienne ; que le centre hospitalier universitaire de Moulins ne conteste pas que Mme X... n'a pas été informée de l'existence de tels risques ; que, par suite, en l'absence d'urgence rendant impossible l'information préalable du patient, ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier à l'égard de Mme X... ;
Sur l'indemnisation du préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que la fracture déplacée de la cheville dont souffrait Mme X... nécessitait impérativement un traitement et, d'autre part, qu'il n'y avait pas d'alternative thérapeutique moins risquée que l'opération envisagée et qui aurait permis d'éviter les troubles dont souffre aujourd'hui Mme X... ; que, par suite, la faute commise par le centre hospitalier universitaire de Moulins n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour Mme X... de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'aucune indemnisation n'est, par suite, due à ce titre ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X... n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la réparation du préjudice résultant de l'accident dont elle a été victime le 17 novembre 1990 ;
Sur les conclusions de la caisse régionale des artisans et commerçants d'Auvergne :
Considérant que le rejet des conclusions de Mme X... tendant à l'indemnisation du préjudice subi entraîne, par voie de conséquence, le rejet des conclusions de la caisse régionale des artisans et commerçants d'Auvergne ;
Sur les conclusions de Mme X... tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier universitaire de Moulins, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à Mme X... la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle en appel et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 23 mai 2000 est annulé.
Article 2 : La requête d'appel de Mme X..., ensemble le surplus des conclusions de sa requête devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la requête d'appel de la caisse régionale des artisans et commerçants d'Auvergne sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme X..., au centre hospitalier universitaire de Moulins, à la caisse régionale des artisans et commerçants d'Auvergne et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.