Faits :
Melle X est admise en hospitalisation volontaire au centre hospitalier spécialisé Esquirol à la demande de sa famille. Au cours d’une sortie d’essai de quarante huit heures, la patiente provoque un incendie dans les locaux d’une société privée. Condamné par le juge judiciaire à indemniser le préjudice causé à la société privée, l’assureur de la patiente se présente devant le juge administratif afin que ce dernier reconnaisse la responsabilité de l’hôpital public. Le Tribunal administratif de Limoges rejette cette requête le 7 novembre 1996. La cour administrative d’appel de Bordeaux fait de même dans un arrêt en date du 5 juillet 1999. L’assureur de la patiente se pourvoit alors en cassation. Commentaire : Le Conseil d’Etat rappelle en l’espèce un des principes du droit de la responsabilité : “ Celui qui a causé un dommage à autrui, alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental, n’en est pas moins obligé à réparation ” (article 489-2 du code civil). Il pérennise ici une jurisprudence antérieure : celle du 13 juillet 1967, “ Département de la Moselle ”. Le Conseil d’Etat jugeait que la responsabilité sans faute de l’établissement hospitalier pouvait être engagée lorsque qu’un malade en sortie d’essai causait un dommage à des tiers. Le Conseil d’Etat reprend cette solution en estimant que le centre hospitalier n’a pas commis de faute puisque “ Melle X, qui était hospitalisée depuis un mois et avait d’ailleurs effectué une semaine auparavant une sortie qui s’était bien déroulée, n’avait pas manifesté de signes permettant de penser que son comportement pouvait présenter des dangers pour autrui ”. Toutefois, le Conseil d’Etat considère que la faute même de la patiente (avoir allumé l’incendie) exonère totalement l’établissement de santé de sa responsabilité à l’égard du requérant (la faute commise par l’assurée – Melle X – étant opposable à l’assureur). |
Voir pour commentaire : Bulletin juridique de la santé publique n° 68 du 1er décembre 2003, page 20 |
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête enregistrée le 7 septembre 1999, présentée pour la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES, dont le siège social est 1 cours Michelet à La Défense 1 (92800 Puteaux) ; la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 5 juillet 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant d'une part à l'annulation du jugement du 7 novembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa requête tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé Esquirol à lui verser la somme de 889 315 F avec intérêts, et d'autre part, à la condamnation du Centre hospitalier spécialisé Esquirol à lui payer ladite somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 février 1992 et la somme de 379 595,24 F avec intérêts à compter du 15 novembre 1993 ;
2°) de condamner le centre hospitalier spécialisé Esquirol à lui verser une somme de 12 000 F (1829,36 euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aladjidi, Auditeur,
- les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES et de Me Odent, avocat du centre hospitalier spécialisé Esquirol,
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans un mémoire enregistré au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux le 28 mai 1999, la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES, aux droits de laquelle est venue la société des assurances générales de France, a soulevé un moyen tiré de ce que la responsabilité sans faute du centre hospitalier spécialisé Esquirol situé à Limoges (Haute-Vienne) était engagée sur le fondement du risque spécial créé par les méthodes thérapeutiques employées par cet établissement ; que la cour a omis de répondre à ce moyen qui n'était pas inopérant ; que l'arrêt attaqué doit dès lors être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au cours d'une sortie d'essai de quarante-huit heures, Mlle X qui avait été admise à la demande de sa famille en hospitalisation volontaire au centre hospitalier spécialisé Esquirol, a provoqué, le 12 décembre 1988, un incendie dans les locaux de la société Cablim à Saint-Yrieix-la-Perche ; que son assureur, la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES, qui a été condamné par le juge judiciaire à indemniser de son préjudice l'assureur de la société Cablim, est doublement subrogé dans les droits de l'auteur du dommage, Mlle X, et de l'assureur de la société Cablim ; qu'agissant au nom de chacune de ces deux personnes, la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES recherche la responsabilité pour faute et sans faute du centre hospitalier spécialisé Esquirol ;
Sur la responsabilité pour faute du centre hospitalier :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que jusqu'à l'incendie qu'elle a provoqué, Mlle X, qui était hospitalisée depuis un mois et avait d'ailleurs effectué une semaine auparavant une sortie qui s'était bien déroulée, n'avait pas manifesté de signes permettant de penser que son comportement pouvait présenter des dangers pour autrui ; qu'ainsi le centre hospitalier Esquirol n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité en accordant à l'intéressée la sortie d'essai au cours de laquelle est survenu le dommage litigieux ;
Sur la responsabilité sans faute du centre hospitalier :
Considérant que si la subrogation investit le subrogé de tous les droits et actions du subrogeant, elle ne lui confère que les droits et actions qui appartenaient à ce dernier, dans les limites dans lesquelles il pouvait les exercer ; que, par suite, si la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES, en tant qu'elle est subrogée aux droits de l'assureur de la société Cablim, peut rechercher la responsabilité du centre hospitalier spécialisé Esquirol sur le fondement du risque spécial créé par la sortie d'essai que cet établissement avait accordée à Mlle X, les fautes commises par cette dernière, aux droits de laquelle la compagnie requérante est également subrogée, peuvent lui être opposées, ainsi que le prévoit l'article 489-2 du code civil qui dispose que celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental, n'en est pas moins obligé à réparation ; qu'il résulte de l'instruction que le fait pour Mlle X d'avoir allumé l'incendie dommageable est constitutif d'une faute qui est de nature, dans les circonstances de l'espèce, à exonérer totalement le centre hospitalier spécialisé Esquirol de sa responsabilité à l'égard de la compagnie requérante ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERES ASSURANCES n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Esquirol ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier spécialisé Esquirol qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la SOCIETE DES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la SOCIETE DES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE à verser au centre hospitalier spécialisé Esquirol la somme de 2200 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 5 juillet 1999 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : la SOCIETE DES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE versera au centre hospitalier spécialisé Esquirol la somme de 2200 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par le centre hospitalier spécialisé Esquirol devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE, au centre hospitalier spécialisé ESQUIROL et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.