Après avoir reçu des soins dans un centre hospitalier pour remédier à une affection oculaire, Monsieur X a contracté une infection nosocomiale qui a été traitée dans cet établissement et dont il a conservé des séquelles à l'origine d'une incapacité permanente partielle de 35 %. Monsieur X a demandé au juge des référés de mettre à la charge du centre hospitalier le versement d'une indemnité provisionnelle et la caisse primaire d'assurance maladie a sollicité le versement d'une provision au titre de ses débours. Le juge des référés a retenu l'existence d'une faute du centre hospitalier dans la prise en charge de l'infection contractée par Monsieur X et a accueilli les demandes de celui-ci et de la caisse. Le centre hospitalier a formé un pourvoi en cassation contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés a rejeté son appel. Le Conseil d’Etat affirme que lorsqu’il est saisi d'une demande de provision à l'encontre d'un établissement de santé du fait d'une infection nosocomiale, le juge des référés doit, s'il constate que les dommages atteignent le niveau de gravité permettant l'indemnisation au titre de la solidarité nationale, mettre en cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des maladies nosocomiales (ONIAM). L’affaire est donc renvoyée devant la Cour d’appel. |
Conseil d'État
N° 362351
5ème et 4ème sous-sections réunies
Mme Marie Gautier-Melleray, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
LE PRADO ; FOUSSARD, avocat
lecture du mercredi 5 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 août et 14 septembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le centre hospitalier Y. dont le siège est.. ; le centre hospitalier demande au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance n° 12DA00656 du 16 août 2012 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre l'ordonnance n° 1201504 du 19 avril 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Lille le condamnant à verser une provision de 100 000 euros à M. X. , à valoir sur la réparation des préjudices subis à la suite d'une infection contractée lors d'un séjour dans l'établissement, et une provision de 100 225,12 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut, venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie Y. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier Y. et à Me Foussard, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 26 décembre 2006, après avoir reçu des soins au centre hospitalier Y. pour remédier à une affection oculaire, M. X. a présenté une infection nosocomiale qui a été traitée dans cet établissement et dont il a conservé des séquelles à l'origine d'une incapacité permanente partielle de 35 % ; qu'il a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de mettre à la charge du centre hospitalier le versement d'une indemnité provisionnelle ; que la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut a sollicité le versement d'une provision au titre de ses débours ; que, par une ordonnance du 19 avril 2012, le juge des référés a retenu l'existence d'une faute du centre hospitalier dans la prise en charge de l'infection contractée par M. X. et accueilli les demandes de celui-ci et de la caisse ; que le centre hospitalier Y. se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 16 août 2012 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre la décision du juge des référés du tribunal administratif ;
2. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ; que, selon le 1° de l'article L. 1142-1-1 du même code dans sa version applicable au litige, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale " Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'incapacité permanente supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales " ; qu'en vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ; qu'aux termes du I de son article L. 1142-21 : " Lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables (...) au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure. / Lorsqu'il résulte de la décision du juge que l'office indemnise la victime ou ses ayants droit au titre de l'article L. 1142-1-1, celui-ci ne peut exercer une action récursoire contre le professionnel, l'établissement de santé, le service ou l'organisme concerné ou son assureur, sauf en cas de faute établie à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. (...)" ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le juge administratif, saisi d'une action indemnitaire tendant à la réparation par une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique des dommages ayant résulté d'une infection nosocomiale, est tenu, s'il constate que ces dommages remplissent la condition de gravité à laquelle l'article L. 1142-1-1 du même code subordonne le droit à réparation au titre de la solidarité nationale, d'appeler l'ONIAM en la cause, au besoin d'office, puis de mettre l'indemnisation à la charge de cet établissement public, même en l'absence de conclusions dirigées à son encontre, sans préjudice de la possibilité pour lui de demander que tout ou partie de cette charge soit reportée sur la personne initialement poursuivie en établissant qu'une faute imputable à celle-ci est à l'origine du dommage ou y a contribué ; que les mêmes règles s'appliquent devant le juge des référés saisi, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, d'une demande de provision au titre des dommages ayant résulté d'une infection nosocomiale ;
4. Considérant qu'il incombait au juge des référés, dès lors qu'il constatait que M. X. avait été victime d'une infection nosocomiale et demeurait atteint d'une incapacité permanente partielle supérieure à 25 %, et alors même que ce dommage était pour partie lié aux conditions de prise en charge de l'infection au sein du centre hospitalier Y., d'appeler l'ONIAM en la cause ; qu'en omettant de procéder à cette mise en cause, il a méconnu les dispositions du premier alinéa du I de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le centre hospitalier Y. est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier Y. qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du 16 août 2012 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier Y., à M. X. et à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut.
Copie en sera adressée pour information à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.