REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 avril et 8 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES dont le siège est boulevard du Général Guillaudot à Vannes (56000) ; le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 10 février 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, faisant droit à l'appel formé par M. et Mme X. et la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes contre le jugement du 29 novembre 1995 du tribunal administratif de Rennes, l'a condamné à verser à Mme X. une indemnité de 285 000 F et à la caisse primaire une somme de 78 380 F, à payer les frais d'expertise et à verser respectivement à Mme X. et à la caisse les sommes de 6 000 F et 5 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Logak, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Vuitton, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE VANNES et de Me Le Prado, avocat de Mme X.,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme X. a accouché avant terme par césarienne le 1er août 1989 au CENTRE HOSPITALIER DE VANNES ; que l'apparition d'une infection utérine grave avec hémorragies récidivantes a compliqué les suites opératoires de l'accouchement et a rendu nécessaires cinq hospitalisations successives de l'intéressée qui a dû subir finalement, le 3 octobre 1989, une hystérectomie d'hémostase au centre hospitalier régional et universitaire de Nantes ;
Considérant que, pour déclarer le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES responsable des conséquences dommageables de l'infection utérine à l'origine de l'hystérectomie subie par Mme X., la cour administrative d'appel de Nantes a estimé que le préjudice subi par l'intéressée était imputable à un retard dans la mise en oeuvre d'un traitement antibiotique adéquat après avoir relevé, sur le fondement du rapport d'expertise, que "l'administration, plus précoce, voire préventive, d'un antibiotique à plus large spectre aurait permis de contrôler plus efficacement l'infection utérine débutante et celle de l'hématome à l'origine des hémorragies" ; qu'en s'abstenant toutefois de mentionner l'allergie de Mme X. à la pénicilline expressément invoquée par le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES dans son mémoire enregistré au greffe le 17 janvier 1997 et sans rechercher si cette allergie avait pu gêner la prescription d'une antibiothérapie efficace, la cour a insuffisamment motivé son arrêt qui doit, dès lors, être annulé ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rennes, qu'en raison de l'apparition précoce d'une infection utérine grave avec hémorragies récidivantes à la suite de la constitution d'un hématome dans la région de la brèche utérine suturée lors de la césarienne pratiquée le 1er août 1989, Mme X. a été soumise à un traitement antibiotique qui s'est révélé impuissant à juguler l'infection constatée ; que, si l'allergie à la pénicilline présentée par Mme X. a pu, selon l'expert, gêner la prescription de certains anti-infectieux très efficaces, elle ne saurait à elle seule justifier le retard mis par le centre hospitalier à réaliser les examens nécessaires et à mettre en oeuvre une antibiothérapie, ni expliquer le caractère inadapté du traitement antibiotique à base d'érythromycine administré à la patiente dont le rapport d'expertise relève qu'il était peu actif sur les germes à l'origine de l'infection et peu efficace au regard de son mode d'administration ; qu'ainsi, le retard dans la mise en oeuvre d'un traitement adéquat a été, dans les circonstances de l'espèce, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE VANNES ; que, par suite, Mme X. est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que l'hôpital soit déclaré responsable des conséquences dommageables de l'infection utérine à l'origine de l'hystérectomie qu'elle a subie ;
Sur le préjudice subi :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme X., âgé de 25 ans, est atteinte d'une stérilité définitive ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence de l'intéressée en fixant le montant du préjudice subi à ce titre à la somme de 40 000 euros (262 382,80 F) ; que les frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation s'élèvent à la somme de 11 948,95 euros (78 380 F) ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme X. au titre des souffrance physiques, que l'expert a qualifiées d'importantes, en le fixant à 7 000 euros (45 916,99 F) ; que le préjudice esthétique lié aux séquelles de l'hystérectomie doit être fixé à 800 euros (5 247,66 F) ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin de procéder à une nouvelle expertise, le montant total de l'indemnisation des préjudices subis par Mme X. s'élève à la somme de 59 748,95 euros (391 927,42 F) ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes :
Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : "Si la responsabilité d'un tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément" ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes justifie avoir exposé, au titre des frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation, une somme de 11 948,95 euros (78 380 F) ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'imputer cette somme sur la part de l'indemnisation mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE VANNES qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de Mme X. ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter, comme le demande la caisse primaire d'assurance maladie, du 29 novembre 1995, date du jugement du tribunal administratif de Rennes ; qu'en revanche, il n'appartient pas au juge de donner à la caisse acte de ses réserves relatives à d'éventuels débours ultérieurs qu'elle serait amenée à engager pour son assuré social ;
Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, en contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement de ses débours, "la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 760 euros et d'un montant minimum de 76 euros ( ...)" ; qu'il y a lieu de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes la somme de 760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions précitées de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Sur les droits de Mme X. :
Considérant que Mme X. a droit à la somme de 47 800 euros (313 547,45 F), après imputation des droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Sur les frais d'expertise exposés en première instance :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rennes, liquidés et taxés à la somme de 531,74 euros (3 488 F), à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE VANNES ;
Sur les conclusions tendant au versement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES à payer à Mme X. une somme de 1 200 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes une somme de 700 euros au titre des frais exposés par elles en appel et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que Mme X. qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer au CENTRE HOSPITALIER DE VANNES la somme qu'il demande au titre des frais de même nature qu'il a exposés ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 10 février 2000 et le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 29 novembre 1995 sont annulés.
Article 2 : Le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES est condamné à verser à Mme X. une somme de 47 800 euros (313 547,45 F).
Article 3 : Le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes une somme de 11 948,95 euros (78 380 F). Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 1995.
Article 4 : Le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes une somme de 760 euros (5 000 F) au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 5 : Les frais d'expertise d'un montant de 531,74 euros (3 488 F) sont mis à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE VANNES.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme X. devant le tribunal administratif de Rennes est rejeté.
Article 7 : Le CENTRE HOSPITALIER DE VANNES versera une somme de 1 200 euros à Mme X. et une somme de 700 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Les conclusions du CENTRE HOSPITALIER DE VANNES tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 9 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER DE VANNES, à Mme X.., à la caisse primaire d'assurance maladie de Nantes et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées