En l’espèce, une patiente a été atteinte de paraplégie entraînant une incapacité permanente évaluée à 80% suite à une intervention chirurgicale survenue le 18 juin 2001 au sein d’un hôpital de l’AP-HP. Le tribunal administratif de Paris a considéré l’AP-HP entièrement responsable des conséquences dommageables de l’accident survenu au cours de l’opération. La Cour administrative d’appel de Paris a par la suite réformé le jugement en tant qu’il évaluait les préjudices et fixait le montant des indemnités. La patiente et ses parents ont saisi le Conseil d’Etat contre l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel en contestant le mode d’indemnisation accordé par les juges du fond. Le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt en ce qu’il a décidé que l’octroi d’un capital à cette patiente, en réparation des frais futurs devant rester à sa charge, était soumis à l’accord de l’AP-HP. Il a en effet considéré qu'eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. En revanche, concernant les préjudices futurs de la victime non couverts par des prestations, il précise qu’il appartient au juge de décider si leur réparation doit prendre la forme du versement d'un capital ou d'une rente selon que l'un ou l'autre de ces modes d'indemnisation assure à la victime, dans les circonstances de l'espèce, la réparation la plus équitable.
Conseil d'État
N° 309521
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Martin, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
ODENT ; FOUSSARD, avocat
lecture du vendredi 4 décembre 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi et les mémoires complémentaires, enregistrés les 19 septembre, 24 octobre et 19 décembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Khajida A, M. Rahal A et Mlle Hind A, demeurant ... ; les requérants demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 11 juillet 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a réformé le jugement du 22 juin 2004 du tribunal administratif de Paris en condamnant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à verser à Mlle Hind A la somme de 360 000 euros et une rente annuelle de 6 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 18 juin 2001 à l'hôpital………. et a rejeté le surplus des conclusions de Mlle A ;
2°) réglant l'affaire au fond, de réformer le jugement du tribunal administratif de Paris en procédant à une réévaluation des préjudices et des indemnités allouées ;
3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Odent, avocat des consorts A et de Me Foussard, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,
- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Odent, avocat des consorts A et à Me Foussard, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de l'intervention chirurgicale pratiquée le 18 juin 2001 à l'hôpital……… pour corriger une scoliose, Mlle Hind A, alors âgée de 14 ans, a été atteinte d'une paraplégie sensitivo-motrice totale entraînant une incapacité permanente évaluée à 80 % ; que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a été jugée entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident par un jugement du tribunal administratif de Paris en date du 22 juin 2004, devenu définitif sur ce point ; que Mlle A et ses parents se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a réformé ce jugement en tant qu'il évaluait les préjudices et fixait le montant des indemnités ;
Sur les droits des parents de Mlle A :
Considérant que la cour administrative d'appel de Paris a, par une appréciation souveraine des faits qui lui étaient soumis, fixé à 15 000 euros le montant que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a été condamnée à verser respectivement au père et à la mère de Mlle A en réparation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral qu'ils subissent du fait de l'état de santé de leur fille ; que cette appréciation est exempte de dénaturation ;
Sur les droits de Mlle A et de la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir :
Considérant qu'eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord ; que s'agissant, en revanche, des préjudices futurs de la victime non couverts par des prestations, il appartient au juge de décider si leur réparation doit prendre la forme du versement d'un capital ou d'une rente selon que l'un ou l'autre de ces modes d'indemnisation assure à la victime, dans les circonstances de l'espèce, la réparation la plus équitable ; que, par suite, en jugeant que l'octroi à Mlle Hind A d'un capital en réparation des frais futurs devant rester à sa charge était subordonné à l'accord de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que l'arrêt attaqué doit par suite être annulé en tant qu'il statue sur les droits de Mlle A et de la caisse primaire d'assurance-maladie d'Eure-et-Loir ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur le préjudice de Mlle A :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
Quant aux dépenses de santé :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'outre les sommes prises en charge par la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir, dont l'évaluation par le tribunal administratif n'est pas contestée en appel, l'état de santé de Mlle A entraîne chaque année des dépenses demeurant à sa charge qui s'élèvent à 1 420 euros au titre des frais d'appareillage, 100 euros pour le lit médicalisé et appareils associés, 685 euros pour les appareils de verticalisation, 500 euros pour les frais de protection urinaire, d'alèses et de gants d'examen et 1 360 euros pour les frais d'hygiène consistant en l'achat de produits liés aux troubles vésico-sphinctériens ; que la requérante justifie par ailleurs de frais de consultation d'un psychothérapeute d'un montant annuel de 400 euros ; que, dans ces conditions, il sera fait une exacte appréciation des frais annuels de santé demeurant à la charge de la victime en les fixant à 4 465 euros ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de convertir ces montants annuels en un capital ; que, contrairement à ce que soutient l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le barème annexé au décret du 8 août 1986 fixant les modalités de conversion en capital d'une rente consécutive à un accident, pris en application des dispositions de l'article 44 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, n'est pas légalement contraignant pour déterminer, pour les besoins de l'évaluation du préjudice, la valeur actuelle des dépenses futures de santé de la victime que le responsable de l'accident est tenu de réparer intégralement ; que ses paramètres sont devenus obsolètes quant à l'espérance de vie des intéressés et aux loyers de l'argent ; qu'il y a lieu, en l'espèce, pour procéder à la conversion, de lui préférer un barème de capitalisation reposant sur la table, de mortalité 2001 pour les femmes publiée par l'institut national de la statistique et des études économiques et un taux d'intérêt que de 3,20% qui correspond d'avantage aux données économiques à la date de l'évaluation du préjudice ; que, sur la base de ces éléments rapportés à une victime âgée de 17 ans à la date du 1er septembre 2004 à laquelle, en l'état du dossier, il y a lieu de se placer pour évaluer les frais futurs, le coefficient de capitalisation s'élève à 27,887 ; qu'il en résulte que la somme due à Mlle A au titre des frais annuels de santé demeurant à sa charge s'élève à 124 515 euros ;
Quant aux frais liés au handicap :
Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que l'état de santé de la victime, qui ne peut se déplacer qu'en fauteuil roulant, exige un changement de domicile et l'acquisition d'une habitation de plein-pied aménagée pour le handicap ; qu'il sera fait une juste appréciation des frais correspondants en les évaluant à la somme de 120 000 euros ;
Considérant que le surcroît de dépenses résultant de la nécessité de disposer d'un véhicule adapté au handicap de Mlle A, et d'obtenir un permis de conduire adapté, peut être évalué à 40 000 euros ;
Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que l'état de la victime nécessite l'assistance à domicile d'une tierce personne pendant 4 heures par jour ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice qui en résulte en prenant comme référence le coût d'une telle assistance calculé en fonction du salaire minimum augmenté des cotisation sociales ; qu'eu égard aux périodes de séjour de Mlle A au domicile de ses parents depuis juin 2001, le montant du préjudice doit être fixé à 18 639 euros jusqu'au 1er septembre 2004, puis sur une base annuelle de 11 111 euros pour les années suivantes ; qu'il y a lieu de convertir ce montant annuel en un capital de 309 841 euros sur la base du coefficient de capitalisation mentionné plus haut ; que le montant total du préjudice lié à la nécessité de l'assistance à domicile d'une tierce personne s'élève dès lors à 328 480 euros ;
Quant à l'incidence scolaire et professionnelle :
Considérant qu'en raison du handicap résultant de l'accident, la victime a subi une perte de chance scolaire et professionnelle dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à 130 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ensemble des préjudices patrimoniaux résultant du handicap de la victime et demeurant à sa charge s'élèvent à 742 996 euros ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
Considérant qu'eu égard à l'âge de la victime au moment de l'accident, au taux d'incapacité permanente dont elle est atteinte et aux troubles fonctionnels et psychologiques qu'elle subit, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence de la victime, ainsi que de ses souffrances physiques et morales et de son préjudice esthétique et sexuel en les évaluant à 390 000 euros ;
Sur les droits de Mlle A et de la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est fondée à soutenir que le tribunal administratif de Paris a fait une évaluation excessive du préjudice non réparé par des prestations de sécurité sociale en la condamnant à verser à Mlle A une indemnité de 1 557 000 euros, dont 1 327 000 euros payables sur justificatifs au fur et à mesure des dépenses occasionnées par le handicap ; que Mlle A est pour sa part fondée à critiquer ce mode d'indemnisation ; qu'il y a lieu de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à verser à la victime une indemnité de 1 132 996 euros ; que le jugement attaqué doit en revanche être confirmé en tant qu'il fixe les sommes dues à la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir ;
Sur les intérêts :
Considérant que Mlle A a droit aux intérêts au taux légal sur la somme qui lui et due à compter du 7 février 2002, date de réception par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de la demande préalable présentée en son nom ; que, toutefois, les intérêts courent à compter du 5 février 2004 sur la somme de 18 639 euros, dont le versement a été demandé à cette date, correspondant aux frais d'assistance d'une tierce personne exposés entre 2001 et 2004, et à compter du 1er septembre 2004 sur la somme de 434 357 euros correspondant à des frais futurs de santé et d'assistance d'une tierce personne évalués à cette date ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 5 février 2004 ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris le versement aux consorts A de la somme globale de 4 500 euros au titre des frais engagés en cassation et en appel ; que ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mis à la charge des consorts A, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 11 juillet 2007 est annulé en tant qu'il statue sur les droits de Mlle Hind A et de la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir.
Article 2 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mlle Hind A la somme de 1 132 996 euros. Les intérêts au taux légal sont dus à compter du 7 février 2002 sur une somme de 680 000 euros, à compter du 1er février 2004 sur une somme de 18 639 euros et à compter du 1er septembre 2004 sur une somme de 434 357 euros. Les intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au 5 février 2004 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 22 juin 2004 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris versera à Mme Khajida A, à M. Rahal A et à Mlle Hind A la somme globale de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme Khajida A, M. Rahal A et Mlle Hind A est rejeté ainsi que le surplus des conclusions présentées par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Khajida A, à M. Rahal A, à Mlle Hind A, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir.
Copie pour information en sera communiquée à la ministre de la santé et des sports.