La direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère de la santé a fait envoyer, le 16 janvier 2014, par l'équipe en charge de la gestion du réseau des agences régionales de santé (ARS), un message électronique aux directeurs généraux de ces agences relatif à l'inscription des infirmiers au tableau de leur ordre professionnel. Ce message « rappelait qu'en vertu de la loi, l'inscription au tableau constituait une des conditions d'exercice de la profession et qu'il appartenait aux instances ordinales d'engager des poursuites contre les infirmiers qui ne respectaient pas cette obligation (…) [mais] toutefois qu'en raison de la réflexion en cours sur une évolution législative, à laquelle la ministre chargée de la santé s'était déclarée favorable, les instances ordinales avaient été invitées à " faire preuve de modération " dans leur rappel au respect de cette règle et qu'il n'était " pas demandé aux ARS de relayer sous une forme ou sous une autre ce rappel des règles " ». Il était également indique que « l'inscription au fichier, dénommé ADELI, de gestion de l'enregistrement et des listes départementales de certaines professions et usages de titres professionnels n'était " pas conditionnée par l'inscription ordinale " et qu'en conséquence les ARS pouvaient y procéder sans exiger au préalable la justification d'une inscription au tableau de l'ordre ». Le conseil national de l'ordre des infirmiers a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de cet acte ainsi que de la décision du 13 mai 2014 par laquelle le ministre en charge de la santé a implicitement rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit retiré. Le Conseil d’Etat rejette la requête du Conseil national de l’ordre des infirmiers en considérant que « le message litigieux, en tout état de cause, ne concerne pas la question de l'inscription au fichier ADELI des ressortissants des Etats membres de l'Union européenne et n'exclut pas que cette inscription puisse être subordonnée à une vérification de leurs compétences linguistiques par l'instance ordinale compétente » et que « la seule circonstance que le message mentionne que la ministre chargée de la santé s'était déclarée favorable à une évolution des dispositions législatives, afin de rendre facultative l'inscription des infirmiers à leur ordre professionnel, n'est pas de nature à le faire regarder comme entaché d'un détournement de pouvoir ». |
Conseil d'État
N° 381203
5ème / 4ème SSR
Mme Manon Perrière, rapporteur
Mme Laurence Marion, rapporteur public
lecture du mercredi 3 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 13 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des infirmiers demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction adressée le 16 janvier 2014 aux agences régionales de santé (ARS) par la direction générale de l'offre de soins en tant qu'elle indique, d'une part, qu'il n'est pas demandé aux ARS de relayer le rappel des règles relatives à l'exercice de la profession d'infirmière ou d'infirmier et, d'autre part, que l'inscription au fichier ADELI n'est pas conditionnée par l'inscription au tableau de l'ordre des infirmiers, ainsi que la décision implicite de la ministre de la santé, des affaires sociales et des droits des femmes du 13 mai 2014 rejetant sa demande tendant au retrait de cette instruction ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- l'arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 12 juillet 2012 relatif à la mise en place d'un traitement de données à caractère personnel dénommé ADELI de gestion de l'enregistrement et des listes départementales de certaines professions et usages de titres professionnels ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Perrière, auditeur,
- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, le 16 janvier 2014, la direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé a fait envoyer, par l'équipe en charge de la gestion du réseau des agences régionales de santé (ARS), un message électronique aux directeurs généraux de ces agences relatif à l'inscription des infirmiers au tableau de leur ordre professionnel ; que l'auteur de ce message rappelait qu'en vertu de la loi, l'inscription au tableau constituait une des conditions d'exercice de la profession et qu'il appartenait aux instances ordinales d'engager des poursuites contre les infirmiers qui ne respectaient pas cette obligation ; qu'il précisait toutefois qu'en raison de la réflexion en cours sur une évolution législative, à laquelle la ministre chargée de la santé s'était déclarée favorable, les instances ordinales avaient été invitées à " faire preuve de modération " dans leur rappel au respect de cette règle et qu'il n'était " pas demandé aux ARS de relayer sous une forme ou sous une autre ce rappel des règles " ; qu'il ajoutait que l'inscription au fichier, dénommé ADELI, de gestion de l'enregistrement et des listes départementales de certaines professions et usages de titres professionnels n'était " pas conditionnée par l'inscription ordinale " et qu'en conséquence les ARS pouvaient y procéder sans exiger au préalable la justification d'une inscription au tableau de l'ordre ; que le conseil national de l'ordre des infirmiers demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet acte ainsi que de la décision du 13 mai 2014 par laquelle le ministre en charge de la santé a implicitement rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit retiré ;
Sur la légalité externe :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur du message :
2. Considérant que si les agences régionales de santé sont, aux termes de l'article L. 1432-1 du code de la santé publique, des établissements publics distincts de l'Etat, les compétences qui leur sont confiées par l'article L. 1431-2 du même code sont, en vertu de l'article L. 1432-2, exercées au nom de l'Etat ; qu'en l'absence de dispositions contraires, les directeurs généraux de ces agences sont, lorsqu'ils exercent ces compétences, soumis au pouvoir hiérarchique des ministres compétents, qui peuvent leur adresser des instructions ;
3. Considérant que le message litigieux doit être regardé comme émanant du directeur général de l'offre de soins, qui en vertu des dispositions de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement dispose, en sa qualité de directeur d'administration centrale, d'une délégation pour signer au nom du ministre chargé de la santé l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous son autorité ; que ce message formule des instructions relatives à des attributions exercées par les directeurs généraux des agences régionales de santé au nom de l'Etat, dans le domaine de compétence du ministre chargé de la santé ; que le moyen tiré de ce qu'il émanerait d'une autorité incompétente doit, par suite, être écarté ;
En ce qui concerne les moyens tirés de vices de forme :
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : " Dans ses relations avec l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er, toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté. / Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci " ; que ces dispositions ne peuvent être utilement invoquées pour contester la légalité d'une instruction adressée à des services administratifs ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le message litigieux ne mentionnait pas le nom de son auteur, ne comportait pas sa signature et n'indiquait pas les coordonnées de l'agent en charge du dossier ne saurait être accueilli ;
5. Considérant, d'autre part, que le message litigieux ne présente pas le caractère d'une décision individuelle défavorable devant être motivée en application des dispositions de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ; qu'aucun autre texte n'exigeait qu'il fût motivé ; que le moyen tiré d'une insuffisance de motivation doit, par suite, être écarté ;
Sur la légalité interne :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 4311-15 du code de la santé publique : " Sont tenues de se faire enregistrer auprès du service ou de l'organisme désigné à cette fin par le ministre chargé de la santé les personnes ayant obtenu un titre de formation ou une autorisation requis pour l'exercice de la profession d'infirmière ou d'infirmier, avant leur entrée dans la profession, ainsi que celles qui ne l'exerçant pas ont obtenu leur titre de formation depuis moins de trois ans. / L'enregistrement de ces personnes est réalisé après vérification des pièces justificatives attestant de leur identité et de leur titre de formation ou de leur autorisation. Elles informent le même service ou organisme de tout changement de résidence ou de situation professionnelle. / (...). / Nul ne peut exercer la profession d'infirmier s'il n'a pas satisfait à l'obligation prévue au premier alinéa et s'il n'est pas inscrit au tableau de l'ordre des infirmiers. (...) " ; qu'en vertu de l'arrêté visé ci-dessus du 12 juillet 2012 du ministre des affaires sociales et de la santé, un traitement de données à caractère personnel, dénommé ADELI, est constitué sous la responsabilité du directeur général de l'agence régionale de santé pour la gestion de l'enregistrement des personnes dont les professions sont réglementées par le code de la santé publique ;
7. Considérant qu'à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation du message litigieux en tant qu'il indique que l'inscription d'un infirmier au fichier ADELI n'est pas subordonnée à la justification d'une inscription au tableau de l'ordre, le conseil national de l'ordre des infirmiers se borne à faire valoir que les instances ordinales sont seules compétentes pour vérifier qu'un infirmier ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui, n'étant pas titulaire du diplôme français d'infirmier, entend exercer en France au bénéfice des dispositions des articles L. 4311-3 et suivant du code de la santé publique possède les compétences linguistiques exigées par l'article L. 4311-17 ; que, toutefois, comme le relève le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, le message litigieux, en tout état de cause, ne concerne pas la question de l'inscription au fichier ADELI des ressortissants des Etats membres de l'Union européenne et n'exclut pas que cette inscription puisse être subordonnée à une vérification de leurs compétences linguistiques par l'instance ordinale compétente ; que le moyen doit, par suite, être écarté comme inopérant ;
8. Considérant, enfin, qu'en indiquant qu'il n'était " pas demandé aux ARS de relayer sous une forme ou sous une autre " les rappels de l'obligation d'inscription au tableau qui pourraient être effectués par les instances ordinales, l'auteur du message litigieux n'a pas donné pour instruction aux directeurs généraux des agences régionales de santé de s'abstenir d'accomplir des actes revêtant pour eux un caractère obligatoire en vertu des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ; que la seule circonstance que le message mentionne que la ministre chargée de la santé s'était déclarée favorable à une évolution des dispositions législatives, afin de rendre facultative l'inscription des infirmiers à leur ordre professionnel, n'est pas de nature à le faire regarder comme entaché d'un détournement de pouvoir ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non recevoir opposée par le ministre chargé de la santé, que le conseil national de l'ordre des infirmiers n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque ;
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête du Conseil national de l'ordre des infirmiers est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des infirmiers et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.