Les juges du fond sont-ils liés par l’appréciation sur les faits litigieux contenue dans le rapport d’expertise ? Par cet arrêt le Conseil d’Etat (CE) répond à la question. Il approuve en effet la cour administrative d’appel, qui ne s'est pas estimée liée par l'appréciation de l'expert - lequel qualifiait de « rétrospectivement et probablement malheureux », le choix d’un accouchement par voie basse chez une parturiente présentant un risque important d’hémorragie en cas de césarienne, a considéré que les médecins n'avaient pas commis de faute. Pour le CE, la cour administrative d’appel n'a pas donné, en l’espèce, aux faits résultant de l'instruction, une qualification juridique erronée. |
Conseil d'État
N° 286887
Inédit au recueil Lebon
5ème sous-section jugeant seule
Mme Hubac, président
Mme Nicole Guedj, rapporteur
M. Olson Terry, commissaire du gouvernement
SCP CHOUCROY, GADIOU, CHEVALLIER ; SCP PARMENTIER, DIDIER ; SCP GATINEAU, avocats
Lecture du vendredi 28 mars 2008
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, 1°) sous le numéro 286887, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 novembre 2005 et 30 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS, dont le siège est 195, avenue Paul Vaillant-Couturier à Bobigny cedex (93014) ; la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 7 septembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, d'une part, annulé le jugement du 6 février 2001 du tribunal administratif de Paris reconnaissant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris responsable des handicaps de l'enfant C survenus après sa naissance à l'hôpital Robert Debré et, d'autre part, rejeté les demandes d'indemnités présentées devant ce tribunal ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et de le condamner à lui verser la somme de 358.889, 71 euros et les intérêts de droit à compter de sa première demande ainsi que l'indemnité forfaitaire de 760 euros et d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris le versement de la somme de 3 050 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu, 2°) sous le numéro 286903, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 novembre 2005 et 14 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme A, demeurant ..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale des biens de son fils mineur, C ; Mme A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 7 septembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, d'une part, annulé le jugement du 6 février 2001 du tribunal administratif de Paris reconnaissant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris responsable des handicaps de l'enfant C survenus après sa naissance à l'hôpital Robert Debré et, d'autre part, rejeté les demandes d'indemnités présentées devant ce tribunal ;
2°) réglant l'affaire au fond de rejeter l'appel de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et de la condamner à réparer le préjudice qu'elle a subi ;
3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 1 800 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nicole Guedj, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Gatineau, avocat de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS, de la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de Mme A et de la SCP Parmentier, Didier, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS et de Mme A sont relatives aux conséquences d'un même accident ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme A a été admise à l'hôpital Robert Debré, centre hospitalier relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le 16 mars 1994, soit deux jours après le terme théorique de sa grossesse ; qu'en dépit d'examens révélant une infection et un oligo-amnios, l'équipe médicale a renoncé à pratiquer une césarienne qui aurait présenté des risques particuliers chez une parturiente atteinte de lupus érythémateux, et décidé de déclencher l'accouchement par voie naturelle ; que l'enfant est né le 21 mars 1994, après huit heures de travail, en état de mort apparente ; qu'une réanimation a permis sa survie mais qu'il a présenté par la suite des troubles psychomoteurs entraînant un handicap majeur ;
Considérant que, pour juger que le choix d'un accouchement par voie basse ne présentait pas le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que, selon l'expert désigné par les premiers juges, si les multiples examens médicaux pratiqués afin de surveiller la maturation du col avaient pu aggraver l'état infectieux diagnostiqué lors de l'admission, une césarienne aurait présenté des risques d'hémorragie et de thrombo-embolie chez une parturiente atteinte de maladie lupique et qu'elle n'était imposée par aucun signe d'urgence, le rythme cardiaque du foetus étant normal ; que cette motivation est suffisante ; qu'en estimant que les médecins n'avaient pas commis de faute, la cour, qui ne s'est pas estimée liée par l'appréciation de l'expert, n'a pas donné aux faits résultant de l'instruction une qualification juridique erronée ; qu'en mentionnant dans son arrêt qu'une réanimation avait été entreprise immédiatement après la naissance de l'enfant, elle n'a pas dénaturé les pièces du dossier ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS et Mme A ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS la somme de 2 500 euros exposée par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au titre des frais exposés par cet établissement public et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que les frais exposés par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS et par Mme A soient mis à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
D E C I D E : --------------
Article 1er : Les requêtes de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS et de Mme A sont rejetées.
Article 2 : La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS versera une somme de 2 500 euros à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Nathalie A, à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS et à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Copie pour information en sera adressée pour information à la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.